dimanche 16 avril 2017

Maurice Tourneur dans "El País" du 15 avril 2017

La Main du diable (1943)

Suite au cycle de films de Maurice Tourneur à la Filmoteca de Catalunya de Barcelone, j'ai été interviewée par un journaliste d'El País qui a publié un excellent article sur la carrière de Maurice Tourneur. Vous pouvez le lire en ligne en espagnol. En voici la traduction :

Maurice Tourneur, cinéaste insoumis 
La Filmoteca propose un cycle dédié au réalisateur français, ignoré dans son propre pays 
La Filmoteca a prévu un cycle de 12 films de Maurice Tourneur (1876-1961) et l’a intitulé "un classique inconnu". Bien sûr, il l’est ici, mais aussi en France, où on ne lui a pas pardonné de ne pas avoir répondu à la mobilisation en 1914 et d’être resté aux Etats-Unis, évitant ainsi la Première Guerre mondiale. Tourneur était allé cette même année aux États-Unis pour travailler dans une filiale de la société Eclair. Bientôt, le succès de ses films dans ce pays lui a permis de réaliser et de produire ses propres films. Naturalisé américain, il a reçu l'admiration de ses collègues. Cependant, l’émergence des grands studios avec un système de travail où le réalisateur, perdant son autonomie, était un rouage sous contrôle ennuya Tourneur. En 1926, il quitta un tournage à la Metro n’acceptant pas la supervision par le producteur. Il se sentait épié. Et il est rentré en France. Mais dans son pays natal, on n'avait pas oublié qu'il était un déserteur.
 Christine Leteux a publié en France une biographie documentée du personnage et a été chargée de présenter le cycle de la Filmoteca. Pour Leteux, il y a une dernière image à propos de la notoriété française de son cinéaste. Les nécrologies dans la presse française étaient sans intérêt et mal informées. « Par contre, le New York Times a dit que son talent avait influencé le développement du cinéma. » De plus, à Los Angeles, il a son étoile sur le Walk of Fame. En fait, dans ses dernières années, il vivaient de traductions de romans policiers américains. Clarence Brown, qui avait été formé en tant que cinéaste grâce à Tourneur et était devenu un des réalisateurs préférés de Greta Garbo, lui envoya un chèque tous les mois jusqu'à sa mort. Et il arriva de Suisse pour assister à l'enterrement de son ami. Contrairement à Jacques, le fils de Maurice, qui avait été formé à côté de son père et qui, comme lui, travaillait maintenant aux Etats-Unis, ne se présenta pas à ses funérailles. La relation entre les deux était polie, mais distante étant donné que Jacques avait pris comme femme la maîtresse de Maurice. « Maurice suivait la carrière de son fils aux Etats-Unis en lisant la presse américaine», dit Leteux.
 En 1928, déjà installé en France, mais avec la presse rappelant son passé d’insoumis et anti-patriotique, il est expulsé de son pays. Leteux considère que dans cette campagne de certains de ses collègues, il y a un facteur non négligeable « de jalousie professionnelle ». Il va vivre une année à Berlin où il va tourner un film avec une jeune comédienne, Marlene Dietrich. Après 16 mois en Allemagne, il est autorisé à rentrer en France où il a le statut d’étranger expulsable qui doit renouveler son permis de séjour tous les trois mois. L’arrivée du cinéma parlant qui, pendant un certain temps, jusqu'à l'arrivée du doublage, freina l'importation de films, permet la résurrection de l'industrie locale où Tourneur aura sa part .
 Plus de complications 
L'invasion allemande de la France et la Seconde Guerre mondiale apportera de nouvelles complications pour Tourneur ; en tant que citoyen américain résidant en France, il est doublement suspect. Ses comptes en banque sont bloqués en 1941 et il doit se présenter chaque semaine aux autorités de son quartier. Bizarrement, à ce moment-là, il travaille pour la Continental, une société de production fondée par les Allemands en France. Comme Leteux l’explique, la Continental n’était pas un appareil de propagande allemande. Elle essaie d'être une société viable commercialement et de maintenir l'industrie cinématographique française en vie tout en bénéficiant à une Allemagne qui avait gagné la guerre. En fait, à la Continental on trouvait aussi bien des collaborateurs déclarés que d’autres professionels actifs dans la Résistance. Le film qui a ouvert le cycle de la Filmoteca (La Main du diable) a été tourné par Tourneur durant cette période.
 Pour Leteux, les films artistiques réalisés par Tourneur n'ont pas été reconnus. A l’époque muette, il rompt avec l'inertie du théâtre filmé (« Dans The Whip en 1917, il a filmé le déraillement d'un train »). Comme cinéaste, il s’est intéressé à la mise en scène, à l'éclairage et à la construction narrative et Leteux souligne que dans un film comme The Blue Bird (1918) « il y a une stylisation du décor qui anticipe l'expressionnisme introduit par Caligari en 1920. Dans le film, il y a beaucoup d'idées qui furent ensuite développées par les Allemands ».
 Certains documents consultés par Leteux pour écrire sa biographie sont issus d’archives françaises que les Allemands avaient emmenées à Berlin pendant l'occupation avant de terminer à Moscou après l'entrée des Soviétiques dans la capitale allemande. « Et il a fallu attendre la Glasnost de Gorbatchev, pour que les autorités françaises puissent revendiquer avec succès leur restitution. » En ce moment, elle travaille sur l'histoire singulière de la Continental.
 Tomàs Delclós

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