dimanche 31 juillet 2011

Quick Millions 1931


Un film de Rowland Brown avec Spencer Tracy, Sally Eilers, Marguerite Churchill et George Raft

'Bugs' Raymond (S. Tracy) est un chauffeur de poids lourds qui rêve de faire fortune. Il devient racketteur en demandant de l'argent aux firmes de transport. Devenu riche, il pense pouvoir fréquenter le beau monde...

Les films du début de carrière de Spencer Tracy restent peu connus car ils ont été tournés au sein de la firme Fox (avant son rachat par XXth Century Pictures) qui diffuse peu son catalogue. Quick Millions fut considéré comme perdu jusque dans les années 70 où William K. Everson le projeta à New York. Ce film est signé Rowland Brown, un scénariste qui ne réalisa que trois films. En effet, il donna un coup de poing à un producteur ce qui eut pour effet de le mettre sur une liste noire permanente. En tous cas, ce scénariste nous offre là un film sur les gangsters et la corruption qui est vraiment dans l'air du temps. La prohibition bat son plein et les bootleggers font des fortunes. Ici, Spencer Tracy n'est pas le bon garçon qu'il sera plus tard. C'est un arriviste qui veut avoir de l'argent à tout prix. Sa morale personnelle reflète ces années troublées qui précèdent l'abolition de la prohibition. La corruption parmi les élites est généralisée. D'immenses fortunes se font en un rien de temps. Tracy le dit nettement son business "consiste à obtenir ce que les autres possèdent, en étant aimable." Quant aux lois, elles sont selon lui "faites par des avocats pour que d'autres avocats les enfreignent." L'immoralité ambiante est encore renforcée par les diners organisés par les racketteurs où toute la bonne société se rassemble. On retrouve un peu l'ambiance de Afraid to Talk (1932, E.L. Cahn). Tracy est entouré de sbires qui vont faire les sales besognes pendant que lui fréquente un grand patron de la construction, tout en lorgnant la soeur de celui-ci (M. Churchill). On reconnait parmi eux, un débutant à la jambe agile, George Raft qui fait une belle démonstration de ses talents de danseur mondain dans une séquence. Le film avance rapidement avec des séquences courtes et rapides, et pratiquement sans musique. L'ascension sociale de Bugs sera de courte durée car lorsqu'il voudra devenir 'honnête', ses complices vont se débarrasser de lui rapidement. Les scènes de violence sont toujours suggérées plus que montrées dans ce film. Il y a une excellente scène de meurtre où un journaliste se fait descendre. La scène est vue sous une table. Un corps tombe à terre et une ombre portée sur un mur dirige un révolver vers lui pour l'achever. Le film se veut néanmoins porteur d'un message. Un procureur (Henry Kolker) fait un long discours où il tente de secouer l'apathie de cette ville corrompue. Selon lui, la république est en danger si l'Etat ne se réveille pas pour mettre fin aux agissements des bootleggers et des racketteurs. Tracy, dont c'est seulement le deuxième film, montre déjà l'étendue de son talent. Il offre un portrait intéressant de gangster sans scrupules, mais non dépourvu de charme. Si on le met en regard avec les deux autres gangsters de cette année-là, James Cagney dans The Public Enemy et E.G. Robinson dans Little Caesar, Tracy est plus un arriviste qu'un tueur. En tous cas, ce film m'a certainement donné envie de découvrir les deux autres films de Rowland Brown, Hell's Highway (1932) et Blood Money (1933) qui semblent tous deux fort intéressants, mais également fort rares.

