mercredi 18 décembre 2013

If I Were Free 1933

Un film d'Elliott Nugent avec Irene Dunne, Clive Brook, Nils Asther, Henry Stephenson et Vivian Tobin

A Paris, Sarah Cazenove (I. Dunne) est victime d'un époux manipulateur et violent (Nils Asther). Elle décide de le quitter et de divorcer après avoir rencontré un avocat, lui aussi, à la dérive, Gordon Evers (C. Brook)... 

Cette petite production RKO est typique des mélodrames que tournaient les deux actrices, Irene Dunne et Ann Harding, sous contrat avec cette société à l'époque. If I Were Free ne fait partie des mélos prestigieux avec sa durée de 66 minutes et son intrigue minimaliste. Tiré d'une pièce de théâtre de John Van Druten, le film n'offre pas de réelles surprises. Elliott Nugent n'est pas un grand réalisateur, même si il a produit quelques films intéressants comme Life Begins (1932) avec Loretta Young et Three Cornered Moon (1933) avec Claudette Colbert qui restent en mémoire à cause de la qualité de leurs scénarii. On ressent néanmoins un réel plaisir à la vision de ce film grâce aux deux acteurs principaux, Irene Dunne, toujours juste et émouvante et Clive Brook, qui sort de son impassibilité habituelle. Les thèmes abordés sont les mêmes que l'on rencontre dans des dizaines de mélos de l'époque: l'homme mal marié, la maîtresse que l'on cache et qui se sacrifie et la femme cupide qui refuse le divorce. Irene Dunne souffre noblement pendant que Clive Brook est menacé de mort par une blessure de guerre. Tout cela étiré sur une plus longue durée serait parfaitement insupportable. Mais, en 66 min, l'histoire d'amour de ces deux êtres maltraités par la vie est plausible. Clive Brook réussit même à être émouvant en alcoolique sarcastique. Les seconds rôles sont tenus par la crème des acteurs britanniques comme Henry Stephenson et Halliwell Hobbes. Nils Asther est un méchant dans la lignée de son rôle dans Letty Lynton (1932) de Clarence Brown. Ce n'est certainement pas un grand film, mais une petite production sympathique.

dimanche 15 décembre 2013

The 1913 Show au BFI le 2 décembre 2013

Suspense (1913, Lois Weber)
Chaque année, la conservatrice du cinéma muet au BFI, Bryony Dixon, organise une séance composée de films réalisés il y a 100 ans. On peut y voir une sélection de bandes d'actualités, de court-métrages comiques et des longs métrages. C'est l'occasion de découvrir ou de redécouvrir des petits bijoux d'il y a 100 ans.
Parmi les bandes d'actualité, il y avait une procession funéraire en l'honneur d'une suffragette, Emily Davidson, qui s'était jetée sous un cheval lors de la prestigieuse course du Derby. Une longue procession a traversé les rues de Londres avec une pompe que l'on aurait pu croire réservée aux membres de la famille royale. Une foule impressionnante était amassée sur les trottoirs et de nombreux hommes retiraient leur chapeau pour saluer le geste de la militante.
Une comédie britannique, Nobby The New Waiter, avec le comique Sam T. Poluski nous montre un serveur particulièrement maladroit qui chausse des patins à roulettes dans un restaurant. on pense immédiatement à Chaplin; mais il faut le reconnaitre, les acrobaties de Poluski ne sont pas au niveau du génial Charlie.
Puis, nous eûmes un fragment d'un grande production britannique intitulée The Battle of Waterloo avec l'Empereur qui restait calme face aux explosions et aux soldats qui chargeaient à dos de cheval. Il est difficile de se faire une opinion avec ce petit fragment de 5 min, le reste du film étant perdu. En tout cas, il offrait un contraste parfait avec la comédie suivante Pimple's Battle of Waterloo de et avec Fred et Joe Evans. Cette parodie annonçait déjà le comique farfelu et décalé des Monty Python. Napoleon est attaqué par une suffragette qui assomme tout le monde avec son panneau "Vote for Women"! Les chevaux étaient interprétés par des acteurs en costume de cheval et Napoléon prenait le train pour la France à Waterloo Station. Malgré un manque évident de moyens, avec des décors en carton pâte branlants, la parodie a conservée son pouvoir comique et on ne peut que sourire en voyant Napoléon tirer à pile ou face avec Wellington pour savoir lequel tirera le premier.
Parmi les pièces de resistance lors de cette présentation, il y avait un excellent film italien intitulé Tigris. Ce suspense criminel réalisé par un Vincenzo Denizot (qui fut un employé chez Gaumont) ressemble énormément aux sérials de Louis Feuillade par son scénario aux multiples rebondissements, la présence d'un maître du crime, son utilisation des extérieurs et des cascades sensationnelles. On y voit une voiture à cheval arriver directement sur la devanture d'un restaurant en en fracasser la vitre. Encore plus étonnante est cette cascade réalisée par un cascadeur particulièrement doué. Un homme gît ligoté sur une voie ferrée. Un train approche et va l'écraser. Dans un dernier sursaut, l'homme réussit à détacher ses mains et attrape les tampons du train qui arrive et se hisse à bord. Le résultat est bluffant.
La séance se clôturait par un des plus beaux courts-métrages de 1913 réalisée par Lois Weber aux Etats-Unis: Suspense. Ce film particulièrement bien vieilli grâce un montage et des angles de prise de vues incroyablement efficaces. Alfred Hitchcock n'a pas fait mieux par la suite. Sur un scénario très simple - une femme seule avec son enfant dans une maison isolée est attaquée par un rôdeur - Weber organise une série d'images composées avec un soin extrême, en particulier des contre-plongées très efficaces du visage de l'homme qui monte les marches et s'introduit dans la maison. En 10 min, on suit avec passion les démêlées de la femme avec son agresseur et en montage parallèle la course poursuite de son mari en voiture, parti pour la sauver. Une excellente soirée.

