vendredi 25 juin 2010

Maman Colibri 1929


Maria Jacobini
Un film de Julien Duvivier avec Maria Jacobini, Franz Lederer et Jean Dax

La baronne de Rysbergue (M. Jacobini) rencontre au cours d'un bal masqué Georges (F. Lederer) qui a l'âge de son fils aîné, et dont il est l'ami. Malheureuse en ménage, elle quitte son mari pour suivre Georges en Afrique du Nord où il est officier dans un régiment de spahis...
Cette adaptation d'une pièce d'Henry Bataille montre les outrages du temps. Sur un sujet rebattu - une femme d'un certain âge avec un jeune amant - le film ne réussit pas à convaincre. Alors que Hugo von Hofmannsthal a créé un chef d'oeuvre sur le même sujet avec son Rosenkavalier, ici, nous restons malheureusement dans les clichés du roman de gare. Le film débutait pourtant bien avec une scène de bal enjouée et virevoltante. Duvivier en profite pour insérer toute une série de gros plans suggestifs : bouteille de champagne dont le bouchon saute, jambes gainées de soie, main qui caresse un dos dénudé, etc. On ne pouvait suggérer mieux l'atmosphère de licence du lieu. Franz Lederer dans le rôle de l'amant reste un personnage falôt et sans consistance. Maria Jacobini donne à son rôle de femme mûre une certaine classe, mais, elle ne réussit pas à être réellement émouvante. Il faut dire que l'intrigue s'embourbe et que la suggestion du temps qui passe n'est montrée que par des longs plans de l'actrice observant ses rides dans un miroir. Le déplacement de l'intrigue en Afrique du Nord est le prétexte à de longues séquences sur les coutumes locales qui font penser à du remplissage. Il est dommage que la copie allemande présentée ait manqué à ce point de contraste car la cinématographie d'A. Thirard devait être bien plus belle qu'elle ne paraissait là.

Le Tourbillon de Paris 1928


Lil Dagover
Un Film de Julien Duvivier avec Lil Dagover, Léon Bary et Gaston Jacquet et René Lefèvre

Amiscia (L. Dagover) une cantatrice célèbre a fui Paris pour un petit village de haute montagne où elle vit retirée du monde. Son époux, Lord Abenston (G. Jacquet) vient l'y chercher pour la ramener dans sa propriété en Ecosse...

Ce film est une heureuse surprise dans la filmographie muette de Duvivier. Bien que le début du film laisse supposer un de ces drames mondains comme les affectionnaient le public de la fin des années 20, il se révèle bien plus intéressant que d'autres productions de l'époque. D'abord, la comédienne allemande Lil Dagover réussit à habiter son personnage de manière tout à fait convaincante. Elle nous transmet les émotions qu'elle ressent avec énormément de talent; après tout, elle avait déjà derrière elle un beau palmarès comme le rôle féminin principal dans Le Cabinet du Dr Caligari (1920). On sent une véritable actrice de l'écran contrairement à d'autres actrices françaises de l'époque souvent issues du théâtre. Le meilleur moment du film est celui où sur scène, Amiscia (L. Dagover) perd tous ses moyens, prise d'une crise de trac épouvantable, elle s'effondre sous les huées d'une cabale montée par un amant éconduit. Duvivier utilise à profusion les surimpressions et les fondus durant une bonne partie du film, mais, c'est durant cette scène qu'il réussit au mieux son pari. Prise dans un tourbillon, Amiscia est en train littéralement de se noyer avant de reprendre le dessus et de reconquérir le public. ce fut pour moi le moment le plus émouvant de tout le film. Comme dans Au Bonheur des Dames (1930), Duvivier utilise la caméra mobile avec beaucoup de bonheur et donne au film un mouvement et une ampleur bien venue. Une autre séquence illustre avec intelligence le chant de Lil Dagover qui interprête la belle mélodie de Fauré, Les Berceaux. Sur l'image apparaissent les vers de Sully-Prudhomme avec une illustration visuelle des mots: les grands vaisseaux qui s'éloignent laissant les femmes et leurs enfants derrière eux. J'ai été étonnée par cette séquence car Dimitri Kirsanoff a repris exactement les mêmes images pour illustrer la même mélodie pour son court-métrage Les Berceaux (1935) avec Ninon Vallin. Il a certainement pris l'idée chez Duvivier. La fin du film est assez convenue et on peut penser qu'il manque quelques scènes. La copie de la Cinémathèque était de très belle qualité. Une très bonne soirée.
Léon Bary & Lil Dagover

Etudes sur Paris 1928

Un documentaire d'André Sauvage
Nous partons pour une promenade dans le Paris des années 20 pendant 75 min. Et quelle promenade! Contrairement à Berlin: Die Sinfonie der Grosstadt (1927) de Ruttmann, le réalisateur ne cherche pas à rythmer cette promenade du matin au soir pour nous faire sentir le pouls de la ville. Ici, nous entrons dans Paris par le nord. A l'époque, il y a encore énormément d'usines aux portes de Paris. Nous arrivons doucement au centre ville par les canaux et la Seine. Les bords de l'eau à l'époque grouillent de vie: les lanvandières qui lavent le linge dans l'eau du fleuve, les péniches qui apportent le ravitaillement pour les citadins, les chemins de halage, les écluses où les bateaux sont tirés par des hommes ou des chevaux. Il y a aussi cet établissement de bains sur une barge qui offrent des 'bains chauds'! On voit bien sûr, le Paris des monuments: place de la Concorde, Opéra, Tour Eiffel. Mais, ce n'est pas le plus intéressant dans ce documentaire. J'ai été fascinée par les rues de l'époque et le petit peuple de Paris. Vers les abattoirs de Vaugirard, on voit des immenses charettes de paille qui vont vers le marché aux chevaux (où se trouve maintenant le marché aux livres anciens de la rue Brancion). Les portes de Paris sont encore des zones en friche, les fortifs ou encore des petits jardins ouvriers. Le film se termine au Jardin du Luxembourg qui n'a pratiquement pas changé: les promenades sur les ânes et les petits bateaux sur le bassin central sont toujours là. La circulation automobile est déjà incroyablement imposante. On voit encore quelques charettes tirées par des chevaux, mais pratiquement tous les véhicules sont motorisés. Le trafic arrive déjà à saturation avec en plus les tramways le long des grandes avenues et des boulevards. Si vous êtes parisien (ou pas!), c'est vraiment une ballade nostalgique fantastique dans le Paris des années folles.

Paris-Cinéma 1929

Pierre Chenal
Un documentaire de Pierre Chenal

En trente minutes, Pierre Chenal nous montre comment on fabrique un film de A à Z. Ce merveilleux documentaire commence dans l'usine Debrie (une des marques préférées de l'époque muette en France) où nous découvrons comment sont fabriquées les caméras. On découvre également le mécanisme d'avancement de la pellicule ainsi que le système des obturateurs. Puis lors d'une visite chez Pathé-Kodak, on voit la fabrication de la pellicule suivie du laboratoire où le négatif est développé et les copies sont tirées sur une tireuse. On découvre également les différents objectifs: zoom, lentille déformante, système de cache. Chenal visite également le génial Ladislas Starevitch qui réalise alors des films animés avec des marionnettes avec le système 'stop motion'. C'est absolument merveilleux de le voir photographier ses insectes avec une pince pour bouger les yeux et les pattes. Puis, nous allons dans les coulisses du studio rue Francoeur pour assister au tournage du Capitaine Fracasse d'A. Cavalcanti. On y voit les opérateurs montés sur des chariots à roulettes pour les travellings ou réalisant des plans avec la caméra mobile (qui a l'air particulièrement lourde!). ce formidable documentaire se termine à la Gare de Lyon où Augusto Genina tourne de nuit Quartier Latin. Une petite merveille!

