samedi 30 juin 2012

M'liss 1918

L'enfant de la forêt
Un film de Marshall Neilan avec Mary Pickford, Thomas Meighan, Tully Marshall et Theodore Roberts

Melissa Smith (M. Pickford), dite M'liss, vit avec son vieux père Bummer Smith (T. Roberts). Elle se comporte en sauvageonne, attaque la diligence avec son lance-pierre et ne fréquente pas l'école. Mais l'arrivée d'un nouveau maître d'école (T. Meighan) va la faire changer d'idée...

Charles Gray (T. Meighan)
Cette parodie de western est une adaptation de Bert Harte qui a produit nombres d'oeuvres westerniennes adaptées au cinéma comme Tennessee's Pardner. La scénariste Frances Marion, la collaboratrice habituelle de Mary Pickford à l'époque, va en faire une version comique tout à fait réussie. Retournant les situations habituelles du western, le héros déliquant juvénile est ici une héroïne. M'liss se comporte comme un petit vaurien et ne respecte aucune autorité. La figure de la 'schoolmarm' est ici remplacé par un maître d'école sous la forme de l'élégant Thomas Meighan, acteur alors très actif chez Cecil B. DeMille où il apparaît dans Kindling (1915), The Trail of the Lonesome Pine (1916) et dans nombres de comédies avec Gloria Swanson. Pickford bénéficie également d'un casting de choix pour les seconds rôles où l'on reconnaît ce grand cabot de Theodore Roberts (autre acteur de DeMille) et l'inusable Tully Marshall en juge excentrique et incompétent. 
Juge McSnagley (T. Marshall)
L'intrigue, extrêmement bien construite, nous conte la vie de M'liss dans une petite ville minière du nord de la Californie. Son vieux père ne songe plus qu'à dormir avec sa poule favorite et à engloutir des litres de whisky. L'arrivée du séduisant maître d'école, Charles Gray va la décider à se rendre à l'école dans un accoutrement qu'elle croit à la mode (avec les plumes de la poule sur son chapeau!). Mais, l'intrigue tourne au drame lorsque son père est assassiné subitement d'un coup de couteau. Les soupçons se portent sur Charles Gray qui l'a vu le dernier en vie. M'liss va tout faire pour le sortir de ce mauvais pas grâce à l'aide du conducteur de la diligence (Charles Ogle). Tous les éléments westerniens sont réunis : la ville minière, la diligence, les milices de lyncheurs, etc. Mais, les éléments sont subtilement détournés comme dans l'excellent Wild and Woolly (1917, J. Emerson) où Fairbanks apporte beaucoup de fraîcheur à sa vision westernienne. La séquence du procès présidé par l'inénarrable juge Joshua McSnagley (un Tully Marchall en grande forme) tourne finalement à la comédie. Le film a été tourné près de Boulder Creek dans le nord de la Califonie. Et les images sont signées du britannique Walter Stradling (l'oncle d'harry Stradling) qui nous offre des paysages et des gros plans de toute beauté. Mary Pickford donne à son personne brio, exubérance et énergie. Cette adolescente presqu'adulte le devient plus vite que prévu suite à la mort de son père. Ce thème sera de nouveau exploité dans ce petit chef d'oeuvre qu'est Heart o' the Hills (1919, S. Franklin). Un Mary Pickford de très grande qualité.

jeudi 28 juin 2012

The Shakedown 1929

L'école du courage
Un film de William Wyler avec James Murray, Barbara Kent et Jack Hanlon

Dave Roberts (J. Murray) fait partie d'un petit groupe d'escrocs qui organisent des matches de boxe truqués. Arrivé dans une petite ville, il se prend d'amitié pour un gamin des rues, Clem (J. Hanlon), qui va l'aider à revenir dans le droit chemin...

Cette production Universal est sortie sous deux formats différents : une version parlante et une version muette. C'est la version muette (qui ne fait que 6 bobines) que j'ai pu voir. Le jeune William Wyler fait alors ses armes au sein de la firme de Carl Laemmle. Il a à sa disposition une distribution de belle qualité avec James Murray, encore auréolé de son succès dans The Crowd (La foule, 1928) de King Vidor et la jeune Barbara Kent qui a tourné récemment dans Lonesome (Solitude, 1928) de Paul Fejös. Mais, le scénario est assez convenu et n'offre guère de surprise : la rédemption d'un boxeur grâce à un gamin qu'il a adopté. Wyler utilise une caméro mobile et tente de donner à son récit une certaine fraîcheur. Mais, le film comprend de nombreuses scènes de dialogue muet qui montre la difficulté rencontrée par les réalisateurs dans cette période de transition muet-parlant. Néanmoins, il semble que la version muette est considérée comme bien supérieure à la version parlante où Murray fit l'objet de sévères critiques. La première vision du film ne m'avait guère convaincue. Le gamin joué par Jack Hanlon m'avait paru bien cabotin et le scénario une succession de clichés. A la deuxième vision, je reste toujours sur ma faim car le film qui se veut plein d'émotions en déborde tellement qu'il laisse le spectateur de marbre. Il y a un élément qui ne favorise pas l'appréciation froide du film, c'est la bande-son originale qui suit chaque mouvement des acteurs avec bruitages et autres, qui est totalement redondante et agaçante. Le film sonorisé est donc projeté à 24 im/sec et le match de box final devient une sorte de bande accélérée où les pugilistes sautent comme des puces. Si le film était projeté plus lentement et avec une meilleure musique, il pourrait être bien plus percutant.

