mercredi 31 décembre 2014

Rouletabille chez les Bohémiens 1922 (III)


Un film en 10 épisodes d'Henri Fescourt avec Gabriel de Gravone, Romuald Joubé, Edith Jéhanne, Joë Hamman, Jean Dehelly et Suzanne Talba

Episodes 7 à 10
Hubert (J. Hamman) a réussi à faire évader Odette (E. Jéhanne) de la caravane des Bohémiens. Comme elle se refuse à lui, il décide de l'emmener à Sever-Turn avec toujours Rouletabille (G. de Gravone) à ses trousses...

Les quatre derniers épisodes de ce Ciné-Roman d'Henri Fescourt confirment l'impression ressentie avec les épisodes précédents. Fescourt se contente de filmer l'intrigue cousue de fil blanc créée par Gaston Leroux, quelque peu en panne d'inspiration. Contrairement à Mathias Sandorf (1921), Les Misérables (1925) et Monte-Cristo (1928) qui sont tous de magnifiques réussites, Rouletabille est nettement moins imaginatif. Les personnages ne sont que des pions qui se déplacent sur un échiquier, sans développement psychologique. Fescourt est également confiné, la plupart du temps, en studio dans ces derniers épisodes ce qui n'arrange rien. Le monde des Bohémiens dans leur ville sacrée de Sever-Turn est à peine esquissé et c'est bien dommage. Quant à nos héros, le travestissement de Rouletabille en femme fatale était vraiment un secret de polichinelle qui n'a surpris aucun spectateur. Bizarrement, le film reprend vie pour une séquence qui semble avoir été ajoutée pour pimenter un plat trop fade, lorsque Joë Hamman lutte à main nue contre un taureau de Camargue. On annonce même cette scène dans l'épisode précédent avec un "teaser" appuyé. C'est là qu'on réalise ce que ce film aurait pu être avec une intrigue moins théâtrale. Hamman est seul face à un taureau (un buffle dans le film) et il montre son talent d'athlète dans un magnifique paysage camarguais qui soudain donne une ampleur insoupçonnée à son personnage ainsi qu'à la fin de ce feuilleton. On réalise alors à quel point le film a manqué de mouvement et de cette étincelle de suspense qui l'aurait fait décoller. Apparemment, Rouletabille a pourtant été apprécié du public de 1922, bien plus que Le Fils du flibustier (1922), un sérial de Louis Feuillade sorti au même moment qui fut un échec. Je crois que Rouletabille pourrait gagner sérieusement en atmosphère avec une copie de meilleure qualité. L'aspect granuleux et légèrement flou ne permet pas d'apprécier la composition visuelle comme il le faudrait. Un Fescourt relativement moyen, mais que je ne regrette pas d'avoir vu.

dimanche 28 décembre 2014

The A.B.C. of Love 1919

Harry (Holmes E. Herbert) et Kate (Mae Murray)
Un film de Léonce Perret avec Mae Murray, Holmes E. Herbert, Dorothy Green et Arthur Donaldson

En séjournant à la campagne, le dramaturge Harry Bryant (H.E. Herbert) fait la connaissance de Kate (M. Murray) une orpheline qu'il fait engager dans une auberge voisine. Harry tombe amoureux de la jeune sauvageonne et l'épouse. Le retour en ville est difficile pour la jeune épouse illettrée qui, de plus, doit faire face à une rivale Diana Nelson (D. Green)...