L'Inhumaine 1923


Un film de Marcel L'Herbier avec Georgette Leblanc, Jaque Catelain et Philippe Hériat

La cantatrice Claire Lescot (G. Leblanc) fait des ravages dans les coeurs de nombreux hommes célèbres qui fréquentent ses soirèes. Parmi eux, Einar Norsen (J. Catelain) un jeune homme fou de vitesse qui ne supporte plus son désintérêt. Désespéré, il décide de se suicider en jetant sa voiture du haut d'un précipice. Il laisse un dernier message à Claire et part à tombeau ouvert...
Ce film légendaire de Marcel L'Herbier est une ode à l'Art Déco. Les décors sont certainement les acteurs principaux de ce film hyper-stylisé. Robert Mallet-Stevens et Fernand Léger ont oeuvré pour créer ces structures décoratives modernes et ouvragées. Dans le rôle de Claire Lescot, Georgette Leblanc semble jouer son propre rôle. Elle était dans la vie une cantatrice célèbre, la maîtresse de Maurice Maeterlink et la soeur de Maurice Leblanc. Elle a un physique assez proche de celui de Françoise Rosay, mais sans son talent d'actrice. Mais, les personnages du film ne sont guère que des archétypes manipulés par L'Herbier. Jaque Catelain, un jeune premier à la mode assez fade, est amoureux fou de Georgette Leblanc qui est également convoitée par un Maharadjah joué par Philippe Hériat. Mais, malgré ce scénario assez schématique, le film décolle grâce à la qualité du montage et l'habilité de L'Herbier pour rythmer les séquences. Le départ de Catelain à tombeau ouvert atteint son paroxysme avec les arbres qui défilent à toute allure et qui se déforment et la séquence est entrecoupée par la soirée de Leblanc où on lui tend le dernier billet de Catelain. De même, la séquence où Leblanc est mordue par un serpent posé par un Hériat fou de jalousie. La séquence est également rythmée d'une manière remarquable. La séquence finale où Leblanc revient à la vie dans le laboratoire de Catelain semble être le prototype du futur Metropolis (1927). Il faut aussi mentionner le superbe travail de Georges Specht (qui fut un grand collaborateur de Feuillade et Perret). Ce n'est pas mon L'Herbier préféré. Je préfère L'Argent (1929) et Feu Mathias Pascal (1925) qui ont des personnages bien plus intéressants, mais, j'ai passé un bon moment devant ce film qui aurait besoin d'une belle partition orchestrale.

Le Tournoi dans la Cité 1929


Un film de Jean Renoir avec Aldo Nadi, Jacky Monnier, Suzanne Desprès

En 1565, François de Baynes (A. Nadi), un chef protestant convoite la belle Isabelle Ginori (J. Monnier) qui est promise à un seigneur catholique, Henri de Rogier (Enrique Rivero). François se bat en duel avec le frère d'Isabelle qu'il tue bien que les duels aient été interdits par décret de Catherine de Médicis...

Cette belle reconstitution historique de Jean Renoir a été produite par La Société des Films Historiques qui a produit également les deux grands films de Raymond Bernard, Le Miracle des Loups (1924) et Le Joueur d'Echecs (1927) avec le même scénariste Henry Dupuy-Mazuel. Le film a été tourné à Carcassones comme l'ont été Le Miracle des Loups et La Merveilleuse Vie de Jeanne d'Arc (1928). Renoir semble avoir eu un budget conséquent à sa disposition avec des costumes absolument somptueux. Un certain Aldo Nadi joue le rôle principal de François de Baynes, un seigneur paillard qui aime les femmes, le vin et la ripaille. C'est un homme violent qui ne s'arrêtera devant rien pour assouvir son désir. Aldo Nadi n'était pas un acteur, mais un champion d'escrime et c'est certainement une très bonne idée de l'avoir choisi pour ce rôle dont il se sort admirablement. Le premier duel sur les remparts de Carcassone est extrêmement efficace avec des angles de caméra qui nous font participer au combat. Le film se clôt sur un duel à mort (un jugement de Dieu) entre François de Baynes et Henri de Rogier lors d'un tournoi. Mais pour ce qui est de l'intrigue du film, elle reste assez limitée. Et entre les deux grandes scènes d'action, il ne se passe presque rien. Contrairement au Miracle des Loups qui a un scénario riche en intrigues amoureuses et politiques, ici le conflit se résume au duel entre les deux prétendants d'Isabelle. On ne peut qu'admirer la beauté des éclairages et des costumes dans les scènes d'intérieur. Ce qui, à mon sens, rend le film particulièrement intéressant c'est son personnage principal qui est un anti-héros. Aldo Nadi est violent, mais courageux et c'est lui qui concentre les regards plus que le pâle Enrique Rivero, en chevalier blanc. Il est difficile de reconnaître la patte de Renoir dans ce grand film historique et il aurait certainement pu être dirigé par un autre réalisateur. Mais, il montre un soucis d'authenticité remarquable avec les armures, les chevaux carapaçonnés et les combats à la lance. La copie de la Cinémathèque était en général bien contrastée avec une belle finesse de grain sauf dans les gros plans en soft-focus qui étaient décidément bien flous.

vendredi 18 juin 2010

Vendémiaire 1918



Un film de Louis Feuillade avec René Cresté, Edouard Mathé, Louis Lebas et Gaston Michel

Sur un bateau qui descend le Rhône, un réformé Pierre Bertin (René Cresté) rencontre Le père Larcher (G. Michel) et sa famille, des réfugiés du nord de la France qui fuient l'occupation allemande. Ils partent tous pour le bas Languedoc pour participer aux vendanges. Deux espions allemands (L. Lebas et M. Caméré) assassinent deux réfugiés belges en route pour la vendange et usurpent leurs identités...

Avec ce film, Feuillade fait oeuvre de propagande alors que la première guerre mondiale est proche de sa fin. Plutôt que de nous offrir une vision du champ de bataille, il nous montre la vie de ceux qui sont restés à l'arrière comme le fait d'ailleurs Abel Gance dans J'accuse (1919). Mais, contrairement au film de Gance, Feuillade offre un film patriotique avec son lot de propagande anti-allemande. Un des deux espions allemands est d'ailleurs interprété par Louis Lebas qui se faisait une spécialité des personnages de criminels dans les films de Feuillade (Les Vampires) et de Perret (L'enfant de Paris). Les bases sont claires : il faut faire un dernier effort pour bouter l'ennemi hors de France en se serrant les coudes face à un envahisseur criminel et vicieux. Mais, le film n'est pas seulement une oeuvre de propagande datée, c'est une ode à la nature avec un souci de réalisme proche d'André Antoine. Le début du film se déroule sur une péniche sur le Rhône que nous descendons nonchalament comme les bateliers de L'Hirondelle et la Mésange. Puis, nous suivons la vendange dans l'Hérault, la région natale de Feuillade. Une camaraderie s'installe entre les vendangeurs et le propriétaire du domaine, la Capitaine de Castelviel (E. Mathé) qui a perdu la vue dans les tranchées. On embauche même une gitane (ou 'caraque' dans la patois local) car son époux est mort au front. Les deux espions s'infiltrent dans le groupe et Wilfrid (Louis Lebas) va utiliser la suspicion envers la gitane pour lui faire porter le poids de son larcin (le vol de la paie des vendangeurs). Feuillade utilise là un symbolisme puissant en montrant que Wilfrid, sans scrupule ni morale, a utilisé les gaz de combats. Il le fait mourir après avoir inhalé les gaz toxiques produits par la fermentation du raisin. (Il est d'ailleurs frappant que dans Les Vampires, tourné dans les premières années de la guerre, on observe également ce recours aux gaz toxiques pour endormir les participants d'une fête pour leur dérober argent et bijoux.) Pour contrebalancer ce personnage allemand (que les intertitres appellent 'boche' selon l'expression typique de l'époque), le complice Fritz, lui se contente de suivre et de se taire en se faisant passer pour muet. Il joue néanmoins au violon Standchen (sérénade) de Franz Schubert lors d'une scène pastorale où les vendangeurs se reposent près d'une rivière en songeant au passé. Dans la deuxième partie du film, on s'intéresse à Louise (la fille aînée du père Larcher, un des vendangeurs) qui vit en zone occupée à Maubeuge, près la frontière Belge. Elle doit accueillir des soldats allemands qui sont cantonnés chez elle. Son mari qui s'est évadé, vient lui rendre visite secrètement. Quant elle accouche plus tard d'un enfant, tous les villageois la croient qu'elle a couché avec l'ennemi. Le film finalement touche à tous les aspects de la guerre: la population occupée, le sort des femmes, les blessés de guerre, et le désir ardent du retour à la paix . Le film se termine d'ailleurs sur une note optimiste où tous trinquent avec le vin nouveau qui annonce des lendemains meilleurs. Un Feuillade vraiment passionnant.

