Que reste-t-il de ce gallois qui fut l'idole des Britanniques durant plusieurs décennies ? Peu de choses à vrai dire. Il suffit d'ouvrir The Encyclopedia of British Films et de lire sa notice biographique pour être fixé. Il se fait descendre par un Noël Coward, jaloux de son succès, avec cette remarque assassine: "Devant la caméra, son visage prend une expression figée, ses yeux se prennent d'une mélancolie trompeuse et fréquemment quelque chose d'épouvantable se produit au niveau de sa bouche." Après avoir vu sept films avec cet acteur, je ne peux que constater la mauvaise foi du grand Noël. Il n'est pas le seul à enfoncer Ivor Novello qui est souvent victime des critiques. Il faut dire que sa beauté physique et son profile parfait en font une cible de choix. Il est bien trop beau pour avoir le moindre talent, comme dit l'adage. Néanmoins, celui qui joua pour D.W. Griffith et pour Alfred Hitchcock devait certainement avoir suffisamment de qualités pour travailler avec de tels metteurs en scène. De nos jours, on remet en Grande-Bretagne, les 'Ivor Novello Awards' pour les meilleurs musiciens de l'année. Et en 2001, il réapparaît sous les traits de Jeremy Northam dans Gosford Park de Robert Altman pour un hommage sympathique.
Mais revenons au début. Ivor Novello fut d'abord une star des planches britanniques quelques années avant Noël Coward dans un registre assez similaire: il fut acteur, auteur, chanteur et compositeur. Certaines de ses chansons furent d'immenses succès durant les deux guerres. Mais, c'est dans le registre dramatique qu'il passe à l'écran. En 1923, un D.W. Griffith qui est déjà sur la pente descendante, l'embauche pour The White Rose. Le scénario mélodramatique combine bizarrement Way Down East et The Scarlet Letter. Ivor est un jeune pasteur qui séduit et abandonne une jeune serveuse (Mae Marsh) car il la croit volage. La malheureuse abandonnée se retrouve fille-mère par ses soins. Tel le Dimmesdale de Scarlet Letter, Joseph (I. Novello) se repend et l'épouse, pour un happy-end inattendu. Ivor se voit confier un rôle fort complexe d'homme d'église qui prêche la vertu tout en pratiquant lui-même le péché. Sa silhouette élancée et distinguée fait tâche dans l'univers américain de la Louisiane. Il y a une réserve toute britannique qui le différencie immédiatement de l'autre jeune premier américain du film Neil Hamilton. Las, le film ne fut pas un succès. Il faut dire que l'intrigue mélo tombe à plat dans les années du 'jazz-age'.
De retour en Grande-Bretagne, il devient The Rat (1925, Graham Cutts), un 'apache' des bas-fonds parisiens. Il faut noter qu'il est l'auteur de la pièce dont est tirée le film. Dans les milieux interlopes parisiens, il navigue avec facilité entre le bouge 'White Coffin' et les salons chics de Zélie de Chaumet (Isabel Jeans), une dame du beau monde qui veut s'encanailler. Il faut remarquer qu'il n'a pas osé situé l'action à Londres. Il est plus facile de parler des classes sociales en situant l'intrigue à Paris. Le film contient une scène de danse chez les apaches qui se veut une version anglaise du tango de Valentino dans The Four Horsemen of the Apocalypse (1920, R. Ingram). Ivor y montre ses qualités de danseur. Le personnage fonctionne auprès du public et le 'rat' réapparaît dans The Triumph of the Rat (1926, G. Cutts). Il est de nouveau victime de Zélie (I. Jeans) qui veut l'humilier. Elle le fait descendre de son piedestal dans la bonne société avant de même le décribiliser parmi les apaches. C'est un thème récurrent dans les scénarios de Novello. Il est souvent balloté entre deux mondes: les oisifs riches et odieux et de l'autre les bas-fonds criminels mais avec une certaine morale. Novello joue la dégradation physique et morale d'une manière tout à fait crédible. La fin du film reste en suspens. Et il revient pour la dernière fois dans The Return of the Rat (1929, G. Cutts) où il est partagé entre Zélie devenue son épouse (mais toujours aussi fourbe) et Lisette (Mabel Poulton). Il faut d'ailleurs saluer le travail de Graham Cutts qui a réalisé les trois films: ils sont fluides, bien montés et de bonne facture.
L'autre grande étape de sa carrière sont les deux films d'Alfred Hitchcock: The Lodger (1926) et Downhill (1927). Basés tous deux sur des scénarios de Novello, ils exploitent son image publique avec intelligence. Dans le premier, il est un mystérieux locataire qui vient débarque dans une pension de famille, non loin du lieu de crimes. Est-il le tueur ? Prédatant Cary Grant dans Suspicion, sa séduction et son charme semble contredire les soupçons. Innocenté, il manque de se faire lyncher par une foule déchaînée dans l'une des scènes les plus fortes du film. Dans Downhill, le rôle du jeune étudiant d'Oxford -issu de la haute bourgeoisie- faussement accusé et renvoyé lui va comme un gant. Il devient successivement figurant, danseur mondain puis clochard pour une descente aux enfers savamment orchestrée par Hitchcock. J'ai eu la chance de voir le rare The Constant Nymph (1928, A. Brunel) où il est parfait en compositeur bohème amoureux de l'adolescente Mabel Poulton. Ce film le montre au sommet de sa popularité. On peut même apercevoir une affiche du film dans Blackmail (1929) de Hitchcock.
Avec ses limitations, Ivor Novello était une figure marquante du cinéma muet britannique. Ses traits réguliers, ses cheveux noirs et son regard mélancholique font partie de l'histoire de ce cinéma autant que d'autres grands acteurs britanniques plus tardifs. Il mérite amplement d'être redécouvert dans sa diversité.
4 commentaires:
Oh mais comme je suis d'accord avec vous! outre son charme physique indéniable je le trouve, pour ma part, très concluant, très expressif dans les films muets, tels que la première version de "The Lodger"; encore faut-il ne pas être rebuté par les codes de l'époque...
Merci pour ce message, Quartermaster. Il faut, en effet, aller au-delà des préjugés pour apprécier cet acteur.
Merci beaucoup pour cet aperçu de Novello! J'ai vu trop peu de son travail, et je crains qu'il semble être une figure oubliée de nos jours; mais il est très charismatique et un bon acteur tout à fait. J'espère surtout d'avoir la chance de voir "The White Rose" un jour, comme j'adore également Mae Marsh. Je m'excuse pour mon français imparfait.
Merci Irene pour votre commentaire. Your French is perfect!
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