mardi 14 février 2012

Wings 1927

Les Ailes
Un film de William A. Wellman avec Charles Buddy Rogers, Richard Arlen et Clara Bow

Hier, j'ai découvert le nouveau DVD Paramount de Wings. Je connaissais déjà le film sous différentes versions. En 2007, TCM US avait diffusé une version N&B assez laide (et en plus avec une image recadrée et légèrement écrasée) avec la partition pour orgue de Gaylord Carter. L'effet avait été soporifique. Heureusement, j'ai pu ensuite découvrir le film avec la version Photoplay teintée accompagnée par la partition orchestrale étincelante de Carl Davis. Quelle différence ! J'avais été émue et émerveillée là où j'avais ressenti un ennui poli. J'ai donc hier regardé - et écouté- avec intérêt la version Paramount qui est équipée de la partition originale (reconstituée) de J.S. Zamecnik.
Vieux master N&B recadré
Copie Photoplay teintée 1993
Copie teintée DVD Paramount 2012

Tout d'abord, l'image est réellement superbe. Mais, si je la compare avec la version Photoplay, on voit que les éléments que possédait la Paramount étaient de grande qualité. Ils ont pu stabiliser l'image et enlever les quelques scories qui restaient. Il y a une légère différence dans le teintage (numérique probablement). Ensuite, je me suis concentrée sur la partition. Et là, il y a beaucoup à dire. Je vais essayer de décrire les différentes interprétations de quelques scènes cruciales.

L'adieu de David  à ses parents:
Dans cette scène, nous voyons David (Richard Arlen) dire adieu à ses parents (Julia Swayne Gordon et Henry B. Walthall) alors qu'il s'apprête à partir pour la guerre. C'est une scène intime et poignante. Dans le DVD Paramount, Zamecnik illustre la scène en utilisant une mélodie de Tchaikovsky, Nur wer die Sehnsucht kennt. C'est une pratique tout à fait normale à l'époque d'utiliser des morceaux de musique classique ou des chansons populaires pour illustrer un film. Mais, Zamecnik ne modifie pas vraiment la mélodie pour lui donner des variations suivant le moment et les sentiments exprimés dans cette scène. Il réitère constamment le motif principal de Tchaikovsky et réalise plus une illustration sonore qu'un véritable accompagnement. Cela a pour effet d'étirer la scène et de la rendre sentimentale. Dans la version Photoplay, Carl Davis prend un tout autre parti. Il joue sur la sobriété. Avec un motif lent et retenu, il suggère la peine et l'angoisse retenue de David qui fait tout pour dissimuler le chagrin qui l'étreint. La musique fait des pauses, ici et là, et suit le cheminement émotionnel de David. Evidemment, l'effet est fort différent. Nous sommes en empathie parfaite avec David et ressentons la boule dans la gorge qu'il ressent.

