mardi 2 janvier 2007

Ronald Colman, Un Anglais à Hollywood (III)

Avant de rejoindre Hollywood en 1924, Ronald Colman tourne un dernier film en Italie (à Florence) à nouveau sous la direction d'Henry King et avec Lillian Gish, une adaptation du roman de George Eliott, Romola qui se situe à Florence au XVème siècle. Malheureusement son rôle est épisodique et sans grand intérêt. Romola, malgré sa beauté plastique avec des décors et costumes fastueux et l'utilisation pour certaines scènes des rives de l'Arno, est académique et dépourvue de charme. Ce film lui permet néanmoins de rencontrer un jeune acteur américain spécialisé dans les rôles de traître avec lequel il noue une amitié pour la vie: William Powell. En effet, le comédien sophistiqué de My Man Godfrey et The Thin Man passa toute la période du muet à jouer des gredins, filous et autres canailles avec brio. Dans Romola, il intrigue pour obtenir un poste de haut magistrat, épouse par intérêt Lillian Gish tout en entretenant une relation avec Dorothy Gish avant de causer la mort de celle-ci. Il termine étranglé et noyé dans les eaux de l'Arno des mains de son propre père adoptif. Tout un programme!



Colman arrive à Hollywood en mai 1924 pour tourner Tarnish pour Samuel Goldwyn. Je vais m'arrêter quelques instants sur ce producteur hors-norme. De son vrai nom Schmuel Gelbfisz (puis Goldfish), il est issu d'une famille juive polonaise. Arrivé adolescent aux Etats-Unis, il est un veritable self-made man comme presque tous les producteurs de cinéma de l'époque. Comme eux, il a un caractère difficile, des manières rustres et un anglais par moment inintelligible qui produisait les fameux Goldwynisms ("Our comedies are not to be laughed at!" ou "A verbal contract isn't worth the paper it's written on."). Après avoir travaillé dans une entreprise de gants, il rejoint l'univers du cinéma en 1915. Sa première société Goldwyn Co, fondée avec Arthur Selwyn, lui donne l'idée de changer son nom de Goldfish en Goldwyn. Cette société sera amalgamée avec Metro Pictures en 1924 pour former la MGM; mais, à cette époque Goldwyn a déjà vendu toutes ses parts. Seul son nom restera au fronton de la MGM sans qu'il n'y participe le moins du monde (d'où les nombreuses confusions entre la MGM et Goldwyn). En 1924, il a formé Samuel Goldwyn Incorporated dont les films sont distribués par la First National (future Warner Bros). Goldwyn est un autocrate qui contrôle tous les aspects de ses productions encore plus qu'un Louis B. Mayer. Il choisit les acteurs lui-même et renvoit les metteurs en scènes si le résultat lui déplaît, quitte à perdre beaucoup d'argent. Il a une grande habilité: celle de s'entourer de techniciens et d'artistes de très grande qualité. Travailler avec cet homme est incroyablement difficile: il se fâchera avec pratiquement tous les acteurs et metteurs en scène qu'il eut sous contrat. Ronald Colman est une recrue de choix en cette année 1924: il est l'acteur-maison unique et le restera pendant de nombreuses années. En quelque sorte, tous les films Goldwyn sont des star vehicles pour Colman. Personnellement, leurs rapports seront toujours difficiles: Colman est poli, effacé et fuit la publicité face à un Goldwyn coléreux et avide de combines pour attirer le chaland.


Tarnish (film perdu) est dirigé par George Fitzmaurice qui réalisera pas moins de 9 films avec Colman. Ce metteur en scène, né à Paris, est surtout connu de nos jours pour ses deux films MGM avec Garbo (As You Desire Me et Mata Hari); mais, les films qu'il réalise chez Goldwyn sont certainement bien plus intéressants, surtout ceux de 1930-31. Après ce premier film, satisfait de son acteur, Goldwyn lui offre un contrat de quatre ans avec un salaire de $1250/semaine. Il lui fait tourner rapidement deux autres films: A Thief in Paradise (film perdu) toujours sous la direction de Fitzmaurice puis il le prête au producteur Joseph M. Schenk pour une comédie, Her Night of Romance (Sidney Franklin, 1925) avec une des stars comiques du moment, Constance Talmadge (une ancienne de chez Griffith).