Sandra Milowanoff (1892-1957)

Cette actrice russe qui est maintenant injustement oubliée a été une des actrices préférées du public français dans les années 20. En terme de popularité, elle arrivait juste derrière Mary Pickford. Contrairement à Ivan Mosjoukine, elle n'est pas arrivée en France avec les acteurs de la Compagnie Ermolieff. Née Alexandra Milowanoff à St. Petersbourg le 23 juin 1892, elle est danseuse de formation. Après avoir fait partie de troupe d'Anna Pavlova, elle rejoint celle de Diaghilev dans les Ballets Russes. Et c'est en tant que ballerine qu'elle arrive à Monte-Carlo au début des années 20. Elle n'a encore jamais joué devant une caméra. Etant sans travail, une amie lui suggère d'aller faire un bout d'essai pour Louis Feuillade qui est à la recherche de nouveaux visages pour son prochain sérial. Pour son bout d'essai, on lui demande d'ouvrir une lettre et d'exprimer successiment les émotions ressenties. Son inexpérience la sert ainsi que sa formation de danseuse. Quinze jours après, Feuillade l'embauche en lui donnant l'un des rôles principaux dans Les Deux Gamines (1921). Ce film sera l'un des plus gros succès financier de la Gaumont. Elle enchaîne avec trois autres sérials de Feuillade: L'Orpheline, Parisette et Le Fils du Flibustier.
Puis, début 1923, elle rencontre un autre metteur en scène qui va lui faire tourner son premier long métrage (au lieu de sérials). C'est Jacques de Baroncelli, qui à l'époque produit lui-même ses films. Elle devient Soeur Beatrix dans La Légende de Soeur Beatrix (1923). Cette adaptation de l'oeuvre de Charles Nodier est illuminée par sa présence fragile et chaleureuse. Beatrix est humiliée et trompée par l'homme qu'elle aimait. Elle devient une épave de la vie avant de retrouver le chemin du couvent où elle trouvera le réconfort de l'âme. Ce qui pourrait être un simple mélo larmoyant devient un livre d'images moyen-âgeuses subtilement enluminées. Sandra traverse les épreuves sans jamais tomber dans la fadeur ni le sentimentalisme. Contrairement à de nombreuses actrices françaises issues du théâtre, son jeu est épuré et naturel. Sa formation chez Feuillade, au sein de la Gaumont fut certainement la meilleure possible à l'époque. Baroncelli en fait une de ses interpètes favorites et elle tourne successivement Nène (1923), La Flambée des rêves (1924) et Pêcheur d'Islande (1924). Ce merveilleux film lui donne comme partenaire Charles Vanel. Ils forment à l'écran un couple qui n'a rien de traditionnel. Lui le pêcheur trapu et taiseux qui n'a pas la larme facile, elle habillée dans son costume breton -qu'elle semble avoir toujours porté- essayant de dissimuler le chagrin qui l'etreint lors de son départ. Il y a toujours chez elle ce rire à travers les larmes qui rappelle son origine russe. Et Vanel, si souvent confiné dans des rôles de traitre, trouve à ses côtés une nouvelle sensibilité que l'on ne lui soupçonnait pas.

En cette même année 1924, elle apparaît dans Jocaste de Gaston Ravel. Cette adaptation d'Anatole France a de nombreux défauts de construction. Mais, elle rayonne dans le rôle de la jeune fille mal mariée à un Gabriel Signoret tatillon. La scène finale est inoubliable. Torturée par le repentir, elle se rend dans un établissement de bain pour se pendre telle Jocaste. En 1925, elle va tourner ce qui sont peut-être ses plus grands rôles: Fantine et Cosette dans Les Misérables (1925) d'Henri Fescourt. Sa Fantine est bouleversante lorsqu'elle décide de se prostituer pour la première fois pour nourrir la petite Cosette. Elle sort dans la rue, apeurée avant de finalement suivre un client résignée. Il n'y a rien de larmoyant dans son incarnation. Elle bouge avec grâce -son travail de ballerine n'a pas été en vain- et son visage reflète ses émotions comme celui d'une Lillian Gish.

Elle va aussi tourner deux films avec René Clair (dont elle a été la partenaire auparavant chez Feuillade). Dans Le Fantôme du Moulin-Rouge (1925), elle est la douce fiancée de Georges Vautier, un rôle sans grande envergure et dans La Proie du Vent (1927), une production Albatros, elle est à nouveau avec Charles Vanel. C'est d'ailleurs ce dernier qui va la diriger dans son dernier film muet, Dans La Nuit (1929). Vanel la suit pas à pas dans cette noce échevelée où il magnifie son visage triangulaire expressif. Elle est à l'écran pratiquement pour toute la durée du film et on sent une intense complicité entre les deux acteurs. Ce film qui annonce le réalisme poétique par bien des aspects est un beau chant du cygne pour cette actrice dont la carrière tournera court suite à l'arrivée du parlant. Comme Mosjoukine, son accent russe lui ferme les portes. Elle ne fera plus que de toutes petites apparitions à l'écran (comme dans Le Comédien (1948) de Guitry où elle joue une servante russe). Elle gagnera sa vie en retournant à ses premières amours ; elle enseignera la danse.
L'apport des acteurs russes au cinéma français dans les années 20 est décisif. Ils apportent une sensibilité différente, un jeu à la fois dépouillé et passionné ainsi qu'une grâce tangible. Milowanoff est encore plus oubliée que Mosjoukine et pourtant son apport au cinéma français est loin d'être négligeable. Elle est a quand même à son palmarès: Feuillade, Fescourt, Baroncelli, Clair et Epstein. Espérons que certains de ses films trouveront le chemin du DVD après tant d'années d'obscurité.

mardi 15 juin 2010

Ivan Mosjoukine (1889-1939)


Je vais maintenant vous offrir un portrait d'Ivan Mosjoukine car cet acteur est incroyablement important dans le cinéma des années 20. Quand on lit les revues de cinéma de l'époque, il est omniprésent.


Il naît dans une famille russe de propriétaires terriens aisés. Son père souhaite qu'il fasse son droit, mais, il quitte la faculté après 2 ans. Son père s'oppose à sa vocation d'acteur. Il quitte sa famille et entre au théâtre de Kiev. Sa carrière progresse rapidement et il devient une des stars au théâtre de Moscou où il interprète tous les grands classiques (Ibsen, Shaw, Gogol, Tourgueniev...) Il fait ses débuts au cinéma dès 1911 car en Russie, toutes les grandes firmes -pathé, Vitagraph, Nordisk- ont déjà des agences. On remarque dès ses premiers films sa capacité de passer du rire au larme. Il tourne pour le réalisateur polonais Starewitch et le russe Protazanoff surtout des adaptations littéraires des grands chefs d'oeuvre de la littérature russe. [Chez Bach Films, on trouve en DVD La Dame de 
Pique (1916) et Le Père Serge (1917) dans des copies médiocres, hélas!] 
Le Lion des Mogols
Mais la révolution russe est arrivée. Le producteur Ermolieff transporte ses studios à Yalta, en Crimée. Mais, rapidement, la situation se dégrade également à Yalta. En 1920, Ermolieff et toute sa troupe émigre en France via Constantinople. Ils s'installent dans des studios à Montreuil-sous-Bois et y resteront juqu'à la fin du muet. La Cie Ermolieff deviendra Albatros. Les premiers films tournés en France sont: L'Angoissante aventure (1920) et Justice d'Abord (1920) de Protazanoff. Puis vient L'Enfant du Carnaval dont il écrit le scénario. Il devient réalisateur pour Le Brasier Ardent (1923), un film étonnant qui mélange avant-garde, comique et dérision. Sa partenaire dans un grand nombre de films est son épouse [en fait ils n'étaient pas mariés devant M. le maire, bien que cela soit mentionné dans de nombreux ouvrages], l'actrice Nathalie Lissenko.

Kean

C'est le début d'une série de films qui lui offre des rôles à sa mesure tel le Kean (1924) de Volkoff qui est une adaptation de la pièce d'A. Dumas sur le grand comédien anglais. En voyant le film, on ne peut s'empêcher de penser au Frédéric Lemaître de Pierre Brasseur. Je suis persuadée que le film a sûrement eu un impact sur Marcel Carné et son interprète. Kean meurt par une nuit de tempête dans un petit pavillon veillé par son souffleur (Nicolas Koline) et la femme qu'il a aimé sans retour. Une séquence du film est célèbre pour son montage rapide quand il danse habillé en marin dans une taverne (Coal Hole Inn). La même année, il est dans Les Ombres qui passent (1924) un autre film de Volkoff absolument admirable. Il y est Louis Barclay, un jeune anglais dominé par son père qui lui lit tous les soirs Thoreau et l'oblige à vivre au grand air, à traire les vaches. Bien que marié, il vit comme un petit garçon sous la domination de ce père omnipotent. Tout va changer quand il reçoit une lettre lui annonçant un héritage substantiel. Il part pour Paris habillé d'un nouveau costume fort mal ajusté (trop court tel Buster Keaton, une de ses grandes influences) où il suscite l'hilarité dans le grand hôtel où il séjourne. Il devient la proie d'escrocs qui lui envoie leur meilleure arme, la dangereuse Jacqueline (Nathalie Lissenko). Louis tombe amoureux quasiment instantanément, ouble famille, héritage et son épouse pour poursuivre cette sirène qui est elle aussi éprise de lui. Le film se termine en tragédie. La transition comédie-tragédie est absolument formidable.