lundi 18 juillet 2011

Napoléon vu par Abel Gance 1927


Je voudrais poster ici cette très intéressante critique d'époque du Napoléon de Gance. Le critique Jean Tedesco n'a vu que la première présentation à l'Opéra du film. Il faut le préciser car cette version était amputée par rapport à la version définitive présentée en mai 1927. En tous cas, je trouve que cette critique est équilibrée dans ses louanges et ses regrets. Il faut remarquer que les scènes plus légères semble échapper à Tedesco. Il faut dire que la présentation du film a été gâchée par une partition musicale inappropriée. Arthur Honegger avait quitté le navire avant la première après une dispute avec Gance. Ce dernier ne cessait de modifier le montage du film et rendait le travail du compositeur impossible.
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Jean Tedesco, Cinéa-Ciné Pour Tous, 15 avril 1927 :
Depuis la représentation de gala à l’Opéra, le 7 de ce mois, du film considérable d’Abel Gance, les opinions les plus variées fleurissent de toutes parts, les unes timides, les autres définitives. C’est un véritable printemps d’opinions brusquement écloses, où la discrétion d’un muguet se mêle à une arrogance de pivoine. Après un hiver d’indifférence qu’aucun film nouveau, hors Métropolis, ne dégela, voici enfin un peu de chaleur, un peu de fièvre.
C’est que le soleil, cet ami de Bonaparte, brille effectivement sur cette œuvre grandiose. Sachons gré à l’auteur d’avoir donné un rôle dès le début de l’action, à ce qu’il est convenu d’appeler l’astre du jour. Pous notre part, nous lui accorderons plus d’importance qu’à bien des comédiens, même excellents, qui abondent dans cette fresque d’histoire. Le soleil, suspendu au-dessus des rivages de la Corse, voilà bien le fond du film, l’âme qu’il ne faut pas qu’on oublie : chaleur, fièvres communes au héros de la Révolution et au poète silencieux qui, de nos jours, a tenter de clamer pour sa gloire un grand hymne d’images.
De cette réalité visible, les uns parraissent profondément imprégnés et ne trouvent pour le Napoléon d’Abel Gance que cris d’enthousiasme et délirantes épithètes ; les autres, qui se comptent en grand nombre à Paris, n’ont pas voulu s’en convaincre et, dès lors, la toile d’idéal sur laquelle l’auteur a tendu ses rêves disparaissant, un certain trouble s’empare des esprits et la critique a beau jeu. Il nous serait facile de choisir cette seconde attitude, assurément plus commode. Nous préférerons nous maintenir sur la position première, tout en soumettant à notre grand créateur d’images quelques réflexions qui n’ont d’autre but que de toucher à l’esthétisme même du cinéma.
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A cette époque de formation, il nous paraît que le cinéma oscille entre plusieurs points. Réalisme, romantisme, impressionnisme, symbolisme se disputent ses faveurs et c’est déjà le baptème d’un art véritable que ces querelles d’école où se retrouvent les grandes crises de la peinture et de la poésie. Abel Gance paraît avoir résolument opté pour le romantisme symbolique. Il est possible qu’il ait porté cette forme hugolesque du cinéma actuel à un haut degré de perfection. Il faut alors regretter qu’il ne s’y soit pas tenu plus strictement, au risque d’amputer son rêve total et d’en sacrifier quelques lambeaux délicats. Il y a dans Napoléon, une alternance de grandeur poétique et de description historique ; un côté « chronique » et même Alexandre Dumas père crée un certain pittoresque, avec effets de surprises que, personnellement, nous trouvons indigne de l’inspiration profonde d’une pareille œuvre. Des personnages mystérieux apparaissent, agissent un instant très court, puis disent leur nom devenu immortel comme pour étonner la postérité que nous sommes. C’est à ce moment-là que le cinéma se révolte et trahit ses amants le splus fervents. Cinéma ne veut pas dire d’historiettes et j’ai bien peur que l’Histoire elle-même, du moins sous l’apparence d’une docte dame pleine de souvenirs, n’obtienne pas sa grâce. De même la philosophie historique ne trouve pas place sur l’écran. Nous l’avons senti à certains passages de Napoléon où Saint-Just vient en quelques sous-titres nous résumer l’idéal de la Révolution Française et prophétiser sur l’avenir des Républiques ; nous l’avons senti encore lorsque Bonaparte s’explique avec les fantômes de la Convention et qu’il développe rapidement sa pensée sur la République Universelle. Sans doute est-il naturel qu’Abel Gance lui-même, empruntant l’apparence de Saint-Just, ait désiré exprimer la pensée révolutionnaire et rappelé à tous ceux qui l’ont oublié combien son héros était le fils de la Révolution ; il n’en est pas moins vrai qu’à partir de ce moment le cinéma est en suspens, exactement comme si les appareils de projection étaient arrêtés, et qu’il ne retrouve sa vie véritable que dans le mouvement des images expressives par elles-mêmes.
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Nous avons trop de confiance dans le talent d’Abel Gance et trop de sympathie pour la flamme qui l’anime pour ne pas oser ici le fond de notre pensée. Le cinéma, porté à un poit élevé de perfection, est un paroxysme de l’expression ; on ne peut lui demander trop – il faut savoir choisir. Or, par une technique extrêmement poussée, grâce à laquelle nous apprenons à connaître une cinégraphie savante comparable à la musique pareillement dénommée, par un art prodigieux de la prise de vues, un sens étonnant du rythme, une acuité de vision qui lui permettent de lire aisément plusieurs images rapides superposées. Gance est un paroxiste du cinéma moderne. Un tel homme ne peut demander au spectateur de le suivre pendant douze mille mètres sans fatigue ; il le sait bien et repose son public par d’agréables petites histoires du passé, l’aubergiste Fleury, le désespoir de la douce Violine, la merveilleuse Tallien aux jambes nues, la leçon de Talma à Bonaparte, la partie d’échecs avec le général Hoche, mille scènes du même ordre, traitées avec un art délicat et consommé, mais, nettement en dehors du cadre. Il ne s’agit pas ici d’une critique stérile, faite pour inspirer le regret de ce qui aurait pu être évité, mais simplement d’un essai de conclusion, d’enseignement.