lundi 25 juin 2012

The Despoiler 1915

Châtiment
Un film de Reginald Barker avec Frank Keenan, Enid Markey et Charles K. French

Sur la frontière turco-arménienne, le colonel von Werfel (C. K. French) opère avec un groupe de Kurdes dirigé par le dangereux Khan Ouâdaliah (F. Keenan). La ville de Kéraoussi est encerclée par les Kurdes. Les femmes seront livrées aux hommes du Khan à moins que la ville ne se rende. La fille de Werfel, Beatrice (E. Markey) se trouve parmi les malheureuses...

Ce film de Reginald Barker produit par Thomas H. Ince (qui s'approprie le crédit de la réalisation au générique) est absolument passionnant. Lorsqu'on lit le résumé de ce film dans le catalogue de l'American Film Institute, on réalise que la version française détenue par la Cinémathèque française (qui est la seule copie existante de ce film) est totalement différente. Dans l'original produit en 1915 -donc avant l'entrée en guerre de l'Amérique- le film n'était pas situé géographiquement mais suggérait vaguement la zone des Balkans avec un officier français nommé Damien. Lorsque le film est distribué en France en 1917, le colonel devient allemand sous le nom de von Werfel. Et on déplace le conflit vers la Turquie à l'époque du génocide arménien. Alors que l'original se terminait sur un plaidoyer pour la paix (le colonel se réveillait d'un cauchemar), la version française de 1917 devient un instrument de propagande anti-allemande. Le contenu du film est un brûlot de première catégorie. Les troupes Kurdes qui assistent le colonel allemand sont des soudards sans foi ni loi qui ne songent qu'a violer et  à tuer. Quant à leur chef, il est prêt à tout pour obtenir des faveurs sexuelles de la part de la fille du colonel. La malheureuse est placée devant un choix effroyable:  accepter de se donner à lui ou voir toutes les femmes du village être livrées aux soudards. La mort dans l'âme, elle accepte le marché sordide. Mais, après avoir été violentée, elle tue son bourreau. Sur ce, le colonel arrive et demande qu'on lui livre la meurtrière. Elle se rend voilée. Il fait fusiller sa propre fille et découvre ensuite effondré son identité. Le paroxysme du film est atteint lors du meurtre de l'ignoble Khan. Enid Markey, au bord de la folie, s'empare de son révolver et se dirige vers son violeur qui ronfle complètement saoul. Il n'y a aucun doute que la violence du film a dû profondément affecté les spectateurs de l'époque. Et il semble impensable que les français l'aient diffusé en utilisant le nom français du colonel. Avec ce changement de nationalité et ce déplacement géographique, le film reste profondément perturbant. Décidément, Reginald Barker mériterait d'être redécouvert car il fait partie des grands du début des années 10.

The Good Bad Man 1916

Les parias de la vie
Un film d'Allan Dwan avec Douglas Fairbanks, Bessie Love, Sam de Grasse et Mary Alden

Dans le Wyoming, Passin' Through (D. Fairbanks) est devenu bandit suite à la disparition de sa mère. Il se croit un enfant sans père et a décidé par ses larcins d'aider les enfants nés hors mariage. Il rejoint un groupe de malfrats dirigé par le dangereux 'The Wolf' (S. de Grasse)...