Feu Mathias Pascal
En cette année 1924, il tourne avec Marcel L'Herbier Feu Mathias Pascal d'après Pirandello qui lui offre un rôle en or. Mathias Pascal est victime d'une belle-mère acariatre et d'une épouse non moins désagréable. Sa vie serait infernale si il n'y avait leur enfant qu'il adore. Las, l'enfant meurt ainsi que sa mère. Il décide de quitter sa petite ville Toscane pour Rome et y refaire sa vie. ce très long film (155 min) est un des chefs d'oeuvre de L'Herbier et il doit beaucoup à Mosjoukine. Son désespoir à la mort de son enfant est réellement palpable. Après cette série de films, il tourne maintenant de grands productions comme le Michel Strogoff (1926) de Tourjansky puis le Casanova (1927) de Volkoff. Ce dernier est tourné à Venise. Il reçoit alors une offre de Hollywood et n'y résite pas. ce sera un échec. Il ne tourne qu'un seul film, Surrender! (1927) de Edward Sloman. Puis, il part pour l'Allemagne où il continue à faire quelques films à grand spectacle comme Der Weisse Teufel (1930) tiré de Tolstoï. Mais, le parlant arrive qui va complètement laminer Mosjoukine. Il parle le français avec un fort accent russe. Il n'obtient plus que de petits rôles. Et en 1939, oublié et sans la sou, on le ramasse sur un banc à Neuilly. Il est emmené à l'hôpital où il meurt. Pour vous resituer l'importance de Mosjoukine, je vais vous citer les propos de Charles Vanel qui fut son ami et son partenaire:"Mosjoukine me plaisait beaucoup, d'abord il avait du talent et ensuite, parce que contrairement à beaucoup, il avait une haute idée du cinéma. Il pensait qu'on était à la veille de voir naître une véritable littérature cinématographique....Un jour en allant sur la tombe de mon père, au cimetière de Neuilly, je vis celle qui était à sa tête et qui m'attira par son dénuement. Il n'y avait qu'une pauvre croix de bois, à moitié pourrie déjà, et sur laquelle difficilement je lus 'Ivan Mosjoukine'...j'en fus retourné. je sais bien que les artistes tombent dans l'oubli. Tout est périssable. Mais tout de même... ce fou généreux, cette idole, qui avait brûlé toute sa vie pour le public, ce très grand acteur qui refusait de se faire doubler dans les exercices les plus périlleux: dans son premier Casanova (1927) il se battait seul contre douze en grand épéiste..."
Je dois ajouter que Mosjoukine combine la puissance de l'acteur de théâtre et celle d'un vrai homme de cinéma qui joue avec son corps tel un Fairbanks. Il est acrobatique ou intime. Un vrai grand acteur comme le dit Vanel. Espérons que certains de ses films français seront un jour disponibles en DVD.

lundi 14 juin 2010

Madame Récamier 1927

Un film de Gaston Ravel avec Marie Bell, Françoise Rosay, Victor Vina, Emile Drain, Charles Le Bargy et François Rozet

Cette super-production historique retrace la destinée de Juliette Récamier, une des icones de l'Empire. Le film commence par la visite quotidienne d'un Chateaubriand âgé (C. Le Bargy) à une Juliette Récamier presque aveugle (Nelly Cormon). Il lui demande de l'épouser. Elle demande un moment de réflexion et se souvient de sa jeunesse. Un long flash-back nous ramène sous la Révolution. En 1793, Julie Bernard (Marie Bell) mène une vie insouciante jusqu'à ce que sa mère lui demande d'épouser le banquier Récamier (V. Vina). Elle accepte. Mais, elle ignore que cet homme a été l'amant de sa mère et qu'il est son père biologique...Gaston Ravel a réuni un casting en or massif pour ce film historique qui fait penser aux futures productions de Sacha Guitry. De nombreux sociétaires de la Comédie Française se succèdent à l'écran: Charles Le Bargy (qui fut Henri III dans L'assassinat du Duc de Guise en 1908), Marie Bell (en Juliette Récamier), Emile Drain (en Napoléon), etc. Certes, la réalisation est assez statique et il n'y a guère de travellings, ni d'effets visuels inattendus. Mais, malgré tout, le film reste intéressant du début à la fin. Les acteurs sont excellents dans leurs rôles respectifs. Certaines scènes ont été tournées sur les lieux mêmes de l'action: la résidence de Mme de Staël, le chateau de Coppet (au bord du Lac Léman) et le Chateau de Fontainebleau. Nous revisitons une tranche de l'histoire de France, par le petit bout de lorgnette avec des mots d'auteur plein d'humour. Dans la première scène du film, en 1848, un jeune Victor Hugo commente l'attachement entre Mme Récamier et Chateaubriand tous les deux très âgés: "Regardez, que cela est touchant ! On va cesser de vivre, qu'on s'aime encore !" Dans sa jeunesse, tous les hommes en vue de la cour de l'Empereur sont fous d'elle. Mais, elle reste chaste et pure à la grande fureur de Mme Tallien et de Mme Hamelin qui la détestent et la jalousent. En fait, sa vie ressemble à celle d'une carmélite : vivant dans un mariage blanc auprès de son père pendant de longues années. Elle n'apprendra la vérité sur son époux que bien plus tard. Marie Bell est une jeune Juliette convaincante face à un excellent Victor Vina en Récamier. Si Gaston Ravel n'est pas un réalisateur très imaginatif, on peut néanmoins lui reconnaître des qualités narratives et picturales. Le début du film est très enlevé avec la foule des sans-culottes qui déboule vers la place de grève pour assister aux exécutions. Récamier contemple le spectacle de cette foule qui s'amuse et rit devant la guillotine, sachant qu'il risque d'y passer bientôt. Il y aussi une très jolie scène où la silhouette de Juliette se dessine derrière les volets à claire-voie attirant le regard de révolutionnaires avinés. Dans l'ensemble, ce film est une bonne surprise. Il est seulement dommage que la copie soit incomplète et nous prive de la rencontre entre le jeune Chateaubriand (interprété par Jean Debucourt, le fils de le Bargy) et Juliette Récamier.
Juliette Récamier (Marie Bell)

L'Ile enchantée 1926

Le metteur en scène Henry Roussell
Un film d'Henry Roussell avec Jacqueline Forzane, Renée Héribel, Rolla Norman et Paul Jorge

Gisèle (J. Forzane) dirige l'acierie de son père en Corse. Ils souhaitent édifier un barrage pour alimenter en électricité leur usine. Mais cela signifierait la destruction d'un vieux château transformé en moulin où habite un vieil homme. Ce vieillard est le père d'un bandit corse (Rolla Norman) qui a pris le maquis suite à une vendetta. Gisèle le rencontre et s'éprend de lui...

Ce film a été réalisé et écrit par Henry Roussell qui fut également un comédien renommé à cette époque. On peut le voir notamment dans Les Nouveaux Messieurs (1928) de Jacques Feyder. A priori, je ne m'attendais pas à grand'chose en allant voir le film, tout au plus à voir les grandioses paysages corses. Mais, en fait, le film s'est révélé être un mélo très réussi. Il évite les clichés et réussit à nous intriguer jusqu'à la dernière image. Les personnages sont très bien dessinés: Rolla Norman en bandit corse avec son large feutre et sa cape ressemble à un Judex corse. L'héroïne Jacqueline Forzane est une femme d'affaire qui porte cravate et blouse dans un univers pratiquement totalement masculin. Elle perd peu à peu pied en recontrant le bandit d'honneur qui lui fait comprendre que le progrès détruit l'environnement naturel. Même les personnages secondaires se révèlent incroyablement intéressants comme la femme du gendarme qui aide le bandit à s'enfuir. Elle lui est éternellement reconnaissante d'avoir sauvé son enfant de la dyphtérie et aime sans espoir le bandit. Les paysages rocheux avec ses pins et ses rivières apportent un contrepoint à l'histoire violente qui nous est contée. Après tout, on pourrait presque qualifier le film de western corse. Le final est très bien amené et nous offre une conclusion qui évite soigneusement un dénouement stéréotypé. La copie présentée est teintée et de bonne qualité. Très bonne soirée!