Harry et Kate ne se parlent plus
En 1919, Léonce Perret produit ses propres films dont il écrit lui-même les scénarios. Celui de The A.B.C. of Love n'est certes pas très original, mais, comme toujours, ce qui fait le charme des films de Perret est présent dans cette délicieuse comédie matrimoniale. La direction d'acteurs est absolument remarquable tout autant que la composition de chaque séquence. Une toute jeune Mae Murray, cheveux blonds en bataille, nous rappelle exactement Mary Pickford dans son rôle de sauvageonne. Il est d'ailleurs évident qu'elle s'inpire de Mary. Il y a une grande fraîcheur dans son personnage de jeune fille bien loin de la vedette minaudante qu'elle deviendra plus tard. De même, Holmes E. Herbert est nettement plus spontané et naturel que dans ses futurs rôles de "père la morale" comme dans A Woman of the World (1925) de Mal St. Clair. On suit donc avec intérêt le bonheur suivi des déboires conjugaux de Harry et Kate, même si on devine rapidement le dénouement. La première partie champêtre est très enlevée et charmante avec un rythme soutenu et primesautier à l'image de la jolie Kate qui arrive tel un tourbillon dans la vie bien rangée d'Harry. Dans la deuxième, elle tente maladroitement de se faire accepter de la bonne société citadine. Sa rivale est rouée et cherche à utiliser son époux à des fins d'ambition personnelle. Perret amène le rapprochement des deux époux avec infiniment de délicatesse, sans forcer le trait. Le film contient nombre d'idées de mise en scène comme celle où les deux époux séparés par un mur se lamentent chacun de leur côté ou lorsque Kate rêve du livre qu'elle vient de lire et se revoit soudain aux beaux jours de sa romance avec Harry en vignette. La photo signée Alfred Ortlieb est absolument remarquable avec tous les atouts habituels de Perret: contre-jours, extérieurs éclairés par le soleil et mise en valeur du décor par des clair-obscurs. Une délicieuse comédie visible sur le site European Film Gateway dans une belle copie néerlandaise.
L'alphabet de l'amour...

samedi 27 décembre 2014

Rouletabille chez les Bohémiens 1922 (II)

Un film en 10 épisodes d'Henri Fescourt avec Gabriel de Gravone, Romuald Joubé, Edith Jéhanne, Joë Hamman, Jean Dehelly et Suzanne Talba

Episodes 4 à 6
Rouletabille (G. de Gravone) part à la recherche d'Odette (E. Jéhanne) qui a été enlevée par les Bohémiens en partance pour leur sanctuaire de Sever-Turn en Europe Centrale. De son côté, Hubert (J. Hamman) est lui aussi sur ses traces...

Rouletabille (G. de Gravone)
face à un masque mystérieux chez Hubert
Les trois épisodes suivants mettent en valeur le jeune Rouletabille, espiègle et malicieux, qui n'hésite pas à donner de sa personne dans ses enquêtes. Il est jeté d'un train en marche par Andrea (R. Joubé) et Callista (S. Talba). Il utilise aussi divers déguisements, souvent cocasses, pour tenter de passer inaperçu. Il a finalement recours au travestissement pour amadouer son concurrent Hubert. Dans le rôle de ce dernier, Joë Hamman montre ses talents de cavalier et de cascadeur en attrapant un train en marche à dos de cheval. Cependant, les acrobaties et les retournements de situation ne sont pas aussi soutenus qu'on aurait pu l'espérer. Fescourt introduit un humour bienvenu avec un Gabriel de Gravone très à l'aise en détective, mais il n'a pas toujours un scénario à la hauteur. L'intrigue patine quelque peu et le rythme s'en ressent. La qualité de la copie n'est malheureusement pas optimale; elle est teintée, mais elle manque de netteté et de définition. Certaines séquences qui devaient avoir une réelle atmosphère, telle que la danse nocturnes des Bohémiens autour d'un feu, en souffrent. Sinon, on peut reconnaître à Fescourt une réelle intelligence dans le choix de ses interprètes. Edith Jéhanne, avec son allure féline et ses yeux en amande, est une Odette parfaite, à la foie ingénue et mystérieuse. De Gravone, que j'ai vu tant de fois dans des rôles dramatiques comme Marius dans Les Misérables (1913) ou Frédéric dans L'Arlésienne (1922), est bien plus à l'aise dans le registre comique. Quant à Joë Hamman, c'est une figure à part dans le cinéma français des années 1920. Sa haute silhouette mince et athlétique suggère plus les héros américains du grand écran et cela donne un relief particulier à son personnage. Romuald Joubé, qui fut l'interprète de Gance, d'Antoine et de Raymond Bernard, est ici plus en retrait en Bohémien tourmenté et un peu frustre, mais parfaitement crédible. Il n'y a maintenant plus qu'à espérer que l'intrigue retrouve un peu de tonus pour les quatre derniers épisodes. Selon Fescourt, Gaston Leroux se serait inspiré de légendes tziganes pour l'écriture de son feuilleton. Il y a effectivement un potentiel intéressant dans cette histoire de prophétie dans le livre saint des Bohémiens annonçant l'arrivée d'une "nouvelle reine" qui se trouve incarnée en Odette par une curieuse coincidence. Pourtant, cet élément prophétique à la limite du surnaturel n'est guère exploité jusqu'à présent. A suivre!