Cette production Triangle est le premier western de Douglas Fairbanks. Lorsque Bessie Love apprit qu'elle avait été choisie pour être la partenaire de Fairbanks, elle fut absolument ravie. Avec sa petite taille, Fairbanks paraît très grand en comparaison. C'est certainement une des raisons de ce choix. Néanmoins, le délicieux visage poupin de Bessie et son exubérance font d'elle la partenaire idéale du jeune Fairbanks. Comme dans The Half-Breed (1916) du même Dwan, Fairbanks joue un outsider de la société. Ici, il n'est pas un métis, mais un fils sans père. Sa décision de devenir bandit (bien que ses larcins sont bien minces) est donc en fait une quète d'identité. En rencontrant la jolie Amy (Bessie Love), il va doucement changer d'attitude. Comme toujours dans les films de Fairbanks de cette époque, il mélange le comique et le tragique.  Certains personnages sont franchement comiques comme le sheriff du coin qui passe sa journée à jouer au lasso. La petite Bessie Love montre soudain qu'elle est capable de tirer au révolver et montre sa joie d'une manière enfantine quand elle fait mouche. Finalement, Fairbanks arrivera à venger la mort de son père et à conquérir la main de sa belle. Tout le film contient la joie de vivre habituelle de Fairbanks et Dwan le parsème de petites notes humoristiques comme lorsque le marshall découvre qu'il est sauf grâce au médaillon qu'il portait sur sa poitrine. Du mouvement, de l'humour, un délicieux western !

The Desert Man 1917

La cité du désespoir
Un film de William S. Hart avec Wm S. Hart, Margery Wilson, Henry Belmar et Milton Ross

Jim Alton (Wm S. Hart) un chercheur d'or perdu dans le désert rencontre Kate (Josephine Headley) qui a fui son époux violent, le barbier Burton (Henry Burton). Elle meurt en lui recommandant son enfant, le petit Joey (Buster Irving). Jim arrive en ville décidé s'attaquer au barbier...

Il n'existe plus qu'une seule copie incomplète de ce western de William S. Hart. Elle est maintenant numérisée et visible à la médiathèque de la Cinémathèque française. William débarque dans une ville autrefois prospère grâce aux mines d'or qui maintenant se délite. Il arrive en ville après avoir vu mourir la pauvre Kate qui fuyait son ignoble époux. Il va nettoyer la ville en poussant vers la sortie cette brute qui terrorisait la ville, il devient le père adoptif du petit Joey. Entre temps, il a fait la connaissance de la belle Jennie (M. Wilson) dont le grand-père est au bord de rendre l'âme. Il ramène de force un médecin pour soigner le vieil homme, mais en vain. Finalement, Jennie part avec le médecin qui se révèle être un vulgaire séducteur déjà marié. Il faudra un certain temps avant que Jim ne soit réuni avec sa belle. Sur cette intrigue typique des films de William S. Hart, ici écrite par son futur metteur en scène Lambert Hillyer, nous avons un beau film superbement éclairé par Joseph August qui joue du clair-obscur lorsque nous découvrons la malheureusement épouse du barbier ou des contre-jours lorsque Hart attrape au lasso le médecin récalcitrant  qui refuse de le suivre. Le film contient son lot de scène comique avec le détestable barbier qui se fait raser avant d'être éjecté de son magasin devant des badauds hilares. Hart est ici un vengeur tranquille qui redonne vie à une ville en perdition. Si le film n'a pas l'intensité de Hell's Hinges (1916), c'est cependant un bon western de Hart. Juste un petit bémol dans cette restauration qui offre une belle image, les cartons français sont une réelle trahison par rapport au style tout à fait spécial des films de Hart. L'humour et le language qui font partie intégrante de ces films et les adaptations étrangères sont toujours sans âme.

The Cossacks 1928

Lukashka (J. Gilbert) et Sitchi (Paul Hurst)
Les Cosaques
Un film de George W. Hill et Clarence Brown avec John Gilbert, Ernest Torrence, Renée Adorée, Nils Asther et Dale Fuller

Dans un village cosaque, Ivan (E. Torrence) se lamente que son fils Lukashka (J. Gilbert) soit considéré comme une femmelette. Lukashka est amoureux de Maryana (R. Adorée) qui le méprise pour sa couardise. Mais, lors d'une attaque des Turcs, il montre sa bravoure...

