samedi 14 mai 2011

Quatre-vingt-treize 1914/1921

Un film d'Albert Capellani et André Antoine avec Paul Capellani, Henry Krauss et Philippe Garnier



En Bretagne, durant la révolution, le neveu du Marquis de Lantenac, Gauvain (P. Capellani), devient l'ami de Cimourdain (H. Krauss), un curé qui épouse les préceptes de la Révolution. Durant la Terreur, le Marquis s'exile en Angleterre alors que son neveu devient soldat dans l'armée révolutionnaire...



Ce film commencé en 1914 a été brutalement stoppé lors de l'entrée en guerre. Il sera repris par André Antoine après celle-ci alors que Capellani est indisponible, étant parti aux Etats-Unis. Il est fort difficile de savoir quelles parties du film ont été réalisées par Antoine ou Capellani. Mais, après avoir déjà vu sept films d'Antoine, je ne peux que constater qu'il évite constamment les studios au profit des décors naturels. On peut donc penser que certaines scènes en Bretagne ont de fortes chances d'avoir été réalisées par lui. Le cinéma avait avancé à pas de géants entre 1914 et 1921. Un film qui sort 7 ans après le début de son tournage a de fortes chances d'être totalement dépassé en termes de grammaire filmique. Il faut bien le reconnaître, ce film conserve le style des années 10 avec de grands plans larges et n'a aucun gros-plan, sauf le plan final. Ces différents points posés, Quatre-Vingt-Treize est une oeuvre ambitieuse de 2h45 qui adapte le roman de Victor Hugo avec succès. Les cinéastes réussissent à nous montrer l'évolution des personnages emportés par le tourbillon de l'histoire. La Révolution va être un révélateur des hommes et de leur conscience. Les trois personnages principaux sont tous animés par leur foi et leurs idéaux. La Marquis de Lantenac est lui un royaliste pur et dur qui va rapidement rejoindre les chouans et devenir leur chef. Il agit sans état d'âme et fait fusiller des femmes si nécessaire. Son neveu, Gauvain était d'abord un nobliau oublieux de son environnement jusqu'à ce que Cimourdain lui fasse découvrir Jean-Jacques Rousseau. Cette lecture lui ouvre les yeux et il épouse avec ferveur le nouvel idéal républicain. La troisième Cimourdain est un curé de campagne qui suit dès le début les ideaux révolutionnaires au point de se faire chasser de sa paroisse. Une fois à Paris, défroqué, il rejoint les rangs des décideurs de la Révolution. Dans la deuxième partie du film, le destin de ces trois personnages vont se croiser pour une confrontation sans merci. Et le film réussit à rendre palpable les dilemnes moraux et de conscience de ces trois hommes. Doit-on obéir aveuglément ? Doit-on traiter humainement un ennemi qui dans la même situation vous tuerait ? Gauvain est certainement le plus humain des trois. Il épargne la vie d'une religieuse qui a fait prévenir les Chouans de leur présence. De même, il fait soigner celui qui a tenté de le tuer. Lantenac est le plus rigide. Tuer une femme ou un homme qui a failli ne l'affecte pas. On le croirait totalement insensible, jusqu'à cette scène finale où il revient sur ses pas pour épargner la vie de trois enfants innocents. Cimourdain est lui aussi un individu complexe. Ancien homme d'église, il suit la ligne révolutionnaire sans faillir. Comme Lantenac, il n'hésite pas à utiliser la guillotine. Mais, lui aussi se retrouvera face à sa conscience dans la scène finale. Les séquences tournées en studio souffrent un peu des décors assez médiocres (surtout des toiles peintes) qu'affectionnent Pathé (contrairement à Gaumont qui a toujours privilégié le tri-dimensionnel). Heureusement, une bonne partie du film se déroule en extérieur, ce qui lui donne une respiration nécessaire. Les batailles entre les Blancs et les Bleus se déroulent dans les forêts et les landes et ressemblent à la guerilla.
Le jeu des acteurs est remarquable étant donné qu'ils doivent faire vivre leurs personnages en plan général ou moyen. Même sans gros-plan, on ressent les souffrances de Cimourdain ou de Gauvain. Capellani aimait s'attaquer à des sujets sociaux ou moraux en adaptant Zola et Hugo. Quant à Charles Pathé, il était capable de prendre de gros risques financiers comme en finançant La Roue d'Abel Gance. D'ailleurs, il faut noter que Gance reprendra dans Napoléon la scène entre les trois dieux (Marat, Danton et Robespierre) issue de Quatre-vingt-treize. Si on compare Quatre-Vingt-Treize à La Roue, il est évident que le film paraît daté dans sa construction. Mais, pour un film de 1914, c'est une oeuvre de grande qualité.

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