A la fin de l'année 1933, de retour de voyage, Ronald Colman réussit à résoudre à l'amiable le conflit qui l'oppose à Samuel Goldwyn. Il retire sa plainte en diffamation et en échange, il est libéré de son contrat qui est transféré à une nouvelle société au sein de United Artists, Twentieth Century Pictures. En effet, Joseph M. Schenk s'est associé avec Darryl Zanuck (qui vient de quitter la Warner Bros) pour créer cette nouvelle unité de production avec, semble-t-il, des capitaux secrètement apportés par Louis B. Mayer… Pour eux, c'est une aubaine d'obtenir Ronald Colman comme star masculine. Sa première production, Bulldog Drummond Strikes Back (Le retour de Bulldog Drummond) sous la direction de Roy Del Ruth (qui, lui aussi, est issu de l'écurie Warner) débute en février 1934. Le studio ne veut pas prendre trop de risques et ils choisissent de reprendre le personnage qui avait lancé Colman au parlant en 1929. Il retrouve Loretta Young, qui a suivi Zanuck de la Warner à la XXth Century Pictures, comme partenaire. Le film est un petit bijou d'humour, supérieur à l'original car les moyens techniques se sont bien améliorés depuis 1929. Les seconds rôles sont absolument formidables avec ce vieux grincheux de C. Aubrey Smith, en inspecteur Neilson qui est constamment dérangé par Drummond dans son sommeil, Charles Butterworth en Algy, l'acolyte comique au physique de lapin effrayé et qui n'arrive pas à consommer sa nuit de noce, et Warner Oland, en prince oriental oléagineux et machiavélique. Nous sommes définitivement dans la parodie, mais, sans aucun excès. le film n'a pas pris une ride et méritrait d'être plus visible qu'il ne l'est! Il a été invisible aux USA pendant très longtemps suite à un problème de droit d'exploitation du personnage Drummond racheté par un autre studio. Il semble maintenant que Janus Films (la société parente de Criterion) en soit propriétaire; espèrons qu'un jour il réapparaisse sous la forme d'un beau DVD! Mais, je reviendrai plus en détails sur ce film bientôt.
Zanuck a toujours adoré les biopics et il décide de produire un film sur la vie du Baron Clive. Colman devient donc Clive of India (Le conquérant des Indes) en 1935. Loretta Young est à nouveau sa partenaire dans le rôle de Lady Clive. Zanuck importe de Londres, R.J. Minney qui a écrit une biographie, puis une pièce sur ce personnage mégalomaniaque. Ses instructions à l'écrivain sont typiques: "Le public, ici, ne connait pas la différence entre clove of India (clou de girofle des Indes) et Clive of India, alors, mettez beaucoup de cartons explicatifs!" Le résultat: un film parlant qui compte presque plus de cartons qu'un film muet de même durée!!! Hollywood dans ce milieu des années 30, est friand de ces films d'aventure sur les colonnies britanniques; la même année sort sur les écrans The Lives of a Bengal Lancer de Henry Hathaway au message agressivement pro-colonial. Clive of India, malgré une édulcoration assez forte du personnage, est plus ambigu. Robert Clive n'est qu'un petit comptable aux écritures de la East India Company qui réussit à devenir un haut gradé de l'armée et à asseoir le pouvoir britannique sur les Indes convoitées également par les Français, les Portugais et les Hollandais. Les méthodes qu'il emploit sont parfois à la limite de l'abus de pouvoir : il contrefait une signature, arrange des traités secrets avec les gouvernants locaux, accepte des 'dons en nature' d'autres potentats. Il termina sa vie ruiné, deshonoré et se suicida. Inutile de dire que Zanuck demanda une fin bien plus heureuse! Au final, le film manque singulièrement de souffle et ressemble à une succession de vignettes! Mais, on peut y apprécier l'interprétation de Colman dans certaines scènes où il réussit à insuffler de la vigueur à son personnage.
Pour la première fois depuis 1922, Colman apparaît sans moustache dans le rôle de Clive et son visage mince prend soudain une tonalité plus mélancholique. Il est ravi d'avoir un personnage complexe à interpréter. Il ne semble pas qu'il y ait eu chez lui une fibre patriotico-militariste comme c'était le cas chez de nombreux anglais immigrés à Hollywood. Son expérience de la guerre de 14-18 y est probablement pour beaucoup. Il n'apparaitra d'ailleurs jamais dans un film de guerre en uniforme et on peut compter sur les doigts d'une main ses apparitions à l'écran avec une arme à feu à la main. A cette époque, il ne fréquente guère les anglais immigrés d'Hollywood; il leur préfère la compagnie de ses amis américains comme Richard Barthelmess et William Powell.
Au cours de l'année 1935, la Fox, qui est au bord de la faillite, fusionne avec la XXth Century Pictures pour former la XXth Century Fox actuelle. Une des toutes premières productions est The Man Who Broke the Bank at Monte Carlo (L'homme qui a fait sauter la banque) de Stephen Roberts, une petite comédie anodine où Colman retrouve Joan Bennett. Il y est un aristocrate russe immigré à Paris qui survit en temps que chauffeur de taxi jusqu'au jour où, grâce à la chance, il gagne une fortune au casino. Joan Bennett est envoyé sur ses traces par le propriétaire qui souhaite le ramener sur le tapis vert pour y reperdre ce qu'il a gagné.
Colman a retrouvé sa moustache; mais, ce n'est que temporaire car il va la reperdre pour son rôle suivant, Sidney Carton dans A Tale of Two Cities (Le Marquis de Saint-Evremond). Ce film va apporter un nouveau tournant à sa carrière ainsi qu'à sa vie.
A suivre
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