Cette production MGM a connu quelques avatars. Le film est passé des mains de George W. Hill, un bon routier sans surprise, à celles de Clarence Brown qui ne fut pas crédité au générique. On sent qu'avec cette adaptation de Tolstoï la MGM cherchait surtout à reformer le couple Gilbert-Adorée qui avait connu un immense succès dans The Big Parade (La grande parade, 1925) de King Vidor. Mais, avec The Cossacks, nous somme bien loin du chef d'oeuvre intemporel de Vidor. Cette recréation débridée en diable de la Russie tsariste fait presque penser à une bande dessinée tellement les personnages sont caricaturaux. Les Cosaques sont montrés comme des brutes sanguinaires qui ne songent qu'à tuer les Turcs à coup de sabres pendant que leurs femmes s'échinent aux champs pour garantir une récolte. Leur autre distraction est de boire de la vodka au litre en reluquant les femmes. Pour le film, on avait embauché de vrais cosaques qui font des démontrations de leur talent d'acrobates à cheval. Quant aux Turcs, ils sont montrés comme des tortionnaires proches de la bestialité. Avec une intrigue aussi peu politiquement correcte et également aussi proche du ridicule, on ne peut que regarder le film au second degré. John Gilbert cabotine à souhait en fils du chef cosaque qui devient soudain un 'homme' parce qu'il a tué dix Turcs. Ernest Torrence n'est pas en reste en chef barbare et exubérant. Renée Adorée, elle, est partagée entre son amour pour Lukashka et le prince de sang (joué par Nils Asther) qui est venu de Moscou pour l'épouser. Au total, ce film est bien réalisé visuellement. Clarence Brown (qui a pratiquement retourné tout le film après le départ de Hill) montre sa maîtrise du mouvement. Mais, il faut bien l'avouer le film reste une pochade haute en couleur avec des personnages schématiques. 

dimanche 24 juin 2012

White Oak 1921

Affiche suédoise du film
Un film de Lambert Hillyer avec William S. Hart, Vola Vale, Alexander Gaden

Oak Miller (Wm S. Hart), un joueur professionnel, apprend que sa jeune soeur Rose (Helen Holly) a été victime d'un séducteur sans scrupules. Après sa tentative de suicide, il doit prendre soin d'elle avec l'aide de Barbara (V. Vale) dont il est secrètement amoureux...

En 1921, William S. Hart est toujours l'une des plus grandes stars de l'écran. Il a quitté la Triangle pour former sa propre compagnie de production au sein de la Paramount-Artcraft. Les films sont maintenant plus longs que ceux des années 10 qui se limitaient souvent à 5 bobines. Celui-ci dure 7 bobines. La construction dramatique conserve cependant son dynamisme avec plusieurs actions simultanées que la durée plus longue permet de développer. Le scénario du film est adapté d'une histoire signée par Hart lui-même. On y retrouve les thèmes qui lui sont chers: l'armour fraternel, la vengeance et le sacrifice. Le personnage d'Oak Miller ressemble au joueur qu'il interprétait dans The Cold Deck (Grand Frère, 1917). Il est aussi élégament vêtu d'une longue redingote avec chapeau haut-de-forme et chemise à jabot volanté. Comme le Jefferson Leigh de Cold Deck, il doit prendre soin de sa jeune soeur qui a été ici la victime d'un séducteur. Il se retrouve également embarqué dans la défense de la jolie Barbara (Vola Vale qui a de faux airs de Lillian Gish). Cette dernière est la proie d'un ignoble beau-père qui veut abuser d'elle tout en étant convoitée par un individu louche qui va se révéler être l'ancien séducteur de Molly. Le film nous promène dans tous les paysages possibles du western: les rives du Mississippi avec ses bateaux à aube, les petites villes du Missouri avec ses saloons et le désert avec son convoi de chariots bâchés. Contrairement à ses films précédents, Hart reste un ici un personnage positif qui se sacrifie pour sauver la femme qu'il aime. Il accepte d'être arrêté pour un meurtre dont on accuse (à tord) Barbara. Il s'évade ensuite de la prison où il se trouve pour aller sauver la même Barbara qui se trouve encerclée avec son convoi par un groupe d'indiens. Il est intéressant de constater que le personnage du chef indien n'est pas simplement un sauvage sanguinaire, mais qu'il est aussi un père meurtri dont on a enlevé et tué la fille. C'est lui qui finalement vengera la soeur d'Oak Miller. Le film a été photographié par le complice habituel de Hart, Joseph August. Il peut magnifier les vues du Mississippi et du désert aride. Mais, malheureusement, ce beau film n'est disponible que dans des versions très médiocres en particulier chez Alpha-Video. Quand aura-t-on enfin une édition restaurée et de qualité des films de William S. Hart ? Espérons qu'un éditeur de qualité le fera un jour prochain.

mercredi 20 juin 2012

But The Flesh is Weak 1932

Mais la chair est faible
Un film de Jack Conway avec Robert Montgomery, C. Aubrey Smith, Nora Gregor, Heather Thatcher et Edward Everett Horton

Les Clement père et fils (C. Aubrey Smith et R. Montgomery) sont deux gentlemen anglais désargentés qui tentent de se faire payer à dîner par des ladies richissimes. Max (R. Montgomery) est bien tenté de faire la cour à la très riche et très excentrique Lady Joan Culver (H. Thatcher), mais il tombe raide amoureux de la belle Rosine Brown (N. Gregor)...

