mardi 16 novembre 2010

Suzanne Grandais (1893-1920)


Il y a encore trois ans le nom de Suzanne Grandais ne signifiait plus rien même pour les fans de cinéma muet. Il a fallu la sortie du premier volume du coffret Gaumont Cinéma Premier et le livre de Didier Blonde intitulé Un Amour sans paroles pour que son image ressurgisse du passé. Et pourtant en 1910, Suzanne Grandais était la star du cinéma français à une époque où celui-ci régnait sur le monde. Il est difficile d’imaginer le succès de Suzanne Grandais de nos jours. Mais, cette anecdote devrait donner une idée de sa popularité.
Henri Fescourt raconte que Mary Pickford l’ayant vu dans La Dentellière (1912, L. Perret) où elle joue une jeune hollandaise décida d’interpréter à son tour un rôle semblable. L’anecdote semble véridique car Mary Pickford joua effectivement dans Hulda from Holland (1916, J. O’Brien).

Elle est née Suzanne Gueudret en 1893 à Paris. Elle est découverte au Moulin-Rouge, où elle est danseuse, par un metteur en scène de cinéma Robert Saidreau. Ses premières bandes passent inaperçues. Mais, tout change lorsqu’elle est repérée au théâtre par Léonce Perret. Il est alors l’un des plus grands metteurs de la Gaumont. Elle devient son interprète préférée dans la comédie et le drame. L’autre grand nom de Gaumont, Louis Feuillade va aussi l’utiliser dans de nombreux courts-métrages. Voici comment Henri Fescourt la décrit lorsqu’il arrive pour la première fois au studio Gaumont : « …une scène illuminée par la présence d’une jeune interprète toute blonde, toute rose, toute légère et ensoleillée. Cette apparition miraculeuse n’était autre que celle de Suzanne Grandais, qui devint la deuxième vedette française internationale, après Max Linder. »

En ce début des années 10, les stars féminines de l’écran sont encore rares. Le cinéma n’utilise pas encore le gros plan et le nom des acteurs est rarement mentionné au générique. Avec de tels handicaps, on ne peut être qu’admiratif face à la réussite plusieurs dames de l’écran en 1910. Il y la superbe danoise Asta Nielsen avec sa taille élancée, sa sensualité et son charisme. En France, Mistinguett est à l’affiche des comédies Pathé. Elle aussi a une personnalité suffisamment forte pour s’imposer à l’écran. Ses rôles de femme forte et indépendante – finalement assez proches de ceux de Nielsen – lui permette de sortir des clichés habituels de la femme soumise de l’époque. Mais, Suzanne Grandais est un personnage encore différent. Elle offre encore une fraîcheur innocente qui la distingue des femmes plus mûres jouées par ses deux rivales. Son visage mutin conserve une beauté qui ne déparerait pas un film contemporain. Bien qu’elle soit enveloppée d’un corset, on devine une silhouette fine et mince aux courbes voluptueuse. Elle n’a que 17 ans lorsqu’elle tourne son premier film avec Léonce Perret. L’image de la jeune fille ne se précisera à l’écran que plus tard avec Lillian Gish et Mary Pickford. Grandais offre alors une image nouvelle de la femme.

En tant qu’actrice, elle offre un parfait équilibre avec Léonce Perret dans les comédies Léonce où il joue le rôle principal. Elle est son épouse et se chamaille régulièrement avec lui pour des broutilles. Elle n’est pas foncièrement comique. Elle se contente de servir de caisse de résonance à Léonce. Et c’est ce contraste entre elle, fraîche et volontaire face à lui, bonasse et légèrement coquin qui fonctionne à merveille.

Dans le tragique, elle est aussi remarquable. J’admire énormément son interprétation dans Le Cœur et l’Argent (1912, L. Feuillade ou L. Perret ?). Elle y est la fille d’une aubergiste poussée à faire un mariage d’argent par sa mère. Elle obéit à ce commandement et abandonne son petit ami au profit d’un homme riche et plus âgé. Devenue veuve, espérant pouvoir retrouver son ancien ami, elle découvre qu’il ne l’aime plus. Désespérée, elle se suicide en se jetant dans la rivière. Son corps part au fil de l’eau telle Ophélie. Le film a une poésie toute particulière due à la beauté de la cinématographie de Georges Specht qui évoque Manet. Mais, Suzanne réussit à nous faire vivre son personnage avec un jeu de physionomie très subtile, bien qu’étant filmée toujours en plan large. De même dans Le Mystère des Roches de Kador (1912, L. Perret) où elle devient folle à cause du meurtre de son amant par son cousin. Elle retrouve ses sens face à un film qui recrée le meurtre. De même, on lit sur son visage la soudaine détresse du souvenir qui revient. Perret en fait aussi une héroine tragique qui se suicide sur la côte rocheuse de Biarritz suite au décès de son amant dans La Rançon du Bonheur (1912) où elle rappelle les grandes divas italiennes, mais sans leurs excès.

Suzanne avait tout pour devenir une icône du cinéma. Sa mort tragique en 1920, à l’âge de 27 ans, dans un accident de voiture la fige à tout jamais dans l’image de la jeune fille parisienne des films Gaumont. Henri Fescourt parle de son ‘sex-appeal fluide et pénétrant’. Elle conserve sans aucun doute un attrait pour le spectateur contemporain et mérite d’être redécouverte.

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