Les Misérables 1925



Un film d'Henri Fescourt en 4 parties
avec Gabriel Gabrio, Sandra Milowanoff et Jean Toulout

Les deux premières parties de cette version muette des Misérables sont réellement superbes aussi bien visuellement, esthétiquement et par le jeu des acteurs. J'ai été frappée à quel point cette version doit avoir influencé Raymond Bernard pour celle de 1934. On y retrouve de nombreuses scènes quasiment à l'identique. Mais, la différence principale avec le formidable film de Bernard, c'est que Fescourt a tourné pratiquement tout sur les lieux du roman: Digne et Montreuil-sur-mer. Le film étant plus long (env. 8h au lieu de 4h30), on y gagne en détails sur les personnages. Par exemple, nous découvrons en flash-back, les débuts de l'ignoble Thénardier qui pille les cadavres sur le champ de bataille de Waterloo ainsi que la jeunesse de Valjean et comment il est envoyé au bagne après le vol d'un pain pour nourrir ses frères et soeurs. Les différents acteurs sont très bien choisis. En particulier Gabriel Gabrio avec son physique de colosse et son regard brûlant, la petite Andrée Rolane, une Cosette à l'air fragile et douloureux, George Saillard et Renée Carl en couple Thénardier particulièrement vicieux et Sandra Milowanoff superbe Fantine. Certaines scènes (absentes dans la version Bernard) me restent en mémoire. Cosette (A. Rolane) trainant un seau, plus grand qu'elle, jusqu'à la fontaine. Elle voit les arbres se transformer en monstres fantastiques avec des bras et des yeux luisants dans les ténèbres, exactement comme le fera Disney en 1937 dans Blanche-Neige. Autre scène déchirante, Fantine (S. Milowanoff) décidant de se prostituer pour payer la pension de Cosette. Elle sort dans un quartier mal famé de Montreuil-sur-mer, et observe les femmes qui racolent. Elle hésite, sursaute quand un homme la touche au bras, s'éloigne effrayée, puis, plus tard accepte le bras d'un autre client, désabusée. Et finalement, Valjean (G. Gabrio) emmenant Cosette à Paris dans un bouge: la maison semble tout droit sortie d'un conte de Grimm, la masure Gorbeau. Puis leur fuite alors que Javert est à leurs trousses. Valjean réussit à hisser la petite en haut d'un mur alors qu'ils sont pris dans un cul-de-sac...L'utilisation des paysages avec ses arbres au formes déchiquetées et l'arrivée de Valjean au début du film perché sur un pic rocailleux: en une image, le ton du film est donné. Vivement la suite!
Il y a plusieurs scènes fantastiques dans cette dernière partie tournées dans le Paris des années 20. Tout d'abord l'atmosphère des rues aux pavés disjoints avec ses façades aux murs lépreux où gambade un Gavroche qui semble tout droit sorti de 1830. Le guet-apens dans la masure des Thénardiers est une grande réussite avec son clair-obscur et les visages grimaçants de gargouille des malfrats. Gabrio n'est pas aussi émouvant que Harry Baur (dans le film de Raymond Bernard de 1934) mais, il est néanmoins superbe dans la scène des égouts où il transporte Marius sur ses épaules puissantes. Jean Toulout -qui était une spécialiste de rôles de méchants à cette époque- donne un inquiétant relief à Javert. Dans ces deux dernières parties, Sandra Milowanoff joue le rôle de Cosette adulte après avoir tenu celui de Fantine. Elle réussit à nuancer très bien ses deux personnages. Fescourt suit un discourt narratif, certes linéaire, mais qui tient très bien la route grâce à la beauté des images et à la performance des acteurs. Espérons que le film sera bientôt disponible en DVD!!!

L'Enfant de Paris 1913

Un film de Léonce Perret

Je n'avais vu jusqu'à présent qu'un seul film de Léonce Perret (Les Etoiles de la gloire de 1919) et je viens de découvrir ce film long métrage de 1913 qui est absolument remarquable. Il n'a pas pris une ride et montre l'avance du cinéma européen par rapport au cinéma américain avant la 1ère guerre mondiale. Il s'agit d'un film de long métrage de 2h avec une cinématographie remarquable, un vrai sens du montage et du récit. Léonce Perret était avec Feuillade le cinéaste vedette de la firme Gaumont. Quand Feuillade réalisait des sérials à multiples personnages et rebondissements, Perret lui se concentre sur le long métrage. Il y a peu de personnages dans ce film, essentiellement la petite Marie-Laure (Suzanne Privat), le gentil Bosco (Maurice Lagrenée), Edmond le bachelier (Louis Lebas qui apparaitra dans Les Vampires dans le rôle de Satanas). Mais, ce qui frappe c'est la véritable poésie que se dégage des images de ce film. Perret sait choisir ses cadrages et les éclairages sont déjà incroyablement sophistiqués que ce soit pour les intérieurs et les extérieurs. On suit les aventures de la petite Marie-Laure kidnappée par Edmond qui attérit dans l'échoppe d'un poivrot, le savetier Tiron. Le Bosco, un bossu qui aide Tiron, se prend d'affection pour l'enfant. Quand Edmond vient la reprendre, il va les poursuivre jusqu'à Nice pour retrouver l'enfant. Le film utilise merveilleusement les extérieurs dans les rues de Paris et de Nice. Mais, jamais au dépents de la narration. Il utilise la profondeur de champ, les plans en plongée et les cadrages sont vraiment formidables. Les acteurs sont tous excellents et ont déjà une vraie technique de cinéma. Aucune trace de théâtralité chez eux. Avec Sjöström, Perret est vraiment un des pères du cinéma moderne. Dommage que la copie proposée par Gaumont dans leur coffret soit aussi décevante. Elle paraît avoir été réalisée à partir d'un contretype et manque de contraste et de luminosité. Leur Fantômas était d'une bien meilleure qualité....

Le Roman d'un mousse 1913


Un film de Léonce Perret avec Lucien Lebas, Maurice Luguet et Adrien Petit

Le marquis de Luscky (L. Lebas) est ruiné et doit une énorme somme d'argent à l'usurier Werb (M. Luguet). Werb lui conseille d'épouser la riche comtesse de Ker-Armor. Il lui suffira ensuite de la supprimer ainsi que son fils Charles-Henri (A. Petit) pour hériter de sa fortune. Werb se faisant passer pour un précepteur fait embarquer l'enfant sur un Terre-Neuva en donnant des instructions pour qu'il ne revienne pas...

Je continue mon exploration de Léonce Perret au sein de la boîte Gaumont Le Cinéma Premier vol. 1. Pour ce troisième long métrage, Perret combine une intrigue policière avec le roman d'aventure. Le petit Charles-Henri se retrouve bien malgré lui entraîné dans de dangereuses aventures sur un de ces bateaux qui partaient pêcher en Islande toutes voiles dehors. Perret offre à nouveau de merveilleux extérieurs à Biarritz, Saint-Malo et Le Havre. Il est dommage que le début du film soit assez lent et bavard. Puis, tout s'enchaîne plus rapidement au moment au Charles-Henri se retrouve à bord de la 'Marie-Jeanne'. Le brave père Paimpol le prend sous son aile et ils s'enfuient dans une chaloupe. Comme toujours, Perret est un maître pour raconter une histoire et créer une atmosphère. Il réussit à introduire de la poésie dans ses images par leur cadrage et leur composition. Même si ce film-là est moins réussi que L'Enfant de Paris, il est néanmoins remarquable pour un film de 1913. Dommage que la copie ne soit qu'un vilain contretype d'une copie belge (avec des intertitres doubles français/néerlandais).

Parisette 1922 (II)


René Clair & Sandra Milowanoff
Un sérial de Louis Feuillade en 12 épisodes avec Sandra Milowanoff, Georges Biscot, René Clair et Fernand Hermann

Episodes 6 à 12 (Fin)
Cogolin (G. Biscot) s'est réfugié à Nice pour échapper à la police qui le soupçonne du meutre de la rentière de Neuilly. Déguisé en clergyman, il fait de son mieux pour passer inaperçu. Parisette (S. Milowanoff) a retrouvé son grand-père en la personne du Marquis de Costabella (Bernard Derigal). Malade, elle part pour Nice avec lui. Leur ancien voisin, le père Lapusse se cache lui aussi à Nice...

Dans cette deuxième partie, l'action se passe entièrement dans le sud de la France (Nice, Beaulieu). Il faut dire que Gaumont a des studios sur place et peut également utiliser la villa de Léon Gaumont. L'action patine quelques peu dans certains épisodes. L'intrigue se recentre sur le comique Georges Biscot qui fait un numéro fort amusant déguisé en faux clergyman ou en vieille femme. Reste quelques séquences de meurtre qui montrent que Feuillade n'a perdu son talent dans ce domaine. Le père Lapusse est expédié dans un monde meilleur par Cogolin d'une manière inattendue. Il le jette par-dessus le parapet au bord d'une corniche qui surplombe la méditerrannée. Il tombe sur les rochers en contrebas. Et, il n'est en aucune façon inquiété pour ce meurtre! :o Au contraire, il devient le héros du moment, salué par tous les corps constitués, pour avoir sauvegardé l'honneur d'un dame au mépris de sa propre sécurité. Les autres personnages restent relativement passifs durant ces épisodes. Parisette et son fiancé Jean (un tout jeune René Clair) n'ont pas grand'chose à faire. Pour conclure, il ne s'agit pas d'un Feuillade majeur. Il n'y a pas l'élan et le rythme de Judex. Il y manque peut-être un peu d'atmosphère. Seul le premier épisode offrait du mystère et du clair-obscur. Quand il filme un pur mélo, Feuillade est moins à l'aise que dans l'intrigue criminelle. Néanmoins, ce sérial avec une bonne musique et une projection sur grand écran pourrait certainement gagner en ampleur.