A notre sens, il convient d’accepter le Napoléon d’Abel Gance tel qu’il est, avec ses qualités et ses faiblesses et d’en aimer indistinctement tout ce qu’il faut en aimer, le lyrisme impénitent, la technique vertigineuse, l’abondance généreuse, la délicatesse photographique, la composition de certains rôles. Passons sur la Marseillaise du début. Réalisé avec une maîtrise peu commune, rythmée avec un art consommé, ce prélude souffre d’un défaut initial de présentation. Un chant n’est pas photogénique, en dépit des efforts d’un Gance ; nous ne pouvons apprécier pleinement ces plans rapprochés de « têtes lyriques », ouvrant la bouche toute grande et nous rappelant l’impuissance du cinéma à évoquer le son. Hélas, ce ne sont point les choristes de l’Opéra qui comblèrent cette lacune. Une impossibilité qui appartenait au domaine du spectacle a trahi ici, nous semble-t-il, l’intention audacieuse de l’auteur. Passons donc à l’ouverture du film, qui est plutôt cet étonnant parallèle entre la tempête de la Convention et la tempête qui secoua sur la mer la barque fragile où Bonaparte fuyait la Corse. Précédé d’un exposé excellent du pays natal, de sa maison, avec de remarquables surimpressions du héros légendaire chevauchant parmi les souvenirs, ce morceau est simplement grandiose. On y retrouve, dans le double tumulte de la Nature et de l’Humanité, la plus grande puissance d’un art silencieux, irrésistiblement évocateur et capable de présenter un simultanéïsme visible. Ce fut alors que nous eûmes la révélation des trois écrans. Les rideaux à l’italienne s’écartèrent et la projection devint triple, intensifiant considérablement l’impression produite, agrandissant le champ de vision au point de l’éblouir, multipliant par un coefficient inestimable l’émotion du spectateur. Remarquons qu’il s’agit bien ici d’une triple extension de la prise de vues, par trois appareils synchronisés, et non pas seulement d’un augmentation de la surface de projection. Mais les trois écrans servent à Gance à mille fins diverses. Trois actions peuvent s’y passer en même temps, ou bien uen action centrale et deux actions secondaires, ou bien encore d’une action symbolique se glissant au centre d’une action parallèle. C’est ce dernier cas qui fut réalisé quand nous vîmes sur l’écran central apparaître une mer déchaînée et l’embarcation du futur maître de l’Europe, cette image symbolique encadrée par les vues orageuses de la Convention en désordre, attendant son destin. Ce morceau gigantesque, qui termine la première partie de Napoléon, nous offre déjà un grand nombre de combinaisons nouvelles appliquées à l’écran multiple, nou entraîne véritablement bien au-dessus des problèmes actuels du cinéma ; il en jaillit une forme saisissante du symbolisme direct, pour ainsi dire réaliste.
Ce n’est qu’à la fin de la troisième partie, avec le départ de l’Armée d’Italie que nous retrouvâmes cette joie inédite. Ce final de grande envergure est amené par une excellente psychologie vivante de Bonaparte depuis sa rencontre avec Joséphine de Beauharnais jusqu’à son rapide mariage et ce départ pour l’Etat Major qui est traité dans un mouvement de premier ordre. Gance a donné là une image inoubliable du Corse aux joues creuses, aux yeux de fièvre, qui, s’étant donné trois mois pour conquérir l’Italie avec quarante mille francs et une poignée d’hommes écrivait à Joséphine : « Je te donne mille baisers mais ne m’en donne pas car ils me brûlent le sang ! »
Superposition d’images, alternances, parallélisme, rappels, tous les moyens techniques mêlés au spectacle du départ des conquérants, servent ici à synthétiser le contenu d’une pensée : amour, rêves, ambition, tactique. Cette troisième et dernière partie de Napoléon est une sorte de chef-d’œuvre du genre. Le désespoir de Violine vient tout à coup ralentir le mouvement et couper l’action.
Cela est d’autant plus sensible que nous connaissons peu Violine et que l’on sent ici l’amputation d’un rôle qui fût assurément plus important à l’origine. C’est donc bien d’un défaut de construction que souffre le monument gancien.
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Nous pénétrons dans ce Napoléon comme dans une gigantesque tour, élevée à la gloire d’un héros légendaire, construite avec un grand amour de ce soleil napoléonien vers lequel elle se dresse. Nous regrettons que l’édifice ne soit pas architectural et qu’il soit en somme assez mal protégé contre les intempéries. Du haut de cette tour, de grandes choses peuvent être vues. C’est pourquoi nous avons parlé clair. Abel Gance est un créateur d’images réellement admirable et nous souhaitons qu’il les ordonne un jour au profit d’une œuvre beaucoup moins considérable que cette épopée grandiose. Qu’on ne se méprenne pas sur le sens de ces mots : nous ne voulons pas nous poser ici en apôtre de la mesure et du goût français ; il dit des folies magnifiques, des déséquilibres exaltants. Nous formons seulement le vœu que des poèmes plus concentrés, qui gagneraient en intensité ce qu’ils perdraient en importance, naissent bientôt de cet esprit bien visuel, qui est peut-être destiné pour ceux qui nous suivront à faire figure d’un grand poète lyrique.

