jeudi 28 décembre 2006

The White Sister (La soeur blanche) 1923

Un film de Henry King (1923)

Cette superproduction indépendante voulue par Lillian Gish, tournée entièrement en Italie, est un film à redécouvrir d'urgence. Mais, il faut absolument voir la version en dix bobines qui seule donne une idée de la construction magistrale d'Henry King. La lecture d'un résumé du film donne des sueurs froides et évoque les pires excès des mélodrames à base de nonnes. Mais, la vision du film révèle un film intimiste sans excès de sentimentalité avec une construction dramatique remarquable et une violence qui évoque, dans le même registre du conflit de la religion et des passions humaines, ces grandes réussites que seront Heaven Knows, Mister Allison (Dieu seul le sait, 1957) de John Huston ou The Black Narcissus (Le narcisse noir, 1947) de Powell et Pressburger.
Henry King découvrit Ronald Colman sur scène, à Broadway en 1922, dans une pièce d'Henri Bataille, La Tendresse, et l'engagea après un bout d'essai pour le rôle principal masculin de son film. Il a l'idée de lui dessiner avec un crayon de maquilleur une fine moustache juste au dessus de la lèvre supérieure. Cette légère modification de son apparence deviendra une sorte de symbole de l'acteur autant que celle de Charlie Chaplin. Katherine Hepburn, habillée en garçon dans Sylvia Scarlett, ne demande-t-elle pas à Dennie Moore de lui dessiner une fine moustache à la Ronald Colman?

Le tournage à Rome, Naples et Capri dure sept mois. Le cameraman Roy Overbaugh capture admirablement la lumière italienne donnant au film une authenticité d'atmosphère qu'un tournage en studio lui aurait dénié. Le grand photographe James Abbé est l'auteur des admirables photos de plateau réalisées durant le tournage.
La première partie du film nous montre la vie indolente de l'aristocratie italienne de l'époque avec ses chasses à cour. Lillian Gish est la fille espiègle et insouciante du prince Chiaromonte (Charles Lane) amoureuse du capitaine Giovanni Severi (Ronald Colman). Leur rendez-vous sur le mur du jardin au son des musiciens des rues est empreint d'une sérénité et d'une douceur accentuant le contraste avec la violence de la seconde partie du film. Le fil du récit met constamment mis en parallèle les évènements introduisant un suspense et donnant un rythme au film qui rappelle les meilleurs romans d'Alexandre Dumas père. Angela (Lillian Gish) va mûrir brusquement avec la mort soudaine de son père et la découverte de la jalousie maladive de sa demi-soeur (une Gail Kane venimeuse à souhait) qui la chasse du palais. Déniée de son héritage, seule au monde, elle se raccroche au seul être qui l'aime encore, Giovanni. Las, il doit partir en mission en Afrique du Nord. Sa mort étant annoncée, par erreur, Angela ne peut réagir et reste en état de transe, incapable de verser une larme. Dans une scène aussi émouvante que celle de Broken Blossom (Le lys brisé, 1919), Lillian Gish couvre de baisers le portrait de Giovanni et réalise enfin qu'il reviendra plus. Le buste appuyé sur la toile, elle verse les premières larmes qui vont la guérir. Angela décide de prendre le voile. La cérémonie des voeux est filmée dans son intégralité, entrecoupée par des plans de Giovanni de retour de captivité. Son visage inquiet contraste avec la sérénité d'Angela toute de blanc vêtue. La scène pivot du film est amenée avec un habilitée remarquable. Giovanni doit se rendre à l'hôpital où travaille Angela, tous deux ignorant le sort de l'autre. Leur confrontation est retardée accroissant le sentiment de frustration du spectateur. Ils sont tous deux dans la même pièce, mais ne se voient pas. Puis, elle lui parle, mais, aucun des deux ne reconnaît l'autre de prime abord. Après une longue minute, Giovanni impulsivement la prend dans ses bras. Affolée, elle s'enfuit telle un oiseau pris au piège, courrant dans les longs couloirs du couvent. Giovanni soudain se révèle un être de passion, incapable de se contrôler et d'accepter la perte d'Angela. Un gros plan de Giovanni, le visage fermé, entrecoupe le récit. Il tripote nerveusement un revolver. King utilise brillamment en contrepoint l'éruption imminante du Vesuve, tout proche, comme si les passions humaines provoquaient en miroir le bouillonnement de la nature environnante. Giovanni réussi à faire venir Angela chez lui sous un faux prétexte. Il utilise prières, menaces pour la faire renoncer à ses vœux. La scène est rythmée comme le serait le duo d'un opéra de Giuseppe Verdi avec un sentiment de flux et de reflux. Puis, voyant que ses efforts sont vains, il laisse repartir Angela. L'éruption du Vésuve provoque le cataclysme final qui engloutit Giovanni.

On peut se procurer une copie de ce film en DVD-R auprès de Sunrise Silents.


















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