mercredi 24 décembre 2014

Rouletabille chez les Bohémiens 1922 (I)

Un film en 10 épisodes d'Henri Fescourt avec Gabriel de Gravone, Romuald Joubé, Edith Jéhanne, Joë Hamman, Jean Dehelly et Suzanne Talba

Episodes 1 à 3
Jean de Santierne (J. Dehelly) s'apprêter à quitter sa maîtresse, la bohémienne Callista (S. Talba) pour épouser Odette (E. Jéhanne). Callista lui jure qu'elle se vengera. De son côté, Hubert de Lauriac (J. Hamman) convoite lui aussi Odette et semble prêt à tout pour obtenir sa main. C'est alors que le père d'Odette est retrouvé mort dans son jardin. Odette a disparu. L'ami de Jean, Joseph Rouletabille (G. de Gravone) entre en scène...

Henri Fescourt a travaillé pendant de nombreuses années pour la société des Cinéromans dirigée par Jean Sapène, le patron du journal Le Matin. En 1921, il avait déjà réalisé une excellente adaptation en épisodes de Mathias Sandorf, dont il ne reste qu'un fragment de 2h1/2. En 1922, il s'attaque à un roman de Gaston Leroux avec son personnage fétiche, le journaliste - détective à ses heures - Joseph Rouletabille. Comme tout bon roman-feuilleton, il commence par un prologue qui nous donne des clés sur un objet précieux qui a été dérobé par Hubert de Lauriac (J. Hamman), un aventurier sans scrupules. Il a pris le "Livre des Ancêtres", un manuscrit religieux précieux des gitans pour s'emparer des joyaux qui le décorent. Le premier épisode d'exposition est quelque peu académique et nous fait découvrir les différents protagonistes dans leur environnement. Il y a d'un côté le jeune Jean de Santierne (J. Dehelly), issu d'une bonne famille et son ami Rouletabille (G. de Gravone). On contraste la pure jeune fille Odette (E. Jéhanne) et la bohémienne machiavélique Callista (S. Talba). Les deux femmes déchaînent les passions. Celle d'Andrea (R. Joubé), un bohémien qui a été repoussé par Callista et celle d'Hubert qui rêve de posséder Odette. La trame étant maintenant établie, le deuxième épisode montre un Fescourt nettement plus en train. Il emmène ses héros aux Saintes-Marie-de-la-mer et à Arles où les événements vont se succéder. Rouletabille est interprété par Gabriel de Gavrone qui donne au jeune reporter humour et vivacité. On reconnait avec plaisir le premier cow-boy du cinéma français Joë Hamman - héros de nombreux films de Jean Durand dans les années 1910 - qui est ici un méchant mais avec panache. La fragile Edith Jéhanne, qui tourna si souvent avec Raymond Bernard, est la victime parfaite avec son visage triangulaire à la Lillian Gish. Fescourt introduit pas mal d'humour dans les épisodes 2 et 3 opposant le malicieux Rouletabille et un juge bedonnant qui passe de bar en bar pour engloutir des verres de bière. Le récit est maintenant bien lancé dans les superbes paysages de la Camargue.  J'attends la suite avec impatience. A suivre!

