En matière de cinéma, il a assez peu d’ouvrages classiques et indispensables à l’instar par exemple des entretiens entre Alfred Hitchcock et François Truffaut. Eh bien, il vient de s’en ajouter un, La Parade est passée… de l’anglais Kevin Brownlow, traduit en français plus de quarante ans après sa sortie par l’Institut Lumière de Lyon et les Editions Actes Sud. Nulle doute que ces 1000 pages prodigieusement illustrées entreront dans la bibliothèque de l’honnête homme qu’il soit cinéphile ou non, tellement leur intérêt dépasse, et de loin, le seul 7ème Art. La Parade est passée… entrepris à la fin des années 60, offre la plus passionnante plongée au cœur du premier âge d’or d’Hollywood qui s’étend en gros sur deux décennies du XXè siècle, entre 1910 et 1930 alors que le cinéma est évidemment encore muet et n’imagine absolument pas un jour pouvoir parler. Epoque pionnière qui voit l’industrie jusqu’alors dominée par les français, s’installer définitivement sous le soleil de Californie. A partir d’entretiens avec des réalisateurs, des acteurs, des techniciens, des producteurs, Kevin Brownlow redonne vie pour toujours au cinéma d’antan. Quelle parade somptueuse ! Voici les metteurs en scène D.W. Griffith, que Brownlow compare à Dickens, Allan Dwan auteur de plus de 400 films, Josef von Sternberg, Cecil B. DeMille et les autres. Voici les comiques : Harold Lloyd, Buster Keaton, Charlie Chaplin et leurs gagmen, ces inventeurs de scènes comiques qui étaient payés comme des stars. Les patrons de studio Louis B. Mayer, David O. Selznick, Irving Thalberg, et les stars, les vraies : Gloria Swanson, Douglas Fairbanks, Marlene Dietrich, Garbo… A cette liste fabuleuse s’ajoute un français auquel Brownlow voue une admiration sans bornes : Abel Gance.
Chronique de Philippe Meyer sur France Culture le 24 janvier 2012:
Auditeurs sachant auditer, ce n’est pas pour me vanter, mais le succès vers lequel ne cesse de voler le film de Michel Hazanavicius The Artist, devrait s’étendre à l’épopée du cinéma muet signée Kevin Brownlow. Grâce aux éditions Actes Sud et à l’Institut Lumière, nous pouvons enfin découvrir La Parade est passée…, monument enrichi de nombreuses photographies. Dès son adolescence dans les années 50, Brownlow a aimé la capacité du muet à susciter la participation du public, à solliciter son imagination. Il s’en est fait l’orpailleur, chinant des copies partout où cela était possible et réussissant entre autres exploits, après 20 ans de recherche, à reconstituer le Napoléon d’Abel Gance, et à en identifier dix-neuf versions différentes. L’an dernier, Hollywood l’a remercié par un Oscar. L’érudition passionnée de cet historien, cinéaste, monteur, documentariste et restaurateur ne connaît pas de limites. Il est capable de dresser le portrait de n’importe quel producteur, depuis Carl Laemmle, patron d’Universal, qui employait 14 membres de sa famille, mais qui fut capable de donner sa chance à un Irving Thalberg de 21 ans, jusqu’à Louis B. Mayer dont les successions de jérémiades et d’explosions de colère, faisaient dire qu’il était le meilleur acteur de ses studios. Tous partageaient une virtuosité comptable à faire pâlir tous les Bernard Tapie du monde. Il y en fut qui mirent 30 ans à payer certains droits d’auteur, d’autres qui persuadèrent un acteur d’accepter un rôle en échange d’un smoking sur mesure ou qui achetèrent des emplacement publicitaires dans les journaux professionnels pour exhorter les exploitants, je cite, ‘à se servir du cerveau que Dieu leur avait fourni’. Ce sont souvent ces pittoresques caractéristiques que l’on a retenus de leur personnalité. Brownlow qui connaît leur rôle dans tous les films qu’ils ont produits, montre comment il a fallu à certains d’entre eux, réunir les qualités de Napoléon, de Falstaff, de Peter Pan, de Shelley et de John Pierpont Morgan. S’il est devenu familier de ces géants à force de rencontres et de recherches, Kevin Brownlow l’est tout autant des obscurs longtemps absents des génériques. Leurs initiatives, leurs enthousiasmes et leurs inventions ont été la richesse de ce cinéma naissant dans l’excitation de l’esprit pionnier. Les électriciens inventaient des lampes à arc capables de simuler le craquage d’une allumette, les cameramen improvisaient des vitesses de tournage de leur manivelle pour accélérer ou pour ralentir l’action. Les cascadeurs risquaient différentes sortes de morts. Les directeurs de production finissaient en maison de repos, voire en asile psychiatrique. On nageait dans l’épique. Mais, l’épique peut être aussi comique, comme le montre l’histoire du tournage du premier Ben Hur, depuis les difficultés d’obtenir les droits de ce roman à succès mondial devenu pièce de théâtre, jusqu’aux innombrables retards, accidents, catastrophes et coups fourrés, qui émaillèrent l’aventure de ce film tant à Los Angeles qu’en Italie. Mussolini s’en mêla. Les luttes entre fascistes et anti-fascistes provoquèrent des échauffourées entre techniciens comme entre figurants. Certains décors qui devaient être construits en 7 semaines n’étaient pas terminés au bout de 7 mois. Les accidents de tournage furent si nombreux et si variés, et souvent si sérieux pour les hommes et comme pour les chevaux, qu’ils pourraient constituer le scénario d’un film catastrophe. Les chinois interdirent le film pour cause de propagande chrétienne. Mussolini l’interdit aussi lorsqu’il découvrit que Ben Hur, prince de Judée, triomphait de Messala, militaire romain. Le Duce avait encouragé le tournage sans avoir lu le roman de Wallace. Sic transit Gloria Swanson. Le ciel vous tienne en joie.Et pour finir, voici la critique de Jean-Pierre Berthomé parue dans la revue Positif de février 2012:
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