Parisette 1922 (I)


Un sérial de Louis Feuillade en 12 épisodes avec Sandra Milowanoff, Georges Biscot, René Clair et Fernand Hermann

(Episodes 1 à 5) Au Portugal, le vieux Marquis de Costabella (Bernard Derigal) est ruiné. Mais miraculeusement, il met la main sur une fortune en lingots d'or. Sa petite fille Manoëla (S. Milowanoff) le soupçonne de vol et de meurtre. Désespérée, elle part prendre le voile des carmélites. Elle meurt au couvent. Quelques années plus tard à Paris, Parisette (S. Milowanoff) une jeune danseuse du corps de ballet de l'Opéra de Paris ressemble comme deux gouttes d'eau à la défunte Manoëla. Elle vit avec son oncle Cogolin (G. Biscot) en ignorant les manigances de leurs voisins de palier qui dérobent son uniforme de receveur pour s'attaquer à une rentière de Neuilly...

En 1922, Feuillade a perdu certains de ses acteurs favoris comme Marcel Levesque (inoubliale Cocantin et Mazamette) et Musidora. Il délaisse sa veine criminelle commencé avec Fantômas, Les Vampires et Judex pour le roman feuilleton dans le style des mélodrames populaires avec également des éléments criminels et comiques. On est proche de Roger La Honte ou de Sans Famille avec ses histoires de banquiers véreux, d'enfants illégitimes cachés et ses innocents accusés injustement. Feuillade a recruté en 1920 une jeune danseuse russe nommé Sandra Milowanoff. Elle est déjà apparu dans deux films de Feuillade et là elle joue un double rôle, la religieuse portugaise et la jeune danseuse parisienne. On peut admirer également son talent de danseuse quand elle interprète 'La Mort du Cygne' lors d'une soirée chez un banquier. Son visage triangulaire expressif en font la parfaite héroine de mélodrame, mais sans excès de sentimentalisme. Levesque est remplacé pour le rôle comique par Georges Biscot. Bien que n'étant pas aussi bon que son prédécesseur, il réussit néanmoins à égayer le film avec ses mimiques et ses faux-pas. Le début du film au Portugal offre une image avec des clairs obscurs qui renforce le mystère du Marquis de Costabella. Le film comporte quelques cascades dangereuses comme lorsqu'un malfrat escalade la façade d'un immeuble pour pénêtrer par la fenêtre. Le plan général ne laisse aucun doute sur le fait que la cascade a réellement été réalisée. Certes, le film a moins de mouvements et d'actions que les sérials précédents de Feuillade. Mais, les épisodes de 30-35 min sont bien remplis et tiennent en haleine. Il me reste encore 7 épisodes à voir.

Pêcheur d'Islande 1924


Un film de Jacques de Baroncelli avec Sandra Milowanoff et Charles Vanel

Cette adaptation du roman de Pierre Loti suit la destiné de Yann Goas (C. Vanel) un pêcheur de morue de Paimpol. Il part chaque année pour de longues campagnes de pêche en Islande. Gaud (S. Milowanoff) est amoureuse de lui ; mais, il refuse de l'épouser. Il se considère comme 'marié avec la mer'...Voilà un film que je voulais voir depuis plusieurs années et je n'ai pas été déçue. Le film a presque entièrement été tourné à Paimpol et à Ploubazlanec sur les lieux mêmes décrits par Loti. Charles Vanel (qui déjà à cette époque était spécialisé dans les rôles de méchants) est ici le héros Yann Goas, un pêcheur breton bourru et trapu. Il dit dans un livre d'entretien qu'il avait toujours rêvé d'être pêcheur et son rêve est exaucé dans ce film. Il forme un couple parfait avec la fragile Sandra Milowanoff, une actrice d'origine russe avec laquelle il a tourné pas moins de quatre films, y compris son unique réalisation Dans la nuit (1929). Il avait beaucoup d'admiration pour elle et on sent une vraie alchimie entre les deux acteurs. L'évocation de la vie rude des pêcheurs de morue est illustrée par des images d'archives qui les montrent en train de pêcher la morue au filet ou la ligne. On suit aussi la vie des femmes restées à terre qui attendent pendant de longs mois le retour de leur mari, père ou frère. Le départ pour une campagne de pêche est un moment de déchirement où toutes les femmes se rassemblent sur le quai pour dire adieu à leur époux. Yann embrasse une dernière fois Gaud qu'il a finalement épousée. Elle le suit le long de la côte jusqu'à ce que le navire disparaisse à l'horizon. On ne peut que louer le jeu des deux acteurs qui sont tous deux très sobres, mais réussissent à faire passer la violence de la séparation. Puis commencent les longs mois d'attentes et les femmes se rassemblent au pied de la Croix des Veuves pour attendre le retour des bateaux. Tout près de là, il y a, dans le cimetière de Ploubazlanec, 'le mur des disparus en mer' qui resence les noms de tous les pêcheurs et les bateaux disparus lors de la pêche en Islande. La région a payé un lourd tribu pour cette pêche dangereuse. Yann fait partie de ceux qui ne reviendront pas; il rejoindra les disparus en mer comme il en avait le pressentiment. Baroncelli utilise les surimpressions avec intelligence et son film échappe au syndrome de la couleur locale artificielle. Il a utilisé les habitants de Paimpol pour la figuration; mais ils s'intègrent merveilleusement avec les acteurs. Vanel se souvient que durant le tournage les gens l'interpellaient dans la rue: "Hé Yann!" comme si il était le personnage de Loti! La copie que j'ai vue était de toute beauté et probablement issue du négatif original. Le film a été projeté au Magic Cinéma de Bobigny malheureusement trop rapidement (on devait être proche de 24 im/sec). La musique électronique qui l'accompagnait était dans l'ensemble pas mal, en tous cas, elle suivait l'atmosphère de chaque scène (ce qui est loin d'être toujours le cas!). Une très bonne soirée.

Le pied qui étreint 1916


Un film de Jacques Feyder (?) avec Kitty Hott et Georges Biscot

Cette parodie de The Exploits of Elaine (1914, L. Gasnier) produite par Gaumont semble avoir été réalisée par J. Feyder. Je dis bien, semble, car il est fort difficile d'attribuer un film à un réalisateur à cette époque-là. Le film part d'une bonne idée qui est de parodier les sérials américains avec leurs intrigues tirées par les cheveux. Hélas, le résultat n'est pas à la hauteur. Les gags sont incroyablement laborieux et les quelques bonnes idées sont étirées jusqu'à plus soif... On ne peut guère sauver que le numéro de Biscot en Chaplin (voir photo ci-dessus), bien qu'il soit très mal dirigé. Les premiers courts-métrages de Feyder à la Gaumont sont incroyablement meilleurs et plus subtils. Vous pouvez d'ailleurs en voir trois exemples sur le coffret Gaumont Vol 2: Des Pieds et des Mains (commencé par G. Ravel, fini par Feyder) ainsi que Têtes de femme, femmes de tête et Un Conseil d'ami. Il y a une énorme erreur au générique de cette restauration de la Cinémathèque avec Gaumont: le rôle principal du détective est attribué à André Roanne alors que c'est un acteur ventripotent assez âgé (voir ci-dessus l'homme avec le chapeau melon à la main). André Roanne n'apparaît que quelques secondes vers la fin en pompier....

Barrabas 1920


Un sérial de Louis Feuillade en 12 épisodes avec Gaston Michel, Fernand Hermann, Edouard Mathé, Georges Biscot et Blanche Montel

Jacques Rougier sort de prison. Il est immédiatement pris en charge par une organisation criminelle secrète 'Barrabas'. Alors qu'il tente de quitter cette vie de crime, il se retrouve inculpé de meurtre. Il est condamné à la guillotine bien qu'innocent. Il laisse un testament à son avocat Jacques Varèse (F. Hermann). Celui-ci va tenter de percer le secret de cette organisation dont le chef est le banquier Strélitz (G. Michel)...