dimanche 10 juillet 2011

La Mort du Duc d'Enghien en 1804 (1909)


Un film d'Albert Capellani avec Georges Grand, Germaine Dermoz et Henri Houry

Ce film historique raconte le destin tragique du Duc d'Enghien qui fut arrêté et fusillé sur ordre de Napoléon qui le suspectait de comploter contre lui. Le malheureux duc fut fusillé à Vincennes et son chien fidèle resta prostré sur sa tombe. La copie de la Cinémathèque Française présentée sur le DVD ne comporte pas d'intertitres. On nous indique même qu'ils ont disparus. En fait, la cinémathèque n'a pas dû faire beaucoup de recherches pour les retrouver. L'historien du cinéma Richard Abel indique dans son excellent ouvrage, The Ciné Goes to Town - French Cinema 1896-1914, qu'il a vu une copie du film issue de la National Film Archive, avec des intertitres. Il commente même sur la longueur et la verbosité de ceux-ci. Enfin, même sans intertitres, le film est compréhensible. Il montre un désir d'autheticité fort louable. De nombreuses scènes sont tournées en extérieurs comme l'exécution à Vincennes. Le film est une adaptation d'un pièce montée par André Antoine dans son théâtre, où débuta Capellani. Le film évite le théâtre filmé. Néanmoins, il n'a pas la liberté et la poésie de L'Arlésienne.

L'Arlésienne 1908


Un film d'Albert Capellani avec Jeanne Grumbach, Jean-Marié de L'Isle et Henri Desfontaines