mardi 23 décembre 2014

The Other Half 1919

Katherine (Florence Vidor) au chevet de Jenny (Zasu Pitts)
Un film de King Vidor avec Florence Vidor, Zasu Pitts, David Butler et Charles Meredith

Donald Trent (C. Meredith) revient profondemment changé du front européen avec son ami Jimmy (D. Butler). Bien que Donald soit le fils du patron, il insiste pour être un simple employé dans l'usine de son père auprès de Jimmy. Mais, suite au décès de son père, Donald doit assumer la direction de la société. Il oublie peu à peu ses anciens amis au grand dam de sa fiancée Katherine (F. Vidor) qui est devenue reporter...

Katherine (F. Vidor)
En 1919, King Vidor est un tout jeune metteur en scène. Cependant son premier long métrage The Turn in the Road (1919) (qui est malheureusement perdu) a eu énormément de succès pour son message humaniste imprégné de 'Science Chrétienne' qui montrait la vie de tous les jours. Le cinéaste est persuadé que le cinéma a un message important à faire passer. Lors du tournage de son troisième film, The Other Half, il expliquait sa philosophie: "Je crois au cinéma qui va aider l'humanité à se libérer des chaînes de la peur et de la souffrance qui l'entravent depuis si longtemps. Je me refuse à produire un film qui contiendrait quoi que ce soit qui serait éloigné de la vérité humaine, quoi que ce soit qui blesserait quelqu'un et toute chose qui serait impure en pensée ou en action." On pourrait penser que Vidor veut prêcher la bonne parole. En fait, il n'en est rien. Il y a seulement chez lui ce désir de montrer la vie des gens telle qu'elle est sans chercher à la travestir. Son film est à consonnance sociale sans être prêchi-prêcha. Le titre fait référence aux deux parties de la société qui s'ignorent: les possédants et les employés. Il veut promouvoir la compréhension entre celles-ci avec son film. Ce qui frappe d'abord dans The Other Half, le plus ancien long métrage de Vidor qui nous soit parvenu, c'est la grande simplicité et la justesse de ses acteurs. Ils les placent dans un environnement quotidien et nous les montre en train de déjeuner assis par terre avec leur boîte. Les deux actrices principales sont particulièrement remarquables.
Un magnifique gros plan de Jenny (Zasu Pitts)
La jeune Jenny (une merveilleuse Zasu Pitts) est la petite amie de Jimmy et travaille dans une laverie . Un jour, elle s'effondre épuisée et elle est prise en charge par Katherine, issue d'un milieu favorisée, qui découvre avec tristesse son appartement. Vidor apporte une foule de petits détails qui en disent long sur le personnage. Une malheureuse plante en pot est en train de mourir sur le bord de la fenêtre et Jenny réclame son phonographe pour écouter du jazz, sa seule distraction. Florence Vidor joue la jeune femme issue de la bonne société mais qui reste sensible à la vie des employés, d'où son choix de devenir reporter. Vidor utilise une parabole en montrant le chemin parallèle des deux anciens soldats issus de milieux opposés. Jimmy perd la vue suite à la négligence de son ancien ami Donald qui a négligé de faire réparer un mur qui s'est effondré sur lui. Donald est devenu lui aussi aveugle à la souffrance de ses employés. Sur cette belle et unique copie néerlandaise, la fin du film est manquante. En fait, tout est bien qui finit bien: Jimmy va recouvrer la vue et Donald va retrouver son empathie pour lui grâce à un article de Katherine. Ce beau film de Vidor montre qu'il a été un observateur attentif de la vie de tous les jours bien avant son chef d'oeuvre The Crowd (1928). A voir sur le site European Film Gateway. Un vrai bonheur.

lundi 22 décembre 2014

The Craving 1918

Caroll Wayles (F. Ford) se dédouble dans son delirium tremens
Un film de Francis Ford avec Francis Ford, May Gaston, Peter Gerald, Duke Worn et Jean Hathaway

Le chimiste Carroll Wayles (F. Ford) a développé un puissant explosif qui est convoité par Ala Kasarib (P. Gerald). Ce dernier décide de faire boire Wayles dont il sait l'addiction à l'alcool avec l'aide de sa pupille Beulah Grey (M. Gaston)...