Avec ce sérial en 12 épisodes, Feuillade poursuit sur la lancée de Fantômas. Nous sommes à nouveau face à un grand maître du crime. Gaston Michel prête sa barbe blanche et sa haute stature à Strélitz, un monstre froid qui peut éliminer femme ou enfant d'un trait de crayon. Comme le dit l'une de ses victimes, Noëlle Maupré: "On peut ne pas croire en Dieu, mais quand on connait Strélitz, on est bien obligé de croire en Satan." Chacun des membres de l'organisation porte un tatouage au bras qui fait de lui un membre à vie de Barrabas. Face à cette organisation riche (elle possède hôtel et clinique) et tentaculaire, l'avocat Varèse (F. Hermann) et son ami le journaliste Raoul de Nérac (E. Mathé) vont devoir se battre. Ils peuvent compter sur le renfort de Laugier (Laurent Morlas), un garagiste ami de Nérac et du crémier Biscotin (G. Biscot). Mais, la lutte sera difficile ponctuée d'enlèvement, de chantage et de meurtre. La film contient quelques cascades spectaculaires comme celle dépeinte sur l'affiche ci-dessus où Laurent Morlas saute sur le toit d'un train en marche depuis un pont. Et Blanche Montel s'échappe d'un vieux manoir par les toits avant de traverser les fossés en marchant sur une planche étroite. Le film commence à Paris avant de se déplacer à Marseille et à Nice (où Gaumont possède des studios). Le film contient quelques vues aériennes spectaculaires de Nice où on peut admirer la jetée promenade maintenant disparue. Les héros se déplacent en train, en voiture, en avion biplan ou en hydravion. Les personnages restent des esquisses ; mais la narration est menée de main de maître. Parisette, qui était un mélodrame, révélait les faiblesses des personnages. Feuillade est plus doué pour tisser une trame à suspense que pour la subtilité psychologique. Dans une histoire criminelle comme Barrabas, les personnages sont suffisamment typés pour nous faire oublier qu'ils sont des stéréotypes. Et l'intrigue se déroule suffisamment rapidement pour qu'on soit pris par le récit. Gaston Michel, un vétéran du théâtre français, est parfait en maître du crime. Son allure suggère un banquier prospère et inoffensif. Il arrive facilement à tromper son monde. La copie numérisée du Forum des Images est superbe: entièrement teintée et bien contrastée. (Seuls quelques épisodes sont un peu trop sombres.) Un très bon Feuillade.

Harakiri 1919


Un film de Fritz Lang avec Lil Dagover

Cette version de Madame Butterfly réalisée en Allemagne par un jeune Fritz Lang est un film décevant. Ayant vu maintenant, un bon nombre de films des années 10, celui-ci ne brille pas par son originalité en terme de narration visuelle, ni par son montage, ni par sa direction d'acteurs. Nous avons droit à un long prologue sur le père de Butterfly, ici nommée O-Take-San (L. Dagover). Et son mari n'est pas américain, mais scandinave, probablement pour ne pas froisser les USA. On peut retenir le travail de décoration et des costumes qui sont très réussis. Le film manque singulièrement de poésie. Là où un Léonce Perret ou un Maurice Tourneur (pour parler du cinéma contemporain) aurait réussi à injecter un souffle et un respiration à ce mélo. Nous n'avons ici qu'une succession de scènes filmées en plan moyen ou large avec des cartons extrêmement verbeux. J'avoue n'avoir ressenti aucune émotion en regardant ce mélo où le jeu des acteurs est plutôt rudimentaire. Pourtant Lil Dagover pouvait être émouvante ; elle était formidable dans Le Tourbillon de Paris de J. Duvivier. Et il y a aussi le problème qu'aucun des acteurs ne soit japonais et ne comporte comme un japonais. En 1919, Sessue Hayakawa travaillait aux USA où il tournait en Californie un Dragon Painter - basé sur une légende japonaise - bien plus convaincant et intéressant que ce Harakiri.

Die Weissen Rosen 1914

Les Roses Blanches
Un film d'Urban Gad avec Asta Nielsen

Thilda Wardier (A. Nielsen), une actrice, part pour Ostende avec son jeune amant Adam. Il lui a prêté une broche couverte de diamants appartenant à sa grand-mère. Elle attire les regards de deux escrocs dans le grand hôtel où ils descendent...

Asta Nielsen était une grande star du cinéma danois et allemand des années 10-20. Je ne l'ai vu jusque là que dans trois films: Hamlet (1920) où elle est une version féminine étonnante du prince du Danemark, La Rue Sans Joie (1925) et un fragment de Die Geliebte Roswolskys (1921). Elle avait un physique androgyne et longiligne qui tranche avec la silhouette des actrices de l'époque. Elle avait en plus un charisme indéniable avec son sourire ravageur et sa haute taille. Roses Blanches est une comédie policière très bien menée où elle se retrouve au centre du manège de deux malfrats qui lui dérobent un bijou de grande valeur pour en extraire les pierres et les remplacer par des fausses. Le suspense s'accroît alors qu'elle est revenue dans sa chambre d'hôtel et que le bijou n'a toujours pas été retourné. Le metteur en scène réussit à nous tenir en haleine jusqu'à la dernière minute. Certes les personnages restent schématiques, mais, pas plus que dans un sérial de Feuillade contemporain. Au total, une bonne surprise.

Terje Vigen 1917


Un film de Victor Sjöström avec Victor Sjöström et Edith Erastoff

Au debut du XIXème siècle, en Suède, le pauvre pêcheur Terje Vigen (V. Sjöström) se retrouve prisonnier des Anglais en essayant de braver leur blocus pour nourrir sa famille. Après 5 ans de captivité, il retourne dans son village. Sa femme et son enfant sont morts..

Ce film est certainement un de mes préférés toutes catégories confondues. Il réussit à combiner le lyrisme des paysages avec celui des vers d'Ibsen et la composante visuelle en fait un chef d'oeuvre. Sjöström dans le rôle principal est tout simplement génial. En plus de la beauté de la cinématographie de Julius Jaenzon (qui fut le mentor de Sven Nykvist), Sjöström donne à son personnage une profondeur psychologique inattendue pour un film de 1917. Cet homme qui a perdu sa famille est hanté par un violent désir de vengeance et lorsqu'il retrouve son ancien tortionnaire, il songe immédiatement à le faire partir par le fond avec sa femme et sa fille. Mais, il réussit à surmonter ce sentiment en découvrant le visage de l'enfant qui lui rappelle celui qu'il a perdu. Au lieu de nous présenter des personnages en noir et blanc, comme le fait un Griffith, Sjöström s'attache aux zones d'ombres qu'il y a en chacun de nous. La copie teintée chez Kino est identique à celle publiée par le Svenk Filminstitut à part les cartons traduits en anglais. L'accompagnement au piano de Donald Sosin est excellent sur Kino. La copie suédoise propose une partition orchestrale de Matti Bye également à recommander. A voir absolument!

Ingeborg Holm 1913

Un film de Victor Sjöström avec Hilda Borgström

Suite à la mort de son époux, Ingeborg Holm (H. Borgström) se retrouve dans le dénuement le plus total. Elle fait appel aux services sociaux qui décident de placer ses trois jeunes enfants dans des familles d'accueil. Elle se retouve à l'asile pour les pauvres...

C'est le film de Victor Sjöström le plus ancien qui soit disponible en DVD. Ce grand cinéaste et acteur suédois a réalisé des films dès 1912. Il est sans conteste avec Mauritz Stiller l'un des plus grands réalisateurs des années 10. Ils réalisent tous les deux des films qui sont techniquement incroyablement avancés et le choix de leurs sujets sont également peu communs dans le cinéma mondial. Avec Ingeborg Holm, il montre sans ambages comment la société suédoise des années 10 traitent ses pauvres. Si vous pensiez que la Suède a toujours été un pays social-démocrate et riche, il n'en est rien. Au début du XXème siècle, il règne une misère certaine et l'Etat loin d'appaiser les tourments, ajoute encore aux souffrances des malheureux en en faisant des assistés à vie. Pire, on leur enlève leurs enfants pour les placer. Sjöström non seulement dénonce un état de fait, mais, il réalise également un mélodrame poignant superbement interprété par Hilda Borgström. Dans ses films, le jeu des acteurs est toujours mesuré et juste. Il était lui-même un merveilleux acteur de théâtre et de cinéma. Ce film est tourné principalement en décors de studio contrairement à ses films plus tardifs qui exploiteront les paysages sauvages de la Scandinavie. Si les gros plans sont rares, la composition des plans moyens et larges est bien définie avec parfois une grande profondeur de champ. La copie Kino est moyenne est un peu de décomposition ici et là. Mais, quel plaisir de pouvoir découvrir ce merveilleux film!

The Godless Girl 1929


Lina Basquette
La Fille sans Dieu
Un film de Cecil B. DeMille avec Lina Basquette, Marie Prevost, George Durya et Noah Beery

Judy (L. Basquette) organise des réunions sur l'athéisme au sein de son lycée. Lors de l'une d'elles, les pro-religieux de l'établissement menés par Bob (G. Durya) les attaquent. Une amie de Judy chute accidentellement du haut d'un escalier lors de l'échauffourée. Elle meurt. Bob et Judy sont tous deux envoyés dans une maison de correction pour délinquants juvéniles qui ressemble à un pénitencier...