mardi 10 décembre 2013

The Half-Breed 1916

Lo Dorman (Douglas Fairbanks) et Teresa (Alma Rubens)
Le Métis
Un film d'Allan Dwan avec Douglas Fairbanks, Alma Rubens, Jewel Carmen, Sam de Grasse et George Beranger

Le métis "Lo Dorman" (D. Fairbanks) est courtisé par Nellie (J. Carmen) la fille du pasteur, à la grande fureur du Shériff Dunn (S. de Grasse) qui ignore qu'il est son propre fils...

A ses débuts, Douglas Fairbanks travaille au sein de la société Triangle qui produit également les films de T.H. Ince avec William S. Hart. On retrouve donc dans leurs films certaines actrices comme Alma Rubens et Winifred Westover (qui devint brièvement Mrs Hart). Cet excellent film d'Allan Dwan avait bien besoin d'une restauration. J'avais vu la copie incomplète de la Cinémathèque française il y a quelques années et j'étais restée sur ma faim. La fin du film était incomplète, le montage laissait à désirer avec des scènes qui réapparaissait deux fois de suite et il y avait des intertitres en français mal placés. Dans cette nouvelle réstauration réalisée par le San Francisco Silent Film Festival, le film retrouve une chronologie logique et ses intertitres en langue originale. 
Cette fable panthéiste se veut une célébration de l'homme des bois face à la corruption de la civilisation. Plus encore, c'est le métis, fils d'une squaw, qui est le héros du film face aux Blancs malfaisants. Dans les années 10, les Indiens sont très souvent bien représentés au cinéma contrairement à ce qui se passera plus tard dans les années 30 où les Indiens ne seront plus que des sauvages hurlants. Le film commence par un strip-tease de Fairbanks qui nous permet d'admirer sa plastique irréprochable. En fait, cette séquence dut être ajoutée par Allan Dwan pour contenter Mrs Fairbanks (Beth Sully) qui ne supportait pas l'idée de voir son époux jouer un "sale indien". On le montre donc plongeant dans la rivière pour se laver. 
Bien qu'il soit un métis, il attire l'attention de la très séduisante Nellie (Jewel Carmen) qui est la fille du pasteur au grand dam de ses soupirants. Elevé par un botaniste, Lo Dorman (contraction de "L'eau dormante" - Sleeping water) est un homme simple et droit face à la mesquinerie et la violence des Blancs. Le film exploite au mieux les magnifiques décors naturels de la Californie avec ses gigantesques séquoias et ses vallées profondes où coulent les rivières. 
Il faut mentionner Alma Rubens qui joue la douce Teresa victime de son protecteur qui l'exploite avec son "medicine show" pour attraper les gogos. Elle trouve enfin avec Lo Dorman, un homme qui lui apporte protection et respect. Cette jeune actrice sera victime plus tard d'un de ces docteurs marrons - qui fourmillaient à Hollywood - qui lui donnera une addiction à la morphine. Elle mourra à l'âge de 33 ans sans avoir pu vaincre cette addiction. 
Le film était accompagné lors de la présentation à la Cinémathèque par un clavier électronique et une variété d'instruments à vent (harmonica, clarinette, saxophone). Hélas, les musiciens se sont contentés de ressasser constamment les mêmes thèmes - souvent particulièrement anachroniques pour la période du film (à l'époque de la ruée vers l'or) et ont ignoré les moments les plus comiques. Malgré cet accompagnement peu approprié et particulièrement bruyant, ce fut un plaisir de pouvoir redécouvrir ce film de Fairbanks.