Max Clement (R. Montgomery) et Rosine Brown (N. Gregor)
Cette délicieuse comédie pre-code est due à la plume de l'auteur (et acteur) Ivor Novello. Ce dernier était un des principaux concurrents de Noël Coward. Il adapte ici une de ses pièces à succès The Truth Game. Le cinéma hollywoodien du début du parlant était très friand d'auteurs britanniques de comédies. La MGM adapte Private Lives (Vies privées, 1931) et Samuel Goldwyn importe Frederick Lonsdale pour lui fournir un scénario original qui deviendra le génial The Devil to Pay! (1930, G. Fitzmaurice). But The Flesh is Weak appartient à cette veine de films qui nous montre une Angleterre 'upper-class' qui a parfois des problèmes d'argent, mais qui fait tout pour sauver les apparences. Ce qui rend ce film particulièrement délectable c'est la virtuosité des dialogues qui sentent bon l'humour typiquement britannique de son auteur. Pour une fois, Hollywood n'a pas trouvé bon de faire réécrire le texte et c'est tant mieux. Les répliques étincellent grâce à un groupe de comédiens de première classe. Je mettrais au premier rang Robert Montgomery qui parvient à nous faire oublier sa nationalité américaine et qui forme un couple formidable avec son vieux papa joué par un C. Aubrey Smith absolument génial. Nous les découvrons dans leur modeste logis dont ils ont du mal à payer le loyer en train de partager la salle de bain tout en devisant sur leurs possibilités matrimoniales pour arranger leurs finances. Le film est peuplé d'excellents seconds rôles britanniques comme Heather Thatcher, à la tenue masculine (avec un monocle!) ou Frederick Kerr en vieux duc ronchon, ainsi que le formidable (américain) Edward Everett Horton en Lord plein aux as. Au milieu de ce casting de luxe, l'héroine est jouée par l'autrichienne Nora Gregor qui est restée dans l'histoire du cinéma pour sa participation à La Règle du Jeu (1939, J. Renoir). L'intrigue en elle-même n'est pas follement originale. Mais, c'est la légèreté et le charme des interprètes qui donnent au film son vernis et son brillant. Novello savait écrire ces dialogues ponctués de bons mots qui restent délectables comme ceux d'un Guitry. Le rythme endiablé se maintient jusqu'à l'image finale grace à la réalisation d'un Conway habile faiseur. Il faut aussi préciser la présence d'un tout jeune Ray Milland en figurant ainsi que du suèdois Nils Asther en prince russe. Une excellente comédie britannique 'made in Hollywood' qui est à découvrir en Warner Archive.

samedi 16 juin 2012

The Fountain 1934

Fontaine
Un film de John Cromwell avec Ann Harding, Brian Aherne, Paul Lukas et Jean Hersholt

Durant la première guerre mondiale, l'anglaise Julie von Marwitz (A. Harding) vit avec la famille de son oncle, le baron Van Leyden (J. Hersholt) en Hollande. Elle se retrouve face à son ami d'enfance, Lewis Allison (B. Aherne) qui en tant que prisonnier de guerre est envoyé en résidence chez Van Leyden. Mais, son époux, un officier Allemand (P. Lukas) est renvoyé dans ses foyers après de graves blessures...

Rupert (P. Lukas) et Julie von Marwitz (A. Harding)
Cette production RKO est certainement typique des mélodrames faits sur mesure pour leur star féminine Ann Harding. Mais, contrairement, à bien d'autres mélo de l'époque, il garde une résonnance moderne en évitant les clichés de la mère ou de l'amante sacrificielle. Au contraire, ici, l'intrigue nous touche car elle montre une femme réelle en proie à un choix douloureux et impossible. Julie von Marwitz est déchirée de bien des façons. Elle est anglaise et vit dans une Hollande neutre, mais pro-germanique, alors que la Grande Guerre bat son plein. En plus, elle est mariée à un officier allemand (un excellent Paul Lukas) qui est parti au front. Ses sentiments vis à vis de lui sont complexes. Il y a un mélange d'admiration et de sympathie, mais pas véritablement d'amour. Elle souhaite cependant la victoire de l'Angleterre ce qui la met en conflit avec sa famille d'accueil, celle de son oncle. Cette dérive des sentiments est encore accrue par l'arrivée de Lewis Allison (B. Aherne) qu'elle a toujours aimé sans se l'avouer. Alors qu'elle se torture l'esprit pour sortir de cette impasse, son époux revient gravement blessé. Il est de toute évidence passionnément épris de sa femme. Le trouvant soudain diminué, elle se retrouve dans le registre de la compassion qui lui premet de développer des sentiments plus tendres à son égard. Mais, au fond d'elle-même, elle ne peut se passer de Lewis. Et contrairement à un mélo traditionnel, c'est le mari qui réalise les vrais sentiments de sa femme et va pratiquement se sacrifier pour la délivrer du poids du remords. 
Lewis Allison (B. Aherne) et Julie
Le film à sa sortie fut un échec. Il ne correspondait pas à ce que le public attendait en terme de divertissement: le film est lent et se déroule presqu'à huis-clos avec les trois personnages principaux pratiquement tout le temps à l'écran. Mais, pour un public d'aujourd'hui, l'introspection au cinéma n'est certainement pas un défaut. Les dialogues feutrés entre Julie, Lewis et Rupert sont par moment poétiques et toujours émouvants. Ils tentent de mettre des mots sur leurs sentiments sans toujours y parvenir. Il reste un élément de mystère dans la relation entre Julie et Lewis, censure oblige certainement. Mais, finalement, ce non-dit est tout bénéfice pour le film qui gagne en profondeur. Ce film de John Cromwell fait partie des touts meilleurs films d'Ann Harding. Il mérite d'être découvert pour mesurer le talent de cette actrice oubliée. Le film est disponible en DVD en Z2 (Espagne).