Noah Beery
Avec son dernier film muet, De Mille renoue avec ses films du début de sa carrière, comme Kindling (1915), où il s'intéressait aux problèmes sociaux. Cette Fille sans Dieu est certainement un de ses tous meilleurs films. Loin des alcoves parfumées et des intrigues tarabiscotées de ses films des années 20, il montre ici dans toute son horreur le traitement honteux infligé aux jeunes délinquants. Nous ne sommes pas loin de I Am a Fugitive from a Chain Gang (1932, M. LeRoy) avec cette vision sans concession de la vie pénitenciaire. Les jeunes sont enchaînés, aspergés par avec des lances à incendies, doivent transporter de lourdes charges, reçoivent le fouet, etc. D'ailleurs, le niveau de violence de ce film est tout à fait étonnant. Il a certainement rebuté le public car le film fit un flop au box-office lors de sa sortie. Mitchell Leisen, le chef décorateur du film, a réalisé un décor totalement réaliste de ce pénitencier que l'on croirait réel. Quant aux acteurs, ils ont pris de gros risques durant ce tournage où ils ont dû tourner littéralement dans les flammes après avoir été 'ignifugés' avec de l'amiante (!). Le final du film vous cloue littéralement sur votre siège alors que les détetenus essaient de sauver Judy, coincée dans une cellule, alors qu'un incendie ravage tout le bâtiment. Noah Beery (le frère de Wallace) personnifie le mal dans le rôle du gardien chef qui prend un plaisir sadique à torturer les détenus à l'électricité. La cinematographie signée Peverell Marley est sublime dans cette très belle copie. Dans le coffret Treasures III, le film est accompagné au piano. Il est fort dommage qu'ils n'aient pas choisi l'excellente partition orchestrale de Carl Davis (réalisée en 2007 pour une diffusion sur Film 4 en GB). En effet, avec la musique de Davis, le film prend une tout autre dimension dramatique, surtout lors de la séquence finale.
George Durya

Treasures III-Social Issues in American Film (II)

Deuxième disque de Treasures III-Social Issues in American Film qui est consacré aux femmes (New Women) et à leur place dans la société. Les sujets abordés sont : la prohibition, les suffragettes, le mariage, l'éducation, l'avortement etc.



Where are my children? (1916, Lois Weber) avec Tyrone Power Sr, Helen Riaume et Mary Walcamp
Le District Attorney Richard Walton (T. Power Sr) est sans enfant. Durant le procès d'un médecin avorteur, il apprend pourquoi son épouse n'en a jamais eu...
Ce film est l'oeuvre de Lois Weber, une des pionnières du cinéma américain qui réalisa des films aussi impressionnants que Suspense de 1913 qui contient un écran divisé et des plans en plongée. Ce film se veut en faveur du contrôle des naissances tout en condamnant violemment l'avortement. (Voilà un sujet qui ne sera plus du tout abordé dans le cinéma américain pendant de longue années !) Le traitement de l'histoire provoque un certain malaise. En effet, le DA Richard Walton est présenté comme un partisan de l'eugénisme qui était à la mode à l'époque. Cet eugénisme consiste à favoriser la naissance d'enfants sains dans des familles comme-il-faut et à prévenir les naissances d'enfants dans des familles qui sont soit-disant des 'foyers criminels'. Ce type de projet sera repris plus tard par les Nazis. Mais, n'anticipons pas, ici, Weber s'attache au problème du contrôle des naissances, mais ne pose pas le problème comme il faut. Elle montre que les femmes de la bonne société ont recours à l'avortement comme moyen contraceptif. En parallèle, nous voyons les miséreux qui ont de multiples enfants sans pouvoir n'y rien faire. Le tout est agrémenté d'images pieuses d'enfants à naître ou de ceux qui sont renvoyés vers les cieux (avec des surimpressions assez hideuses). Mais, avec ses énormes défauts, ce film nous donne une vision assez claire des mentalités en 1916 aux USA alors que Margaret Sanger se lançait dans sa campagne pour le contrôle des naissances. (La France était encore bien loin de tout cela à cette époque-là !) Pour ce qui est du film lui-même, les acteurs sont excellents avec en premier lieu Tyrone Power Sr et Helen Riaume (qui sont les parents de Tyrone Power). La copie proposée a été reconstituée à partir de deux copies différentes. Il y a une très bonne partition orchestrale.
Les deux premiers courts-métrages de la firme Edison se concentrent sur la terrifiante Carrie Nation qui fut la tête de pont de la prohibition dans les années 1900. Armée d'une hache, cette armoire à glace de 6 pieds de haut s'attaquait aux bars et aux saloons pour réduire en miettes toutes les bouteilles qui tombaient sous sa lame. Edison se moque du personnage dans deux petits films où Carrie Nation est jouée par un homme. Kansas Saloon Smashers (1901) montre la destruction d'un saloon tranquille où quelques hommes viennent prendre un verre. Et dans Why Mr Nation Wants a Divorce (1901), le malheureux époux de Carrie doit gérer une marmaille envahissante avant de recevoir une fessée de son épouse.
Trial Marriages (1907, Biograph Co) s'intéresse au mariage à l'essai que prônait Elsie Clewes Parson, une dame de la bonne société. Inutile de dire que de telles idées étaient considérées comme totalement scandaleuses à l'époque. Et ce court-métrage se moque du mariage à l'essai en montrant un malheureux célibataire qui est victime de plusieurs femmes (la pleureuse, la jalouse et la fénéante). Le style comique est assez archaique (même pour l'époque). dans l'ensemble, le ton est résolument misogyne.
A Lively Affair(1912, Selig ou Warner ?) nous montre un groupe de femmes qui sous couvert d'un meeting de suffragettes, se retrouvent pour une partie de poker endiablée. A nouveau, on sent une forte misogynie car le mouvement des sufragettes marquait le désir d'émancipation des femmes.
A Suffragette in Spite of Himself (1912, Edison Co) est une amusante comédie tournée à Londres par la branche anglaise de la Compagnie Edison. On y voit un gentleman anglais, courroucé par les suffragettes, qui est la victime d'une blague de collégien. On lui a épinglé dans le dos un panneau: 'Vote for Women' sans qu'il s'en aperçoive. Il provoque la fureur d'un groupe d'hommes avant d'être pris à parti par des suffragettes. On reconnait plusieurs lieux célèbres londoniens dont Trafalgar Square. Le rôle principal est joué par Marc McDermott qui fut un spécialiste des rôles de fripouille mondaine.

The Courage of the Commonplace (1913, Rollin S. Sturgeon/Vitagraph) est un excellent court-métrage qui montre le labeur des femmes de fermiers dans l'Amérique rurale de l'époque. La fille aînée d'un fermier aide sa mère du matin au soir pour nourrir ses nombreux frères et soeurs en rêvant secrètement d'aller étudier l'art au collège . Elle économise péniblement sou par sou pour payer son inscription. Hélas, ses espoirs s'évaporent quand le cheval de labour meurt et doit être remplacé pour la prochaîne moisson... Ce CM a une fraîcheur et une qualité documentaire qui le rend immédiatement attachant. Le rêve de la jeune fille d'étudier pour sortir de son milieu rural est brutalement anéanti par les besoins immédiats de la ferme. Les petits fermiers américains vivaient très difficilement à l'époque avec des méthodes ancestrales. Excellent film Vitagraph.
Poor Mrs Jones! (1926, Prod. USDA) Ce court-métrage d'une quarantaine de minutes a été produit par le ministère de l'agriculture américain à des fins éducatives. C'est néanmoins une document fascinant sur les différences entre la vie rurale et citadine à l'époque. Mrs Jones est une femme de fermier qui est fatiguée par ses longues journées de labeur. Elle interpelle son mari en lui faisant remarquer qu'il gagne un misérable 400$ par an alors que le mari de soeur lui gagne 2000$ par an, en ville. Elle part visiter sa soeur et va découvrir l'envers du décor de la vie citadine. Sa soeur habite un tout petit appartement au dernier étage (sans ascenseur) et sa vie quotidienne est loin d'être reluisante après le paiement du loyer. Elle partage une seule pièce avec son mari et son jeune fils. La nourriture coûte une somme astronomique et la fermière trouve les oeufs incroyablement mauvais (ils sont probablement loin d'être frais...!). La foule est oppressante et le trafic incessant. En une semaine, elle se rend compte que son sort est bien plus enviable que celui de sa soeur. Certes, la vie est dure ; mais, ils vivent au grand air avec une nourriture abondante et saine. Le ministère de l'agriculture cherchait certainement avec ce film à décourager la migration des ruraux vers les villes. Il faut dire qu'avec la dépression de 29, de nombreux paysans avaient déjà fait ce chemin. La réalisation de ce film est en tout point intéressante par son aspect documentaire et le jeu totalement naturel des acteurs. Un document formidable sur l'amérique des années 20.
Si la plupart des films ont un point de vue masculin misogyne, il ressort néanmoins que les mouvements pour l'émancipation féminine (même ridiculisées dans certains films) étaient très important à l'époque. Juste un petit rappel pour les françaises qui obtinrent le droit de vote en 1944 : Les britanniques votaient depuis 1918 et les américaines depuis 1920....