jeudi 5 décembre 2013

Napoléon (1927) d'Abel Gance au Royal Festival Hall le 30 novembre 2013

Napoléon à Londres le 30 novembre 1980
La projection du Napoléon le 30 novembre dernier marque exactement le 33e anniversaire de la première présentation du film restauré par Kevin Brownlow avec la partition de Carl Davis, cette dernière étant un des éléments les plus importants de cette restauration. Depuis cette première projection avec orchestre (antérieure même à la projection new-yorkaise de janvier 1981 avec la partition de Carmine Coppola), le film a pris de l’ampleur. De 4h50, il est passé à 5h31, des erreurs de montage ont été corrigées et la qualité des éléments a été grandement améliorée.
C’est dans des conditions optimales que le public londonien a pu apprécier ce film français monumental avec en prime un des tous meilleurs orchestres de Londres, le Philharmonia Orchestra dirigé par Carl Davis lui-même. La salle archi-pleine a réagi au quart de tour à tous les mots d’auteur et autres clins d’œil dont Gance a parsemé son film. C’était un sérieux contraste par rapport à l’expérience particulièrement pénible que j’avais vécu à la Cité de la Musique en décembre 2009 où avait été présenté une restauration ancienne de Kevin Brownlow (de 1983) avec la partition sinistre de Marius Constant en décalage total avec le film. J’avais fui la salle au premier entracte, profondément déprimée par cette partition lugubre, de voir le public s’ennuyer mollement et d’entendre les ricanement d’autres spectateurs.
Assister à une projection de Napoléon, c’est un marathon. Mais, il n’y a pas de temps morts. Les deux premières heures passent à une rapidité confondante. Gance concentre dans la première partie une quantité d’innovations techniques incroyables : caméra portée, sur une luge, à dos de cheval, suspendue sur un pendule, écran divisé, montage frénétique, grand angle, etc. Cette débauche d’innovations pourrait n’aboutir qu’à une série de séquences pour épater le spectateur. En fait, Gance utilise toujours la technique au service de la narration. Il nous plonge dans l’univers de l’école de Brienne et de la Révolution française avec une acuité visuelle qu’il ne renouvellera jamais par la suite.
Carl Davis part d’un principe qui me semble évident : la primauté doit rester au film lui-même. Il n’est pas question de tirer la couverture à lui en ignorant le rythme, l’émotion et l’ambiance générale du film. Il met donc en lumière les personnages de Gance avec leurs émotions directes : amour, solitude, désespoir, passion. Il ne cherche pas un second degré qui n’existe pas dans le langage visuel de Gance. Il illustre à la perfection les états d’âme du petit Bonaparte victime de ses camarades tout autant que la montée en puissance de la Marseillaise au couvent des Cordeliers. Quand on songe que Carl Davis a composé cette partition en seulement trois mois et à une époque où la composition pour le cinéma muet n’était pas encore revenue à l’ordre du jour, on ne peut que tirer un coup de chapeau à l’auteur. En mêlant les compositeurs de l’époque napoléonienne (Beethoven, Haydn, Mozart, Gossec, Dittersdorff) à ses propres thèmes (en particulier celui de l’aigle), il recrée l’ambiance dans la laquelle vivait tous les personnages à l’écran. Il ne faut pas oublier que la période révolutionnaire le fut aussi au niveau musical. Beethoven révolutionnait la symphonie et secouait la tradition classique pour faire éclore le Romantisme.
Le spectateur français se demande toujours comment réagir face au personnage de Napoléon, les préjugés entrent en scène et empêchent parfois d’apprécier le film de Gance tel qu’il est : un grand livre d’images animées, épique, flamboyant avec l’humour d’un Alexandre Dumas. Le public anglais ne se pose pas ce genre de questions et apprécie tous les aspects humoristiques.
Cette dernière restauration est teintée et virée. Si les teintes ambrées apportent une chaleur bienvenue à de nombreuses scènes comme pour la Marseillaise, par contre le teintage rouge rend parfois certaines scènes difficiles à distinguer. Le meilleur exemple est la bataille de Toulon. Entièrement tournée en studios, Gance réussit le tour de force de suggérer les éléments déchaînés, la pluie battante, la boue et les morts qui s’entassent. Alors que dans la version de 1983 en noir et blanc, cette scène m’avait beaucoup impressionnée par sa construction, j’ai eu ici beaucoup de mal à en suivre le déroulement à cause du manque de contrastes apportés par le rouge et les lumières réverbérées de l’orchestre. Elle en a d’ailleurs dérouté plus d’un. Elle mérite cependant d’être revisitée car c’est une magnifique réussite mêlant chaos et intimité superbement accompagnée par l’Egmont de Beethoven. Cette scène n’était pas à son avantage ce samedi à cause des problèmes précités.
Le triptyque final est un moment inoubliable pour tout spectateur qui a eu la chance de le voir ainsi projeté sur grand écran. Deux rideaux s’écartent et révèlent soudain un écran trois fois plus large sur lequel un immense panorama (une carrière près de La Garde figurant l’entrée en Italie) apparaît. Pour cette séquence magique, Carl Davis a utilisé des variations sur Le Chant du départ de Méhul qui furent composées par Honegger lors de la première du film. Davis réitère les motifs principaux qui sont couronnés par une Marseillaise flamboyante et un drapeau tricolore qui apparaît à l’écran. Cette célébration de la France révolutionnaire – que nous n’oserions peut-être pas réaliser en France - donne à Londres une sorte d’exaltation de 14 juillet festif et joyeux. Napoléon est une expérience totale, visuelle, émotionnelle et musicale dans cette restauration. C’est un moment unique pour tout spectateur qui a eu la chance d’y participer.
Si vous voulez en savoir plus sur le film, vous pouvez lire mes interviews de Kevin Brownlow et de Carl Davis ou lire le livre de Kevin Brownlow sur la restauration du film (dont je suis la traductrice). Vous pouvez aussi jeter un oeil à une scène perdue du film dont j'ai retrouvé et animé des photogrammes.