Wayles (F. Ford) obsédé par l'image de Miss Grey (M. Gaston)
Francis Ford (1881-1953) est un des grands oubliés de l'histoire du cinéma. Pourtant, Francis est celui qui a formé son célèbre frère John Ford à la mise en scène. Il ne reste guère de films de lui à part quelques westerns courts produits par Thomas H. Ince tels que le magnifique The Invaders (1912) et Custer's Last Fight (1912). Parmi les longs métrages qu'il a réalisé seul The Craving (1918) a survécu sous la forme d'une belle copie teintée néerlandaise. Francis Ford est un auteur complet: il a écrit le scénario, réalisé le film et joué le rôle principal. Son frère, qui se fait appeler Jack dans ce temps-là, est assistant sur le tournage. L'histoire de The Craving est assez tarabiscotée, mais est surtout le prétexte à de nombreuses séquences de trucage qui sont superbement réalisées. Le héros est alcoolique et parfois sujet à des crises de delirium tremens. Durant l'une de ses crises, il voit un groupe de femmes s'ébattrent dans son verre et dans la bouteille qu'il vient de boire. Une autre fois, il se dédouble sans pouvoir contrôler cette autre image de lui. Bien que l'intrigue principale se déroule principalement en studios, le récit nous emmène par moment sur les champs de bataille européen ou lors d'une révolte en Asie. Ces courtes séquences montrent que Francis Ford avait un sens très sur de la composition visuelle et des scènes d'action. La scène finale est finalement assez banale avec le héros qui réussit à vaincre le traître oriental et à libérer la malheureuse Beulah de son emprise.
Ala Kasarib (P. Gerald) et Beulah Grey (M. Gaston)
Cependant, tout le long du film on remarque des plans particulièrement remarquables comme celui-ci où Beulah tente d'échapper à son tuteur maléfique (voir ci-contre). Il ne fait aucun doute que Francis Ford était metteur en scène et un acteur de talent qui a certainement apporté énormément à son frère John. Malheureusement, sa carrière déclina rapidement et il la termina en tant qu'acteur secondaire spécialisé dans les rôles de vieil alcoolique, souvent dans les films de son frère. Il ne fut pas le seul dans ce cas. De nombreux pionniers des années 1910 devinrent des acteurs secondaires dans les années 1930. L'industrie du cinéma est sans pitié pour les pionniers. On peut visionner The Craving sur le site European Film Gateway.

samedi 20 décembre 2014

Cameo Kirby 1923

Un film de John Ford avec John Gilbert, Gertrude Olmstead et Alan Hale

Cameo Kirby (J. Gilbert) est accusé d'avoir provoqué le suicide du Colonel Randall (Eric Mayne) qui avait perdu sa propriété au poker avec lui. C'est en fait un nommé Moreau (A. Hale) qui la convoitait lui-même qui l'accuse et va tenter de l'éliminer...