Cette adaptation de l'oeuvre d'Alphonse Daudet a été redécouverte récemment dans la collection de Lobster Films. Précédant le film d'André Antoine de 14 ans, Capellani réussit un petit bijou de poésie. Délaissant les studios, il va sur place pour filmer cette histoire d'amour et de mort dans les vieilles rues d'Arles, aux arènes et dans les oliveraies. On sent déjà un sens de la composition picturale absolument remarquable. On y trouve aussi toutes sortes d'astuces techniques que l'on attendait pas dans un film de 1908. Le jeune Frédéric tombe amoureux fou d'une arlésienne rencontrée aux arènes. Ils se promènent tous deux contemplant la ville, avec un panoramique à 180° d'Arles qui reflète leur amour naissant. Hélas, elle le quitte pour un gardian. Frédéric est désespéré et il n'arrive pas à se débarrasser de l'image de cette femme qui le hante. Nous le voyons assis sous un arbre en plein désespoir et la figure de l'arlésienne apparaît un court instant en surimpression. Ces surimpressions qui reflètent l'obsession de Frédéric deviennent plus complexes alors qu'il est avec sa fiancée Yvette. Soudain, la jeune fille 'devient' l'arlésienne. Il s'enfuit éperdu. Son suicide sera de même provoqué par l'apparition de l'arlésienne dans les bras de son amant. Il court vers eux et tombe du haut de la grange. Il s'écrase à terre, mort. Comme le fera Antoine, nous voyons le personnage de l'arlésienne dès le début du film. Ce n'est pas ce personnage sans visage de la pièce de Daudet. Mais qu'importe ! Capellani réussit à nous faire sentir le mistral qui fait voler les robes des femmes occupées à cueillir les olives. Nous ressentons le désespoir du malheureux Frédéric assis tout seul au bord de la rivière. André Antoine réalisera lui aussi une version en Provence en 1922. Mais son long métrage n'ajoutera rien à ce qu'à fait Capellani en 1908 en seulement 18 min. Sur le DVD de la Cineteca di Bologna, tous les films sont accompagnés par l'excellent pianiste britannique John Sweeney. Il donne à tous les films la couleur requise. Il sait parfaitement doser les transitions et les émotions ressenties par les personnages. Son travail renforce énormément le plaisir ressenti devent cette Arlésienne. Un très beau film.

Le Chemineau 1905


Un film d'Albert Capellani

Cette scène dramatique de 5 min (légèrement incomplète) est le premier film réalisé par Capellani. C'est une adaptation du début des Misérables correspondant au tout début du roman de Victor Hugo lorsque Valjean est accueilli chez monseigneur Myriel et lui vole son argenterie. Capellani adaptera le roman entier en 1912. Mais, ici, avec ce tout petit film de 100m, il réussit à capturer l'essence du personnage de Valjean. Le court-métrage s'ouvre sur un vagabond sous la neige qui s'avance vers nous au point que son visage envahit presque tout l'écran. C'est déjà un plan incroyablement audacieux pour 1905. On lui refuse l'aumône, mais un ecclésiastique lui offre le couvert et le coucher. De nouveau, un mouvement de caméra fort inhabituel nous frappe: un lent panoramique nous emmène du salon à la chambre nous révélant la cloison qui sépare les deux pièces. La scène finale où l'ecclésiastique dit aux gendarmes avoir donné l'argenterie à Valjean a disparu. Mais, avec ces quelques minutes venue d'un autre siècle, nous sommes immédiatement convaincus d'être en face d'un grand cinéaste.

vendredi 8 juillet 2011

L'Homme aux gants blancs 1908


Un film d'Albert Capellani avec Marguerite Brésil, Henri Desfontaines et Jacques Grétillat

Un gentleman-cambrioleur dérobe le collier d'une femme dont il a fait la connaissance peu de temps auparavant. Mais, en s'enfuyant, il perd ses gants blancs. Il sont ramassés par un apache qui va lui aussi voler la même femme...

Ce court-métrage de 1908 montre déjà une maîtrise de la grammaire filmique absolument remarquable. En 1908, DW Griffith commence à peine à réaliser des films alors qu'Albert Capellani est réalisateur depuis 1905. L'intrigue est déjà incroyablement complexe. Le héros du film, ou plutôt l'anti-héros, est un voleur mondain très distingué qui ne sort pas sans gants blancs. C'est cet excès de coquetterie qui le perdra. Alors qu'il séjourne dans un hôtel, il fait commander par un employé des gants blancs qui lui sont livrés sur place. La gantière lui coud elle-même le bouton requis (en gros-plan). Alors que l'employé de l'hôtel appelle au téléphone la gantière, l'écran offre un triptyque, un exemple de triple écran divisé assez incroyable pour 1908 ! Puis, le voleur mondain rencontre une femme dans un restaurant et lui donne rendez-vous. Une fois chez elle, il s'empare de son collier sans qu'elle s'en aperçoive et s'en va tranquillement. Malheureusement pour lui, un 'apache' a repéré la même maison et s'y introduit peu après. Il provoque la mort de la femme. Le voleur est immédiatement suspecté car ses gants blancs, récupérés par l'apache, sont retrouvés sur place. Il est emmené par la police vers un fourgon hippomobile alors que le véritable meurtrier contemple la scène sur le trottoir au milieu des badauds. Voilà un film de 1908 très en avance sur son temps aussi bien du point de vue de l'intrigue que de sa structure. (Nous assistons à une erreur judicière !) Le choix des angles de prise de vue sont très habiles et les 17 minutes ont un rythme soutenu. Voilà un film absolument remarquable qui montre l'avance de Capellani sur d'autres réalisateurs de l'époque.