vendredi 30 août 2013

Albert Capellani - Cinéaste du romanesque VI


Une nouvelle critique de mon livre vient tout juste d'être mise en ligne sur le site 1Kult:
Jusque là, s’informer sur la vie et la carrière d’Albert Capellani était synonyme de frustrations : très peu de textes existant et le plus souvent les informations étaient incomplètes, contradictoires pour ne pas dire tout simplement erronées. Il faut dire que très peu de trace évoquant le cinéaste a réussi à survivre jusqu’à nos jours, à commencer par ses films français qui ne mentionnaient jamais son réalisateur. Rien qu’être sûr de la présence d’Albert Capellani derrière la caméra est un exercice délicat. Par exemple lors de sa rétrospective, la Cinémathèque Française lui a attribué par erreur un Manon Lescaut datant de 1912 (il était d’ailleurs improbable que l’homme qui a dirigé Les Misérables un an avant puisse être responsable d’un mélodrame aussi lamentable et bâclé). Il était donc quasiment impossible de retrouver sa présence dans la presse de l’époque, surtout qu’une confusion existe aussi avec son frère, Paul Capellani, célèbre acteur en son temps. On prêtait ainsi à tort à Albert Capellani une formation dans le théâtre. De la même manière, certains en ont fait abusivement un disciple du metteur en scène André Antoine. Bref, tout restait à faire et c’est justement ce que s’est dit Christine Leteux quand son éditeur lui proposa d’écrire une biographie sur le réalisateur de Germinal. Elle repartit donc tout simplement de zéro en retournant à sa fiche d’état civil pour retrouver autant d’information que possible. Un véritable travail d’investigation qui la mène sur le parcours scolaire du futur cinéaste, son passage dans l’armée, ses différents emplois avant d’arriver chez Pathé et sur des tournages qui l’ont conduit de la France aux Etats-Unis pour une multitude de sociétés de production, qu’elles soient indépendantes ou non. Un travail sans doute intimidant mais Christine Leteux avait fait ses armes sur les traductions de deux œuvres emblématiques de Kevin Brownlow : La parade est passée et surtout Napoléon - le grand classique d’Abel Gance dont elle traqua les articles, les lettres et les déclarations d’origines plutôt que de traduire en français les traductions anglaises des nombreuses sources françaises que l’auteur avait réunis dans les années 1970. De Brownlow, elle garde aussi sa plume fluide, passionnante et passionnée pour une écriture simple, enthousiaste et humble sans excès de style démonstratif et superflu. Elle est donc parvenue à reconstituer la vie d’Albert Capellani de sa naissance en 1874 jusqu’à sa mort prématurée en 1931. Avec les nombreux trous qui jalonnent son existence et sa carrière, Leteux se livre à de nombreuses suppositions mais à chaque fois elle à l’intelligence de les présenter comme des faits aux conditionnels tout en détaillant autant que possible les raisons qui laissent à croire qu’ils sont plausibles… Plus crédibles en tout cas que tout ce qui avait été écrit sur Capellani avant elle quoiqu’il en soit. Loin d’amenuiser le plaisir, ce portrait « complété et imaginé » de ce pionnier du cinéma muet se dévore d’une traite et ne s’avère jamais frustrant, si ce n’est celui de juger sur pièces les réalisations du cinéaste, surtout celles