mercredi 13 juin 2012

Surrender! 1927

L'Otage
Un film d'Edward Sloman avec Mary Philbin, Ivan Mosjoukine et Nigel de Brulier

En 1914, en Galicie, aux confins de l'Empire Austro-Hongrois. Lea Lyon (M. Philbin) la fille du rabbin (N. de Brulier) croise le chemin de Constantine (I. Mosjoukine), un prince Cosaque. Peu après, la guerre est déclanchée et le village est envahi par l'armée russe. Constantine demande que Lea vienne se livrer à lui ou le village sera brulé...

Lea Lyon (M. Philbin) et Constantine (I. Mosjoukine)
Lorsqu'Ivan Mosjoukine quitte la France auréolé de gloire après une incroyable série de grands films à succès, il n'imaginait probablement pas que sa carrière allait marquer le pas au sein du système Hollywoodien. Attiré à Hollywood par un contrat au sein de la Universal, il s'est retrouvé dans une production d'Edward Sloman tirée d'une pièce à succès Lea Lyon d'Alexander Brody. Suite au succès de Michel Strogoff (1926, V. Tourjansky), les firmes américaines se lancent toutes dans des productions 'russes' pour exploiter le filon. Universal et son patron Carl Laemmle font de même. En voyant ce film de Sloman, il est évident que Mosjoukine n'a plus du tout la marge de manoeuvre qu'il avait dans les films français. Il ne doit pas avoir son mot à dire ni sur le metteur en scène et encore moins sur le scénario. Nous sommes dans le règne du star-système et tout est fait pour mettre en valeur la star maison, Mary Philbin. Le chef opérateur Gilbert Warrenton la mimbe de lumières diffuses et éclaire sa chevelure avec sensualité. Mosjoukine devient un faire-valoir de luxe pour la belle Mary. Mais, au-delà cet aspect, le film offre une très belle cinématographie, utilisant habilement la lumière naturelle combinée à des éclairages artificiels. 
Le rabbin Lyon (Nigel de Brulier)
Edward Sloman se faisait une spécialité des films qui exploraient la vie des populations juives, aussi bien immigrés en Amérique que celle des shtetls d'Europe de l'Est, comme dans ce film. Et sa reconstitution est réellement une réussite. Il nous montre la vie de tous les jours des habitants juifs peu avant l'invasion russe. Une vie qui suit strictement les préceptes de la religion avec un dîner du sabbat décrit en détail. Les seuls autres films de cette époque que je connaisse qui décrivent cette région avec autant de détails sont  La terre promise (1924, Henry Roussell) et Die Gezeichneten (1922, C.T. Dreyer). Certes l'histoire de Lea Lyon est relativement stéréotypée. On supplie la pure jeune fille de se sacrifier pour la communauté. Le prince décide finalement de l'épargner, étant tombé amoureux d'elle. Mais, ensuite, elle est prise à partie par la foule déchaînée qui l'accuse d'avoir trahi son peuple dans les bras d'un prince cosaque. Tout cela est cependant bien mené par Sloman qui bénéficie également du concours du futur réalisateur Edward L. Cahn au montage. Le film se termine sur un happy end fort peu convaincant qui semble avoir été imposé par la production. Pour la qualité de sa reconstitution et la beauté des images, ce film mérite d'être vu, même s'il ne fait pas partie des meilleurs films de Mosjoukine.

mardi 12 juin 2012

The Red Dance 1928

La danse rouge
Un film de Raoul Walsh avec Dolores Del Rio, Charles Farrell et Ivan Linow

En Russie au début de la Révolution, Tasia (D. Del Rio), la fille d'un prisonnier politique est maltraitée par une famille de paysans qui l'exploitent. Un grand soldat rustre Ivan Petroff (I. Linow) souhaite l'épouser en l'échangeant contre un cheval. Mais, Tasia rencontre le Grand Duc Eugen (C. Farrell) et tombe amoureuse de lui...