Adele Randall (G. Olmstead) et
Cameo Kirby (J. Gilbert)
Cette production Fox est le film le plus important en termes de moyens de John Ford avant The Iron Horse (Le Cheval de fer, 1924). Le film n'a survécu que sous la forme d'une copie tchèque tronquée (il doit manquer env. 20 min) avec de longs intertitres bavards en tchèque (traduits une fois sur deux lors de la projection). Malgré cet obstacle, l'intrigue n'est pas difficile à suivre car on y retrouve tous les poncifs des romances sudistes au bord du Mississippi avec les joueurs portant beau, les bateaux à aube, les belles énamourées en crinoline et, bien entendu, le traître qui cache bien son jeu. Le film contient une course entre deux bateaux sur le fleuve dont des séquences furent réutilisées ultérieurement par Ford pour Steamboat Round the Bend (1935). Si l'on excepte une séquence de duel au milieu des arbres et la rencontre de l'héroine et de son prince charmant dans le miroir de l'eau d'un puits, le reste du film est quand même bien banal, même à l'aune de 1923. John Gilbert était déjà une étoile naissante qui allait briller de tous ses feux à partir de The Big Parade (La Grande parade, 1925). Ici, il n'a pas grand chose à faire à part porter beau ses vêtements seyants de gentleman sudiste à la Rhett Buttler. Lors de sa sortie, les critiques parlèrent d'un film sans atmosphère qui générait l'ennui. Il faut dire que l'histoire s'enlise rapidement et manque d'action. On reste confiné en studio bien trop longtemps. Cameo Kirby n'est pas un grand Ford, ni un grand Gilbert. Un rendez-vous raté.

jeudi 11 décembre 2014

Straight Shooting 1917

Cheyenne Harry (Harry Carey)
Un film de John Ford avec Harry Carey, Molly Malone, George Berrell, Hoot Gibson et Vester Pegg

Thunder Flint (Duke R. Lee), à la tête du clan des éleveurs de bétail, souhaite chasser de ses terres le fermier Sweet Water Sims (G. Berrell). Il engage un tueur du nom de Cheyenne Harry (H. Carey) dont la tête est mise à prix...

Le duel entre Harry et Fremont (Vester Pegg)
En 1917, John Ford commence à réaliser des westerns de deux bobines pour la Universal avec son complice l'acteur Harry Carey. Après seulement quelques mois d'apprentissage, il réalise un premier long métrage de 5 bobines, la longueur habituelle de ces années-là. Straight Shooting n'offre pas un scénario d'une grande originalité, c'est l'habituel conflit éleveur-fermier qui y est développé. Ford se concentre moins sur la psychologie des personnages que sur la méchanique de l'action westernienne. Il faut replacer le film dans son contexte. En 1917, il y a une figure qui domine le genre du western de la tête et des épaules, c'est William S. Hart. Ses films sont des modèles dramatiques et visuels offrant des personnages complexes de mauvais garçons qui acceptent de se réformer souvent pour l'amour d'une femme. Le personnage de Cheyenne Harry joué par Harry Carey est un peu similaire en ce qu'il est un tueur recherché qui va changer de camp pour les beaux yeux de Joan (Molly Malone). Cependant, Carey n'a pas du tout le charisme de Hart et ressemble plus à un fermier sympathique (ce qu'il était dans la vie) qu'à un tueur de sang froid. Au fond, il correspond bien aux personnages romantiques et sentimentaux qu'affectionnait Ford, là où Hart était plus noir et plus torturé. En fait, pour schématiser, on pourrait dire que Carey est l'ancêtre de John Wayne quand Hart annonçait déjà Clint Eastwood. A sa sortie, la presse professionnelle a fait un très bon accueil au jeune réalisateur. On peut lire ainsi: "Il faut féliciter l'auteur et le réalisateur pour avoir sélectionné des scénes et des situations fascinantes pour le film. Le panorama westernien est présenté avec une photo claire et attrayante et les épisodes de chevauchées et de bagarre sont jouées avec élan et enthousiasme." C'est donc bien le rythme rapide du film avec son montage inspiré de Griffith qui a attiré l'attention. La scène du duel entre Harry et Fremont est de ce point de vue représentative du montage de Ford avec une succession de plans courts et de gros plans des visages des protagonistes. Un western tout à fait intéressant.

mercredi 3 décembre 2014

Le Roman de la midinette 1916

Un film de Louis Feuillade avec Musidora et Lise Laurent

La femme du capitaine Ferry (L. Laurent) accueille chez elle la veuve et la fille Jeanne (Musidora) d'un soldat du régiment de son mari. Jeanne est atteinte de phtisie et pleine de notions romatiques. Elle entame secrètement une correspondance avec un soldat esseulé...