La bataille dans les airs contre le bombardier Gotha:
Le choix fait par Paramount pour leur DVD est de bruiter systématiquement tout ce qui se passe à l'écran. Nous avons donc droit à des tirs de mitrailleuses, bruits d'hélices, tirs de mortiers, explosions, crash d'avions et de voitures, etc. Le volume sonore de ces différents bruitages a tendance à noyer la musique dans les scènes de bataille. Je dois avouer que cette surenchère dans le bruitage est quelque peu contre-productive. On se retrouve au milieu d'un film muet sonorisé et on s'attend à voir les acteurs parler... Certes, les bruitages étaient utilisés à la fin des années 20 avec l'arrivée du système Vitaphone (et autres). Mais, ici, Paramount a fait un choix délibéré de bruiter totalement chaque image au point de la saturation. Ils avaient peut être peur d'avoir un film (trop) muet ? Pour ce qui est de la musique, le choix de Zamecnik est d'utiliser (jusqu'à plus soif) le motif principal de l'ouverture du Songe d'une nuit d'été de Mendelssohn. La mélodie réapparait dans le film lors de chaque bataille aérienne. Ce leitmotiv n'est à priori pas une mauvaise idée; mais, à nouveau, il n'y a aucun travail pour créer des variations du motif principal. Et plus grave, le déroulement de la bataille n'est pas soulignée. Il n'y a pas vraiment de point culminant musicalement. La bataille est surtout soulignée par les bruitages de mitrailleuse et de crash au sol. Dans la partition de Carl Davis, il n'y a pas de bruitage. Mais, il réussit à suggérer les tirs de mitrailleuse avec les percussions et les cuivres. Il dose le niveau de 'bruitage musical' en fonction de ce qui se passe à l'écran, soulignant les moments importants. Là où dans le DVD Paramount, nous avons un banal bruit d'hélice et d'avion au décolage, Davis crée un motif musical insistant et rythmé qui rappel le mouvement d'une hélice et suggère -dès le tout début du film- la passion inextingible de Jack (Charles Buddy Rogers) pour les avions. Le motif prend une forme presque suspendue qui nous fait ressentir ce sentiment d'apesanteur et de bonheur d'un pilote dans les airs. Mais, il n'oublie pas d'y ajouter un sentiment d'attente et d'angoisse. Tout cela se trouve dans la musique avec les différentes instruments qui sont utilisés suivant leur couleur. L'accompagnement n'est jamais lourd, même lors de la bataille finale. Davis ne semble pas vouloir surcharger les scènes déjà violentes. Mais, il sait guider notre regard vers la partie importante d'une scène. Je pense particulièrement à la mort de ce soldat assis, adossé à un poteau, qui fume une cigarette. Dans le DVD Paramount, nous avons une débauche d'effets sonores: avions, mortiers, etc et il nous faut quelques instants pour réaliser que l'homme a été touché par un éclat d'obus et qu'il est mort. Avec Carl Davis, il se concentre sur cet événement, soulignant le léger sursaut de l'homme touché par l'obus et sa mort subite.

La mort de David :
Jack a abattu l'avion allemand que pilotait David et celui-ci va mourir. Zamecnik illustre la scène du combat avec une musique triomphante qui continue jusqu'au moment où David découvre l'identité du pilote. Alors, la musique devient plus sombre. Mais, dès que David a fermé les yeux, la musique reprend son ton guilleret alors que nous voyons Jack prendre dans ses bras le corps inanimé de David. C'est clairement un contresens total. cette scène était également bien mal accompagnée par Gaylord Carter dans mon souvenir. La mort de David ne m'avait pas plus touché que cela. Davis prend un parti totalement opposé. Déjà pendant la bataille qui oppose Jack à David, il n'y a aucun motif triomphant, mais une atmosphère d'appréhension. Nous vivons les derniers instants de David en l'air avec lui. Si il y a un très bref exposé du motif triomphant lors que Jack se pose et court vers l'avion pour en ôter sa croix de fer, il n'est que très court. La mort de David avec Jack à son chevet est un moment poignant, mais pas du tout sentimental avec Davis. Il y a une chaleur et une tendresse retenues dans son accompagnement qui sont tout à fait remarquables. 

Au total, vous l'aurez compris, la partition de Carl Davis est absolument remarquable par ses couleurs, son dynamisme et sa compréhension profonde des personnages et des événements. Malheureusement, cette petite merveille reste indisponible au grand public, à moins d'une diffusion hypothétique à la TV. Le DVD Paramount est une pure merveille visuelle, mais musicalement, il reste bien en deça de ce qu'il pourrait être. La partition de Davis décuple émotionnellement le film lorsque celle de Zamecnik ne fait qu'une illustration sonore bien terne.

2 commentaires:

Rémy a dit…

Bonjour, tout d'abord merci pour votre blog que je lis avec un grand plaisir depuis plusieurs mois. Un élément anecdotique - les éléments sonores de la restauration 2012 (que j'ai eu la chance de voir sur grand écran le weekend dernier) ont été réalisés par Ben Burtt, qui a fait entre autres les bruitages de la guerre des étoiles. Meme si ces effets sont réussis et que cela constitue une représentation relativement fidèle à la manière dont le film était projeté à la fin des années 20, j'ai été moi meme déconcerté par cette reconstitution et serais vraiment curieux d'écouter la partition de Carl Davis.

Ann Harding a dit…

Merci Rémy pour cette intéressante précision. Les bruitages sont superbement réalisés, mais bien trop nombreux à mon goût. J'espère qu'un jour une chaîne de télévision (ou un éditeur DVD?) auront la bonne idée de diffuser la partition de Carl Davis. C'est sans aucun doute une de ses meilleures.