A la fin des années 20, il semble que la plupart des studios hollywoodiens sont tentés par l'exotisme russe. Universal produit Surrender! (L'otage, 1927) d'Edward Sloman avec Ivan Mosjoukine. La MGM se lance dans un film aux multiples péripéties, The Cossacks (Les Cosaque, 1928) G.W. Hill avec John Gilbert et enfin la Paramount produit le meilleur film de tous - et de loin! - avec The Last Command (Crépuscule de gloire, 1928) du génial Josef von Sternberg. Quant à la Fox, elle demande à Raoul Walsh de diriger un 'star vehicle' avec la belle Dolores Del Rio. Le scénario de ce film est particulièrement insipide et accumule les clichés sur les conflits entre les aristocrates et le bas peuple russe. Dolores Del Rio y joue une improbable jeune fille russe éduquée qui devient une danseuse du théâtre de Moscou suite à la Révolution. En fait, le film est surtout un prétexte pour nous montrer sous toutes les coutures la belle Dolores en train d'embrasser un Charles Farrell, aussi peu crédible en officier russe (dont la maman, on nous précise bien, est anglaise) qui rougit face aux dames. Les cartons d'intertitres montrent un humour digne des blagues que l'on trouve dans les 'Crackers' de Noël anglais (voir ci-dessous). 
Pour contrebalancer le timide Grand Duc Eugen, on nous offre une grosse brute au coeur d'or sous la forme d'Ivan Linow. Si Walsh fait de gros efforts pour utiliser une caméra mobile pour éviter tout sentiment de tableaux statiques, malheureusement, il n'est pas aidé par un scénario stéréotypé. Del Rio n'est guère convainquante quand elle se lance dans une diatribe contre l'aristocratie. Et les révolutionnaires cupides et malsains sont tout aussi caricaturaux. Si nous oublions les faiblesses du scénario, on peut regarder avec amusements les aventures de Dolores au pays des Soviets. Voilà un film de Wash qui est bien mineur, surtout en regard de son excellent Sadie Thompson (1928) tourné la même année.

Sången om den eldröda blomman 1918

Le Chant de la fleur écarlate
Un film de Mauritz Stiller avec Lars Hanson, Edith Erastoff, Lillebil Ibsen et Nils Lundell

Olof Koskela (L. Hanson), le fils d'un riche fermier flirte inconsidérément avec toutes les filles du village. Suite à une violente altercation avec son père, il quitte son village. Devenu simple bûcheron, il rencontre Kyllikki (E. Erastoff) et entreprend de la séduire...

Cette saga suèdoise du grand Mauritz Stiller est adaptée d'un roman du finlandais Johannes Linnankoski. Comme la plupart des oeuvres de Stiller, nous sommes face à un de ces 'bildungsromans', un roman d'apprentissage comme le nomme les allemands. Olof Koskela devra tout perdre, quitter sa famille, aller jusqu'au fond de lui-même avant de pouvoir refaire surface et affronter la réalité. Dans Gunnar Hedes Saga (Le vieux manoir, 1923) de Stiller où le héros doit affronter un troupeau de rennes dans le grand nord, Olof doit prouver sa bravoure en chevauchant un rondin emporté par les rapides. Comme toujours dans les films suèdois de cette époque, l'utilisation des décors naturels est un élément central de l'intrigue. Le héros est intégré à son environnement, généralement hostile. Et il doit surmonter ces éléments pour trouver enfin la paix de l'âme. Stiller travaille toujours avec le génial Henrik Jaenzon derrière la caméra et celui-ci donne aux vastes et majestueux paysages suèdois un lyrisme et une beauté à couper le souffle. Dans le rôle principal, Lars Hanson montre l'étendu de son talent. D'abord un jeune homme insouciant et égoïste, il va sombre peu à peu  dans l'enfer de la ville. Dans un bouge, il se regarde dans un miroir et découvre son double: un homme au visage ravagé. Evitant l'emphase, il offre un personnage naturel et charismatique. La séquence la plus spectaculaire nous montre la descente des rapides d'Olof juché sur un tronc d'arbre instable avec une perche pour la faire avancer telle une pagaie. Cette séquence hallucinante a été réalisée sans trucage et tient en haleine le spectateur. Stiller est à l'époque à la fois un maître de la comédie avec les merveilleux Thomas Graals bästa film (1917) et Thomas Graals bästa barn (1918) et du drame avec son chef d'oeuvre absolu Herr Arnes pengar (Le trésor d'Arne, 1919) qui suivra immédiatement ce film. Il combine une direction d'acteur hors pair et un sens visuel hors du commun. Lors de la première du film, on avait commandé au compositeur finlandais Armas Järnefelt une partition symphonique originale. On peut en entendre un extrait dans le documentaire Cinema Europe (1996). On ne peut qu'espérer que cette petite merveille du cinéma suédois des années 10 trouvera le chemin d'une édition DVD avec cette partition originale.