Ce court-métrage de Feuillade offre à Musidora un rôle à sa mesure. A la fois femme-enfant innocente et rouée, elle rêve du grand amour en se lançant à corps perdu dans une correspondance avec un soldat qu'elle n'a jamais vue. La belle phtisique ne réussit pas à surmonter son chagrin en apprenant que celui qu'elle aime en secret est gravement blessé et risque de mourir. Il semble que quelques séquences manquent à l'appel au moment où elle apprend la nouvelle, ce qui affadit un peu le propos. Cependant, ce joli court-métrage réussit à nous intéresser jusqu'à  son dénouement. Un Feuillade mineur mais intéressant pour son interprétation.

L'Autre victoire 1914

Un film de Gaston Ravel avec Jeanne-Marie Laurent et Musidora

Jeanne Ducastel (J.-M. Laurent) est veuve et souhaite se remarier avec le Dr. Gauthier, lui aussi veuf, avec une fille adolescente Christiane (Musidora). Le fils de Jeanne n'accepte pas cett union et rompt toute relation avec sa mère...

Tout comme ses confrères de la Gaumont, Feuillade et Perret, Gaston Ravel réalisait aussi des courts-métrages patriotiques au sein de la firme. Il utilisait les mêmes acteurs que ses collègues. Et on a donc la surprise de retrouver Musidora, à jamais associée aux personnages vénéneux des sérials de Feuillade, en jeune adolescente innocente avec anglaises à la Mary Pickford. Gaston Ravel n'a pas le talent de ses confrères en terme de réalisation. Il est plus banal et moins ambitieux. Cependant, L'Autre victoire n'est pas dépourvu d'intérêt. Tourné en extérieurs dans le sud de la France, il permet d'apprécier le talent de Jeanne-Marie Laurent en mère déchirée. L'intrigue est simple, mais elle ne tombe pas dans la mièvrerie. Musidora réussit à réconcilier la mère et le fils par l'intermédiaire de leur demi-soeur sans tomber dans le pathos. Dans un autre film court de Ravel intitulé Le Grand souffle, Musidora apparaissait aussi à contre-emploi en chanteuse d'opéra en vacances qui ramenait dans le droit chemin un 'nervi' marseillais interprété par René Navarre. Un court-métrage sympathique.

Marraines de France 1915

Madeleine (F. Fabrèges) déguisée en domestique
Un film de Léonce Perret avec Fabienne Fabrèges, Armand Dutertre et Valentine Petit

Sur une place méditerranéenne, on organise une tombola parmi de jolies baigneuses pour choisir des marraines de guerre pour les soldats au front sans famille. Madeleine (F. Babrèges) doit écrire à un certain Jacques Bertin...

Ce court-métrage de Léonce Perret a l'avantage par rapport à de nombreuses bandes patriotiques de l'époque d'être une comédie. Même si l'on s'intéresse aux marraines de guerre, Perret réussit à injecter de l'humour dans les situations. Ainsi un groupe de jeunes femmes délurées deviennent par jeu des marraines d'inconnus. La jolie Madeleine (Fabienne Fabrèges) ment à son 'filleul' en lui faisant croire qu'elle est une vieille dame. Si bien que la visite de l'intéressé se transforme en vaudeville avec Madeleine qui échange son identité contre celle de sa domestique plus âgée. Evidemment, elle regrette vite cette supercherie et avoue au beau soldat sa véritable identité. Madeleine épouse donc Jacques qui retourne au front le jour même. Même si l'intrigue prend un tour tragique avec la blessure de Jacques, les amoureux sont cependant réunis après la guerre du soldat. Le film a été reconstitué récemment; mais bizarrement un certains nombres de scènes (visibles sur le site Gaumont-Pathé Archives) ont été éliminées de cette restauration. C'est un peu dommage car elles permettaient de suivre mieux la supercherie organisée par Madeleine. En tout état de cause, il s'agit d'une délicieuse comédie superbement interprétée par Fabienne Fabrèges, l'interprète préférée de Perret dans ces années de guerre. Le metteur en scène montre, une fois de plus, sa supériorité sur ses collègues français par la qualité de ses éclairages, sa direction d'acteur remarquable et son sens comique et dramatique.