L'Intrigante 1911


Un film d'Albert Capellani avec Catherine Fonteney et Georges Coquet

La préceptrice (C. Fonteney) d'une petite fille ne songe qu'à se débarrasser d'elle pour épouser son père veuf et fort riche...

Cette intrigue semi-policière montre une odieuse préceptrice, jouée par Catherine Fonteney, qui songe à devenir la femme de son patron tout en flirtant outrageusement avec un autre homme. La petite fille martyrisée va réussir à sortir son père des griffes de l'intrigante grâce à un stratagème fort habile. Alors qu'elle a été enfermée dans une cabane dans le jardin, en punition, elle y observe par un guichet de la porte, les agissement de sa préceptrice avec son amant. Un appareil photo qui se trouve sur place lui permet de prendre un cliché qui confondra l'odieuse créature. A nouveau, le montage et les différents champ et contre-champ nous donne une vision complète de l'intrigue et de la montée du suspense. Un film superbement réalisé.

Le Pain des petits oiseaux 1911


Un film d'Albert Capellani avec Stacia Napierkowska et Edmond Duquesne

Un vieux monsieur qui va donner du pain aux petits oiseaux dans un parc y rencontre une jeune fille affamée (S. Napierkowska). Il décide de l'héberger. Il est pianiste et accompagne une danseuse. La jeune fille montre des dispositions à la danse...

Stacia Napierkowska était une célèbre danseuse de l'Opéra-Comique lorsque Capellani l'embaucha pour jouer dans plusieurs de ses films. Si dans Notre-Dame de Paris (1911) du même Capellani, elle surjoue son Esmeralda, elle est bien plus convaincante dans ce court-métrage. Sa jeune fille des rues se transforme en star de la danse avec conviction et naturel. La rencontre entre son bienfaiteur et elle se déroule dans un parc parisien, sur un banc. Capellani prend même le temps de nous montrer le champ et le contre-champ du vieux pianiste sur son banc. Le reste de l'histoire nous montre l'ascension de la nouvelle étoile de la danse où évidemment le corps gracile et agile de Stacia fait merveille. Puis, après une longue séparation, elle retrouve son bienfaiteur sur le même banc et cette fois-ci, c'est elle qui va prendre soin de lui. On retrouve les mêmes gestes: elle lui offre son manteau comme lui l'avait fait lors de leur première rencontre. C'est à nouveau un petit film parfaitement équilibré et superbement réalisé.

L'Epouvante 1911


Un film d'Albert Capellani avec Mistinguett et Emile Milo

Un actrice (Mistinguett) de retour du théâtre découvre un voleur caché sous son lit...

Ce court-métrage de Capellani offre de nombreux aspects inattendus pour un film réalisé à la fin de 1910. Sur une trame fort simple, Capellani varie les points de vue et réussi à créer le suspense. L'actrice se couche et allume une cigarette. A ce moment-là, la caméra réalise un travelling arrière révélant la présence du voleur sous son lit. Elle jette une allumette et voit, avec effroi, une main sortir sous son lit et s'en saisir. Le plan est réalisé en plongée et en gros-plan, offrant déjà une sorte de vue subjective ce qui est fort rare à l'époque. Puis, le suspense s'accroit alors que le voleur s'échappe par la fenêtre et grimpe sur le toit. Accroché à une gouttière, il risque de mourir quand sa victime compatissante l'aide à remonter à l'aide d'un rideau. Tout cela est filmé avec un montage fort habile et élaboré pour l'époque. Mistinguett est parfaitement naturelle et occupe l'écran avec son charisme habituel. Un cout-métrage qui montre la très grande maîtrise de Capellani chez Pathé.