dimanche 3 juin 2012

Les Nouveaux Messieurs 1928 (II)

Suzanne Verrier (Gaby Morlay) et Jacques Gaillac (Albert Préjean)
Suzanne et le Comte de Montoire-Granpré (H. Roussell)
Le dernier film de Jacques Feyder avant son départ pour l'Amérique a enfin fait l'objet d'une diffusion à la télévision avec une partition musicale d'Antonio Coppola. J'avais déjà précédemment évoqué ce film en 2010, mais c'est la première fois que je peux le voir avec de la musique. Cette excellente comédie a extrêmement bien vieillie, gardant une résonnance tout à fait contemporaine dans sa description des moeurs parlementaires, même s'il s'agit ici de la Troisième République. Feyder réussit à nous décrire la société des années 20 avec ses aristocrates et de l'autre les travailleurs syndiqués qui sont en grève pour de meilleurs salaires. Mais, il ne tombe aucunement dans la caricature et renvoie dos à dos les partis politiques de droite et de gauche qui valsent rapidement dans des ministères à siège éjectable. Jacques Feyder a embauché pour le principal rôle masculin Albert Préjean, un ancien cascadeur, après bien des hésitations. Préjean raconte dans ses mémoires (qui ne sont disponibles bizarrement qu'en anglais) qu'il a dû batailler ferme pour obtenir le rôle. Feyder lui dit d'abord qu'il veut un acteur, pas un acrobate. Puis, il lui demande de perdre 5 kilos en une semaine! Après un régime draconien, il arrive au studio pour un bout d'essai qui le met en transes. Il doit embrasser passionnément Gaby Morlay et n'y arrive pas. On se demande pourquoi Feyder avait de telles réticences à son égard car le rôle de l'électricien leader syndical lui va comme un gant. Il est d'ailleurs étonnant de voir son personnage qui annonce les futurs films de Gabin à une époque où la masculinité dans le cinéma français est bien différente. Face aux Jaque-Catelain ou autre André Roanne, Préjean est le prolétaire charmeur et viril. C'est probablement son origine de casse-cou qui font qu'il a un jeu naturel et dépouillé. Face à lui, Gaby Morlay est absolument délicieuse en danseuse entretenue. Elle éclate de rire avec naturel et plonge dans les eaux de la Seine avec délice. Son jeu est également moderne et dépouillé d'artifices et on croit très facilement au couple qu'elle forme avec Préjean. Le rôle de l'aristocrate est tenu par un grand nom de la mise en scène muette Henry-Roussell. Il est maintenant pratiquement totalement oublié alors qu'il a réalisé d'excellents films dans les années 20 comme L'île enchantée (1926) ou La terre promise (1924). En tant qu'acteur, il fait montre de beaucoup de classe et d'humour. Il donne à son personnage une noblesse certaine, mais sans être pompeux. Son jeu est subtil, tel dans cette scène où il tente de signaler habilement à son rival (A. Préjean) que sa bouche est maculée de rouge à lèvres. Cette fine étude de moeurs a subi les foudres de la censure lors de sa sortie. Il fut interdit pendant plusieurs mois pour anti-parlementarisme. En effet, une scène -fort anodine- avait enflammé les censeurs: un vieux député s'endormait à l'assemblée nationale et il rêvait que de jolies ballerines de l'opéra envahissait les travées et le perchoir. Heureusement, Françoise Rosay (Mme Feyder à la ville) réussit à débloquer la situation grâce l'intervention de Mary Marquet qui connaissait du monde dans les ministères. En tout cas, ce film annonce déjà certains films des années 30 avec sa vision d'un Paris populaire. Cette nouvelle copie tirée en 2011 quasiment identique à la précédente restauration de 1990. L'image est par moment 'assez soft'. Quant à a nouvelle partition d'Antonio Coppola pour octuor, elle suit intelligemment l'action du film (ce qui est plus rare qu'on ne le croit!), même si les thèmes musicaux sont parfois répétitifs. Au total, un petit chef d'oeuvre d'humour qui sortira bientôt aux USA en DVD. Et peut-être en France ?