de sa période américaine. En effet, peu d’éditions vidéos existent de cette partie de sa carrière, contrairement à sa carrière française. Pour faire la fine bouche, on pourrait regretter par moment un surplus d’informations et de chiffres pas toujours nécessaires mais ce souci d’exhaustivité fait qu’on tient sans aucune doute le livre de référence sur la vie de cette figure trop longtemps oubliée du 7ème art. A ce titre, il faut rappeler que ce livre n’est en aucun cas un ouvrage d’analyse filmique (et encore moins universitaire) mais une biographie atypique doublée d’une aventure historique palpitante grâce à la connaissance sans faille de Christine Leteux sur cette période féconde et stimulante où le cinéma s’inventait de jour en jour. Ce livre – on peut presque parler de monographie à ce niveau – désormais indispensable est disponible chez La Tour Verte avec une préface de Kevin Brownlow et une filmographie complète, enrichie d’un glossaire précieux qui répertorie les titres ayant survécu et ceux disponibles en DVD. Indispensable donc !
Anthony Plu

dimanche 7 juillet 2013

Under Eighteen 1931

Un film d'Archie Mayo avec Marian Marsh, Anita Page, Warren William et Regis Toomey

Margie Evans (M. Marsh) est couturière dans une maison de couture chic de New-York. Elle vit dans un tout petit appartement de L'East End avec sa mère et espère pouvoir un jour monter en grade. Sa soeur (A. Page) et son beau-frère débarquent un jour chez eux ; ils n'ont plus de toit...

Under 18 appartient à cette série de films Warner qui offrent des commentaires sociaux sur la vie des petites gens. Comme dans Employees' Entrance, on découvre la vie des filles mannequin qui se vendent au plus offrant pour arrondir leur fin de mois. Mais, comme le dit une de leurs collègues, elles sont tenus par leurs riches amants qui ne leur donnent pas un cent en argent de poche. Le rôle principal du film est une jeune fille innocente et naïve qui regarde tout ce monde sans nécessairement comprendre l'envers du décor. Ainsi lorsqu'elle découvre que sa soeur Sophie (Anita Page) est malheureuse avec son époux, elle lui suggère de divorcer, appliquant les recettes qu'elle a entendues au salon de couture. Elle croît faire au mieux pour sa soeur en se décarcassant pour trouver les 200 dollars nécessaires pour l'avocat. Elle va aller naïvement voir son petit ami Jimmy (R. Toomey), un riche client (W. William) et son patron. Margie pense que le mariage n'est peut-être pas cet état de bonheur absolu qu'elle envisageait lorsqu'elle voit sa soeur en train de se quereller avec son époux sans emploi. Après tout, elle pourrait elle aussi devenir modèle et se faire entretenir par un riche vieux beau comme Raymond Harding (Warren William). Lorsqu'elle aura visiter le luxueux appartement du millionaire avec ses soirées endiablées autour d'une piscine, elle sera capable de réfléchir sereinement à tout cela. Le scénario offre une série de surprises et d'événements inattendus qui tiennent en haleine. Et au final, Margie aura les 200 dollars convoités. Mais, ils se révèleront inutiles : entre temps, sa soeur s'est réconciliée avec son époux. Marian Marsh est excellente en jeune fille naïve et fraîche. Il y a de très bons seconds rôles et c'est une belle réussite à mettre au crédit de Mayo.