Le team fonctionne tellement bien qu'ils se retrouvent l'année suivante pour Her Sister from Paris (Sa Sœur de Paris, S. Franklin, 1925). Ce film a fait l'objet d'un remake, passablement édulcoré, avec Garbo, Two-Faced Woman (La Femme aux Deux Visages, G. Cukor, 1941). L'original, d'après les commentaires, semble une comédie enlevée et risquée où Constance tente de séduire son époux en se faisant passer pour sa jumelle parisienne, dans une Vienne de fantaisie. le scénario est de Hans Kräly, un des scénaristes préférés d'Ernst Lubitsch.


En 1925, une autre actrice requiert les services de Colman: Blanche Sweet. Cette Griffithienne s'occupe de la production de ses propres films avec son époux, le metteur-en-scène Marshall Neilan. Colman et Sweet tournent His Supreme Moment (G. Fitzmaurice, 1925) un mélodrame (malheureusement perdu) qui remporte un beau succès critique et au box-office. Ils partent ensuite au Pays Basque et en Ecosse pour tourner The Sporting Venus (Une femme très sport, 1925, M. Neilan). Cette comédie porte la marque de Neilan par ces touches sarcastique sur une aristocratie européenne décadante. Sweet est l'unique héritière d'un titre et d'un château écossais qu'elle dilapide aux jeux et en soirées bien arrosées tout en étant poursuivie par un coureur de dot professionnel. Si le film dans son ensemble n'est pas une réussite totale, il montre une belle alchimie dans le couple formé par Colman et Sweet.


L'année 1925 sera la plus fertile de la carrière de Colman: pas moins de 7 films à l'affiche! Goldwyn vient juste d'importer d'Europe une belle hongroise blonde du nom de Vilma Bánky. Il a trouvé la partenaire idéale pour son acteur aux cheveux sombres. Il les mets ensemble dans The Dark Angel (L'ange des ténèbres, G. Fitzmaurice, 1925) et pour la première fois, Colman n'est plus un faire-valoir, mais, le centre du film. Ce mélodrame fait également partie des films perdus, hélas! Il y est un capitaine de l'armée britannique qui revient aveugle de la guerre et se fait passer pour mort auprès de sa fiancée plutôt que de lui faire supporter son infirmité. L'année se termine en beauté avec deux chefs-d'oeuvres: Stella Dallas (Le sublime sacrifice de Stella Dallas) d'Henry King et Lady Windermere's Fan d'Ernst Lubitsch. Henry King tourne un de ses tous meilleurs films avec une vision particulièrement acérée des classes sociales de la société américaine des années 20 (le remake de Vidor de 1937 est un peu émoussé de ce point de vue). Quant au maître de la comédie, Ernst Lubitsch, il sélectionne Colman spécialement pour le rôle de Lord Darlington, après avoir renvoyé Clive Brook qu'il trouvait excécrable. Il faut regretter que Colman n'est jamais la chance de tourner un film parlant avec Lubitsch où il aurait pu exceller.

Après cette succession de succès au box-office, les fan magazines s'intéressent de plus en plus à cet acteur dont ne sait pas grand chose. Les spécialistes des potins en sont pour leur frais: Colman ne parle pas et sa vie reste totalement privée. Tout juste donne-t-il une interview à Photoplay où il avoue détester la publicité et avoir tenté, vainement, de décourager son producteur de le présenter comme "a magnetic lover" dans les slogans publicitaires du studio... Et surtout, il ne parle pas de Thelma à laquelle il est toujours marié et qui le harcèle pour obtenir de l'argent.

L'année 1926 s'annonce sous les meilleures auspices avec un film qui va définitivement le mettre en haut de l'affiche, dans le monde entier, pour longtemps: Beau Geste de Herbert Brenon.

A suivre



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