Depuis la sortie en 1927 de The Jazz Singer, la plupart des studios se posent la question de convertir leurs équipements pour le parlant et ils le feront graduellement de 1927 à 1930. En 1929, Goldwyn décide, lui aussi, qu'il faut produire un film parlant avec Ronald Colman. Il prépare avec beaucoup de précaution cette conversion. Tout d'abord, le choix du sujet: il faut éviter les films en costumes et prendre un sujet contemporain. Il apprécie la diction de son acteur et la distinction de son accent britannique: son rôle doit être celui d'un anglais. Bizarrement, Goldwyn est bien plus sûr de la réussite de Colman qu'il ne l'est lui-même…Il écrit une lettre à son producteur en 1928 pour lui dire qu'il trouve que le cinéma parlant n'est qu'un gadget sans intérêt! Puis, Goldwyn embauche coup sur coup, Arthur Hornblow Jr comme producteur exécutif et Sidney Howard, un excellent dramaturge de Broadway, comme scénariste. Ils suggèrent à Goldwyn de produire Bulldog Drummond, une adaptation d'un roman (puis d'une pièce) de l'anglais H.C. McNeile dont le personnage principal, Hugh Drummond, est un officier retraité de l'armée qui, pour tromper son ennui, aime à faire le détective amateur. Il y a déjà eu deux films muets sur le sujet, mais, Howard va modifier profondément le personnage de McNeile en éliminant totalement le côté fascisant et brutal de Drummond. Il en fait un aventurier débonaire proche d'Arsène Lupin. Et le script a un ton humoristique inhabituel pour l'époque; nous sommes pratiquement dans la parodie du film d'aventure et du thriller: un ancêtre de James Bond! Le tournage très rapide (seulement 6 semaines) est précédé de longues répétitions. Une toute jeune Joan Bennett de 19 ans fait ses débuts au cinéma dans le rôle de Phyllis Benton, la demoiselle-en-détresse. Les seconds rôles sont extrèment bien pourvus avec des méchants de fort belle stature: le libidineux Dr Lakington (Lawrence Grant) et les Peterson (Lilyan Tashman et Montagu Love), frère et sœur passablement incestueux! Il ne faut pas oublier le délicieux Claude Allister en Algernon ('Algy') Longworth: il est l'acolyte comique de Drummond, toujours complètement à côté de la plaque. William Cameron Menzies se surpasse avec décors qui rappellent l'expressionnisme allemand et la photo est assurée par George Barnes et son jeune assistant Gregg Toland (futur chef op de Citizen Kane entre autres). Le réalisateur F. Richard Jones réussit là sa conversion au parlant brillamment, mais, sans lendemain, il meurt 15 jours après la sortie du film. Et surtout, il y a l'interprétation de Colman: une petite merveille de rythme et d'humour. Il trouve ses marques immédiatement et parait si parfaitement à l'aise qu'on pourrait le créditer de plusieurs années de films parlants. Il ne débite pas son texte d'un ton monocorde, mais, il le détaille avec un plaisir gourmand et entraîne ses partenaires par son rythme étourdissant. Il est doté, il est vrai, d'une voix grave extrèmement phonogénique qui passe très bien dans les micros primitifs de 1929. Inutile de dire que le film est un énorme succès en Amérique et en Grande-Bretagne. Colman obtient même une nomination aux oscars!
Colman change totalement d'avis sur le parlant et reconnaît que le son lui a permis d'injecter plus d'humour dans ses rôles. De même, ses meilleurs amis de l'époque, William Powell et Richard Barthelmess (partenaire de Lillian Gish dans plusieurs films de Griffith) passent le mur du son sans encombre. Powell se voit soudain offrir des rôles intéressants (assez proches de ceux de Colman) après des années à jouer les canailles. D'autres, par contre, voient leurs carrières partir à vau-l'eau. Vilma Banky, sa partenaire dans 5 films, n'arrive pas à se débarrasser de son épais accent hongrois et quitte le cinéma sans regret. Il y a bien sûr, le cas de John Gilbert qui a été érigé en exemple de carrière brisée par le parlant. La MGM lui fait tourner un très mauvais film en 1929: His Glorious Night qui fut parodié brillamment par Gene Kelly dans Singin'in the Rain ("I love you, I love you, I LOOOVE YOUUU!") et il n'a aucune formation théâtrale qui aurait pu l'aider à parfaire sa diction contrairement à Colman et Powell qui ont tous deux écumé Broadway. En 1930, Gilbert reçoit un salaire de $13 000 par semaine à comparer aux $6 500 de Colman. Mais, six ans plus tard, Gilbert sera mort alors que Colman est en train de tourner un de ses plus grands films: Lost Horizon...
Je vais faire maintenant une petite halte pour parler plus en détail de la vie d'une star. D'abord que veux dire le mot star à cette époque? Simplement, qu'un acteur avec un statut de star, a son nom au-dessus du (ou avant le) titre du film. Ceux dont les noms viennent après le titre sont des feature actors. Pouvoir conserver cette position de star est évidemment fort difficile. Il faut que les films soient des succès suffisants au box office et que tout aille bien avec votre producteur... Les journées de travail sont très longues car les acteurs ne seront défendus par un syndicat qu'après 1933. Sur Bulldog Drummond, Le réalisateur fait parfois travailler ses acteurs de 8h à 3h du matin en continu! Dans la vie de tous les jours, vous devez supporter parfois les assauts de fans agressifs. Colman raconte avec beaucoup d'humour un incident de ce type: " Bill Powell m'emmena à Agua Caliente, Le Monte Carlo mexicain tout près de la frontière. Tout le monde à Hollywood y va. Bill me convainquit que cela en valait la peine. Nous étions en train de prendre tranquillement un verre de bière sans nous faire remarquer. C'était un endroit superbe et la bière était excellente. J'avais mes doutes au début, mais, je commençais à l'aimer. C'est à ce moment-là que les problèmes ont commencés... D'abord un type passablement éméché est venu se planter devant moi et a proféré: 'J'vous connais vous! V'êtes Ronald Colman! Y faut qu'vous preniez un verre avec moi!' Je lui indiquais que j'avais déjà un verre, mais, ce fut inutile. Bill et moi prirent un verre avec le type éméché, quand surgit un deuxième type, encore plus désopilant, qui réclame lui aussi l'honneur de payer un verre à M. Ronald Colman. Quand je refusai, il se sentit terriblement insulté 'Oh! j'suppose qu'vous êtes trop bien pour boire avec moi! Vous, les stars de cinéma, vous êtes vraiment des huiles...' Tout cela commençait à dépasser légèrement les bornes, quand un troisième larron vint s'ajouter à la distribution: 'J'vous connais, vous êtes Ronald Colman. Y'faut qu'vous dansiez avec ma femme. Ma femme est folle de vous. Elle veut danser. Allez venez!' je lui expliquais que j'étais très honoré mais que je ne dansais pas. Peine perdue! Le mari de la dame m'attrapa par le revers de ma veste pour me tirer vers la piste de danse quand l'autre me tirait par l'autre revers en se proclamant mon ami. Puis, les femmes s'en mélèrent et un quart d'heure plus tard, j'attendais, caché dans l'ombre sur la terrasse, le moment favorable pour m'éclipser en douce."
A suivre
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