mardi 2 décembre 2014

Alsace 1916


Un film d'Henri Pouctal avec Gabrielle Réjane, Albert Dieudonné, Francesca Flory, Camille Bardou et Berthe Jalabert

1872. L'Alsace est annexée par l'Allemagne. M. et Mme Obey (M. Barbier et Gabrielle Réjane), des patriotes alsaciens, chantent la Marseillaise à tue-tête ce qui leur vaut une expulsion vers la France. Leur fils Jacques (A. Dieudonné) reste au pays pour diriger la filature familiale. Il tombe amoureux de Marguerite Schwarz (F. Flory) la fille de ses voisins allemands...

En 1913, la grande comédienne Gabrielle Réjane crée la pièce de Gaston Leroux Alsace. Trois ans plus tard, la pièce est adaptée au cinéma par la société Film d'Art avec le metteur en scène Henri Pouctal. On a oublié de nos jours l'importance de Réjane qui était la seule vedette internationale française à côté de Sarah Bernhardt, la seule qui fasse également des tournées internationales. Contrairement à la grande Sarah dont les mimiques théâtrales paraissent horriblement surranées sur grand écran, Réjane montre qu'elle a compris qu'il faut modérer son expression au cinéma. Au lieu d'être dirigée par le tâcheron de service (Louis Mercanton) comme Sarah, Réjane est dirigée par un excellent réalisateur en la personne de Pouctal. Même si elle est la vedette du film, elle n'étouffe pas ses partenaires. Le récit patriotique de ce film bien que nationaliste, n'est pas aussi outrancier qu'on pouvait le redouter. Certes, on y retrouve les clichés sur les Allemands buveurs de bière et ripailleurs, mais les voisins Schwarz (joués par Camille Bardou et Berthe Jalabert) sont des petits bourgeois sympathiques et en aucun cas des Teutons sanguinaires et caricaturaux. Cependant, les différences de culture sont soulignées par le couple formé par Jacques, interprété par un tout jeune Albert Dieudonné, et son épouse Marguerite qui se disputent à tout bout de champ. L'aigreur est attisée par l'intense inimitié entre la femme et la redoutable belle-mère que joue Réjane. La déclaration de guerre en 1914 fait exploser toutes les rancoeurs. La femme et la mère se disputent le pauvre et faible Jacques qui est sommé de choisir son camp. Il n'en aura pas le temps et sera victime de la brutalité Allemande. J'ai été impressionnée par le charisme de Réjane qui donne à son personnage de mère abusive une dimension remarquable. Elle a un visage mobile et expressif et montre un talent naturaliste dans l'expression. Le jeune Albert Dieudonné, le futur Napoléon de Gance, montre son talent d'acteur. Il est par moment encore un peu théâtral, mais il sait déjà suggérer son émoi face à sa puissante mère. La copie teintée issue du Filmmuseum d'Amsterdam était de belle qualité et permettait d'apprécier le talent de composition de Pouctal. Il savait créer une réelle profondeur de champ avec des actions simultanées qui en disaient long sur les sentiments des personnages, comme lorsque Dieudonné au premier plan se morfond en présence de sa belle-famille qui festoie à l'arrière-plan. La scène finale a une certaine grandiloquence patriotique alors que Réjane, en grand deuil vêtue à l'Alsacienne, se réjouie de l'arrivée des troupes françaises en Alsace sur la tombe de son fils. Un film tout à fait intéressant qui m'a permis de découvrir Réjane.