Employees' Entrance 1933

Un film de Roy Del Ruth avec Warren  William, Loretta Young, Wallace Ford, Alice White and Albert Gran

Kurt Anderson (W. William) dirige d'une main de fer un grand magasin new-yorkais. La jeune Madeline (L. Young) qui recherche désespérement un emploi, en fait les frais. Ayant obtenu un job de mannequin dans le magasin, elle doit cacher à tout le monde qu'elle est fiancé à Martin (W. Ford), qui devient le bras droit d'Anderson...

Cet excellent film de Roy Del Ruth contient l'une des meilleures interprétations de Warren William, un des piliers de la Warner durant la période pre-code. En patron tyrannique, qui ne recule devant rien pour augmenter les marges bénéficiaires du magasin, il montre des qualités d'éloquence et de dynamisme qui rappellent John Barrymore dans Counsellor-at-law (1933, W. Wyler). Ayant dû grimper les échelons à la seule force de son caractère, il élimine toute personne qui ne correspond pas à son idée du succès. Un vieil employé se suicide suite à son renvoi : qu'importe ! Pour ce qui est des femmes, il leur offre une chance d'emploi si elles veulent bien passer par sa chambre à coucher. Il n'a pas ni morale, ni remords. Toute sa vie est concentrée sur son travail. Loretta Young est ici une proie facile face à ce prétadeur, mais elle réussira finalement à échapper à ses griffes après bien des tourments. Les seconds rôles sont tenus par une multitude de têtes connues de l'époque avec tout le talent voulu. Le film est dynamique et superbement construit. Un vrai moment de bonheur qui n'oublie pas de nous faire réfléchir sur une société où le profit prime sur tout.

Massacre 1934

Un film d'Alan Crosland avec Richard Barthelmess, Ann Dvorak, Claire Dodd, Dudley Digges, Clarence Muse et Tully Marshall

Le chef Thunderhorse (R. Barthelmess) travaille dans un cirque où il réalise un numéro d'acrobatie équestre qui lui vaut de nombreux succès féminins. Un jour, il apprend que son père est mourant et il part pour la réserve des Sioux qu'il a quittée depuis des décennies...

Massacre est une oeuvre à part dans la production pre-code des années 30.  Alors que les Indiens avaient eu droit à un traitement sympathique durant les années 10 et 20, l'arrivée du parlant et la descente en gamme des westerns (rélégués aux séries B, voire pire) en fait de simples sauvages hurlants destinés à tomber sous les coups de revolvers. Heureusement, ce film d'Alan Crosland prend totalement à revers cette vision stéréotypée. Retouvant les accents pro-Indien de The Vanishing American (1925, G.B. Seitz), il fait le portrait d'un Indien qui s'est intégré dans la société blanche de son époque en devenant une star de cirque. Certes, il en est réduit à jouer de son image et à en rajouter avec un maquillage foncé, mais Thunderstorm a acquis patiemment une place dans la société. C'est en retournant dans la réserve qui accueille les siens qu'il va réaliser à quel point les Indiens ne sont pas des citoyens américains à part entière. Ils n'ont strictement aucun droit face à des officiels corrompus, les fameux agents des réserves, qui peuvent s'emparer de leurs biens ou violer leur fille sans qu'ils puissent protester. Lorsque Thunderstorm arrive, il réalise qu'il va falloir défendre rapidement sa tribu en utilisant toutes ses connaissances acquises grâce à sa renommée. Le film offre un tableau sans concession de la vie misérable des peaux-rouges et se permet même de comparer leur sort avec celui des noirs. Clarence Muse, qui joue le valet de Barthelmess, constate lui-même que son sort de domestique est nettement plus enviable que celui des Indiens de la réserve. Barthelmess est égal à lui-même, dans une période où sa carrière va bientôt se clore, en redresseur de torts dans la lignée de Paul Muni dans I Was a Fugitive from a Chain Gang (1932, M. LeRoy). La fin heureuse paraît peu plausible, mais qu'importe. C'est un film noir qui se déguste avec plaisir pour son ton inhabituel.