En 1932, King Vidor accepte de réaliser un film pour Samuel Goldwyn après leur première collaboration pour Street Scene en 1931. Vidor est intéressé à l'idée de diriger Ronald Colman et il choisit lui-même une jeune figurante anglaise pour le rôle de Doris, Phyllis Barry. Il a déjà expérimenté cette manière de faire avec The Crowd où il imposa un figurant inconnu, James Murray. A l'instart de Murray, Barry ne fera qu'une minuscule carrière au cinéma. Peut-être, fallait-il toute l'intuition et l'intelligence d'un Vidor pour obtenir une caractérisation exceptionnelle de ces débutants! Une petite explication rapide du titre un peu mystérieux de ce film. Il fait référence à un vers d'un poète anglais, très connu à l'époque, Ernest Dawson: "I have been faithful to thee, Cynara, in my fashion". (je t'ai été fidèle, Cynara, à ma façon).Scène de tournage de Cynara: Vidor sous la caméra, Phyllis Barry et Ronald Colman au centre. Remarquez l'ironie du message sur la caméra (Keep it simple!)
Synopsis
Jim Warlock (Ronald Colman) est un avocat du barreau londonien voué à un bel avenir. Il est marié depuis sept ans avec Clemency (Kay Francis) et leur entente semble parfaite. Son ami, le très malicieux John Tring (Henry Stephenson) se moque de sa fidélité conjugale et lui reproche de ne jamais se "laisser aller". Le même soir, en rentrant chez lui, Jim découvre que Clemency s'apprête à partir pour Venise avec sa soeur Gorla (Florine McKinney). Furieux de voir son épouse le déserter pour protéger sa soeur de mauvaises fréquentations, il accepte néanmoins ce départ. Etant "célibataire" pour quelques semaines, Tring l'emmène dîner dans un restaurant italien du quartier populaire de Soho. Ils font connaissance avec deux jeunes vendeuses Doris Lea (Phyllis Barry) et Milly Miles (Viva Tattersall). Jim est extrèmement réticent, mais, poussé par Tring, il accepte d'aller au cinéma voisin avec les deux jeunes femmes. Durant la projection de A Dog's Life de Chaplin, Doris pose sa main sur celle de Jim, puis lui inscrit son numéro de téléphone sur une enveloppe. Jim la déchire et assure n'avoir aucune autre femme dans sa vie que Clemency. Mais, Tring a plus d'un tour dans son sac. Il accompagne Jim à un concours de beauté de natation où il s'est arrangé pour faire participer Doris.Jim donne le premier prix à Doris et comme celle-ci s'est foulée le cheville, il la ramène chez elle. Doris insiste pour qu'il reste quelques instants et avoue être amoureuse de lui. Elle combat ses réticences en lui avouant avoir eu d'autres amants, jure que leur aventure sera sans lendemain et qu'ils se quitteront dès qu'il le voudra. Doris et Jim passe quelques jours à la campagne en se faisant passer pour mari et femme. Doris est de plus en plus déprimée à l'idée de leur séparation. Jim rentre à Londres et retrouve son épouse revenue de Venise en son absence. Son attitude étrange suscite l'inquiétude de Clemency. Face à l'insistence de Doris, il accepte de la rencontrer, mais, ne lui donne aucun espoir quant à une quelconque rencontre ultérieure. Plus tard, l'amie de Doris, Milly débarque chez Jim Warlock et lui demande de mettre la main à la poche pour aider Doris qui, totalement déprimée, a perdu son travail. Sur ces entrefaites, un gendarme arrive et annonce qu'on a retrouvé le corps sans vie de Doris avec une lettre de rupture de Warlock. Jim est convoqué par le coroner qui doit statuer sur son impliquation dans le suicide de Doris. Lorsqu'il est interrogé sur la vie sentimentale de la jeune femme, il décide de taire ses liaisons passées. Sa carrière détruite en Angleterre, Jim Warlock décide de partir seul pour l'Afrique du Sud, où il repartira de zéro. Clemency, finalement convaincue par le plaidoyer de John Tring, le rejoint sur le bateau au moment du départ.
Samuel Goldwyn a acheté les droits d'un pièce anglaise pour en faire un film avec Colman. Frances Marion l'a adapté pour l'écran. L'origine théâtrale est assez évidente, malgré plusieurs scènes en extérieur. Mais, ce qui fait le prix de ce film, c'est l'originalité et le traitement du sujet : l'infidélité. Le film ne nous offre ni de bons, ni de méchants, mais des êtres humains faillibles. De même, le film nous épargne une quelconque explication pour la conduite de Jim Warlock : il a trompé son épouse en son absence sans qu'il y ait eu la moindre discorde dans leur couple. De même Doris tombe amoureuse d'un homme marié en sachant pertinemment qu'il ne quittera pas sa femme et que leur aventure est sans lendemain. Elle en paiera chèrement les conséquences. Quant à Clemency, elle ne fait aucune scène de jalousie. Elle est d'abord stupéfaite, songe à quitter Jim, avant de réaliser qu'elle l'aime toujours et de le rejoindre. Vidor était particulièrement content de cet état de fait: " En regardant le film maintenant, j'y vois en un sens un reflet de mon propre caractère et de mon attitude. La pensée conditionnée essaie de congeler les histoires d'amour dans des catégories figées avec des réponses pré-déterminées. Le travail de toute de ma vie a été de secouer cette tradition. Ce type est amoureux de sa femme, mais, est-il forcément un salopard parce qu'il aime cette autre fille? Il est attiré par elle, elle remplit un besoin qu'il a. Il a du respect pour cette fille, il l'aime bien et a de la tendresse pour elle. C'est vraiment un thème universel: l'amour n'est pas forcément confiné à une seule personne." Vidor est aussi aidé par le fait que le film a été réalisé durant cette période grise que l'on appelle Pre-Code où il est possible d'aborder plus franchement le thème de l'infidélité. Quant aux acteurs, Vidor a eu l'idée formidable d'opposer les deux stars Kay Francis et Ronald Colman à l'inconnue Phyllis Barry (qui ressemble énormément à Eleanor Boardman, sa 2ème épouse!). On y voit également le reflet de leurs différences sociales: l'avocat upper-middle-class face à la petite vendeuse. Nous sommes dans une Angleterre encore victorienne qui est fort différente de l'Amérique de l'époque. Ronald Colman se sort admirablement d'un rôle complexe, empêtré dans ses contradictions et ses mensonges. On peut aussi apprécier l'humour de son discours (qu'il donne l'impression d'improviser) lors du concours de natation. Phyllis Barry est parfaitement simple et naturelle, contrastant avec la classe et l'élégance de Kay Francis. Le film ne fut pas un succès auprès du public à l'époque; il fut certainement rebuté par les qualités même qui nous séduisent maintenant.
Le film est projeté à la cinémathèque française les 27 janvier et 1er mars prochains.
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