mercredi 12 juin 2019

Travail 1919

Luc Froment (Léon Mathot)
Un film en 7 épisodes d'Henri Pouctal avec Léon Mathot, Huguette Duflos, Raphaël Duflos, Camille Bert, Marc Gérard et Claude Mérelle

L'ingénieur Luc Froment (L. Mathot) est appelé par son ami Martial Jordan (M. Gérard) qui possède une mine et une aciérie pour expertiser sa propriété. Froment découvre la misère et le labeur des ouvriers qui sortent tout juste d'une longue grève dans l'usine sidérurgique voisine. Il décide de prendre en charge la mine et l'aciérie en y développant une nouvelle vision moderne du travail où les ouvriers peuvent vivre correctement...

(1860-1922)
Ce magnifique film adapté d'Emile Zola est une des oeuvres majeures du cinéma muet français. Le metteur en scène Henri Pouctal y fait montre d'un talent de conteur et d'un lyrisme remarquable. Je ne connaissais jusqu'à présent le film que sous la forme d'une version de 2h30 très condensée. La Fondation Pathé a eu l'excellente idée de programmer la version complète en 7 parties qui démontre, encore mieux que la version courte, l'ampleur, le souffle et la maîtrise de ce réalisateur oublié. Tourné en grande partie au Creusot, le film conjugue une vision documentaire du travail des ouvriers sidérurgistes avec une vision chorale des personnages de Zola dans toutes les classes de la société. Grâce à sa durée, Pouctal peut aisément dresser le portrait des multiples personnages qui peuplent le roman. Luc Froment, l'ingénieur qui vient de Paris, nous fait découvrir pas à pas le petit peuple de la vieille ville du Vieux Beauclair avec ses petites rues insalubres, sa rivière polluée et les bistrots où les ouvriers viennent dépenser leur paie avant même de nourrir leur famille. Puis, nous découvrons la classe dominante où se croisent un directeur d'usine dévoué et des fils de famille qui dilapident la fortune familiale. Ces deux sociétés ne se croisent jamais - ou presque- et le seul qui fait le lien entre ces deux mondes, c'est l'ingénieur venu d'ailleurs. Il découvre rapidement les conditions inhumaines faites aux ouvriers avec leur maigre paie, leur habitat insalubre, l'alcoolisme et la violence. Pétri d'idéalisme, Froment décide de construire une cité ouvrière modèle où chaque famille aura un petit jardin où cultiver ses légumes, une maison neuve et l'accès à la culture avec une école et une bibliothèque. Mais, cette belle création va heurter les bourgeois qui vivent de la misère du bas peuple, en particulier les commerçants et patrons de bistrots poussés par les propriétaires de l'usine voisine. Il est traîné en justice pour avoir capté l'eau (polluée) de la rivière pour son usine. Bien qu'il gagne son procès, il traverse la ville sous les huées, les jets de pierre et les crachats d'un peuple qui ne reconnaît pas son oeuvre. Au sein de chaque communauté, évitant le manichéisme, on trouve des hommes et femmes généreux et d'autres pétris de mépris ou de haine. Froment reste, en quelques sortes, en retrait comme un étranger. Il observe avec bonheur que les enfants de toutes les classes peuvent se retrouver en cachette pour jouer ensemble en évitant le mépris de classe des adultes. Le montage du film est extrêmement élaboré pour l'époque, conjuguant flash-backs, montage parallèle et court inserts qui montre l'acier en train d'être forgé. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'usine dont s'occupe Froment forge des rails et des charpentes métalliques quand son concurrent se concentre sur les canons et les obus. Les trois premières parties de ce film sont absolument magistrales. Je ne verrais malheureusement pas les quatre dernières parties. Mais le film sera certainement projeté de nouveau un de ces jours et il faut y courir!
Josine (H. Duflos) remercie Luc (L. Mathot)