Un film de Jacques Feyder avec Raquel Meller, Louis Lerch, Gaston Modot et Victor Vina
Don José (L. Lerch) a tué un homme par accident. Il quitte son village natal de Navarre pour Séville où il s'engage dans les dragons. Il rencontre la gitane Carmen (R. Meller) qu'il doit arrêter après une dispute dans la fabrique de cigares où elle travaille...
J'avais vu ce film de Jacques Feyder il y a plusieurs années lors d'une projection à la cinémathèque. Faute de mieux, le film était accompagné par un pianiste qui tentait de paraphraser la partition orchestrale originale de Ernesto Halffter Escriche, composée pour la sortie du film en 1926. Le résultat n'était guère convaincant. J'ai donc été ravie de pouvoir revoir le film avec la partition orchestrale reconstituée tel qu'il avait été diffusé sur Arte en 2002. Lorsque Feyder se lance dans ce projet en 1925-26, il décide de tourner le film en extérieurs en Espagne et le sud de la France. Il part même en repérages avec Lazare Meerson son décorateur. Le résultat est visuellement splendide. Feyder capture la nature sauvage espagnole avec autant de flair que les montagnes suisses dans Visages d'enfants (1923). Ce film produit par la Compagnie Albatros dirigée par le russe Alexandre Kamenka a été conçu pour mettre en valeur Raquel Meller dans le rôle-titre. La belle espagnole jouit d'une grande popularité en France dans les années 20. Elle a tourné trois films avec le talentueux Henry-Roussell, dont Violettes Impériales (1923) et La Terre Promise (1924). C'est elle qui demande que Jacques Feyder soit choisi pour mettre en scène le film. Hélas, le tournage tourne au conflit. En effet, la conception que se fait Raquel Meller du personnage de Carmen est pour le moins spéciale ! Elle veut être considérer comme vertueuse et elle s'exclame lorsque Feyder lui rappelle la nouvelle de Mérimée: "Mais je me fous de ce M. Mérimée ; d’ailleurs, où habite-t-il, ce Mérimée ? Je vais lui téléphoner !" Il est évident qu'à l'écran sa Carmen ne ressemble pas du tout à celles qui l'ont précédé dans le rôle. Pola Negri et Geraldine Farrar sont des créatures séductrices en diable qui enjôlent leur Don José avec forces oeillades. Raquel Meller est nettement moins démonstrative. Je n'avais pas été très convaincue lors de la première vision du film par sa performance. Cette fois-ci, je suis moins négative. Après tout, Carmen peut être interprétée de façons différentes comme le font les cantatrices dans l'opéra de Bizet. Meller est moins enjôleuse, mais on devine néanmoins un caractère bien trempé sous cet air buté. Et la scène de la mort est une belle réussite. Au milieu des arbres, elle fait face à José sachant le sort qui l'attend. La direction d'acteurs est excellente comme pour tous les films de Feyder. L'autrichien Louis Lerch est un bon Don José qui évite les excès. Dans les seconds rôles, il faut noter l'excellent Gaston Modot dans le rôle du contrebandier borgne (avec une Carmen tatouée sur la poitrine!). Feyder avait eu la bonne idée de commander une partition originale à un jeune compositeur espagnol, élève de Manuel de Falla et de Maurice Ravel, Ernesto Halffter Escriche. Il a produit une partition impressionniste sans tomber dans le cliché de la couleur locale espagnole. Il donne sans aucun doute au film un cachet tout à fait spécial, qu'une réduction au piano ne peut absolument pas capturer. Vu la longueur du film (165 min), cette musique est absolument indispensable pour l'apprécier pleinement. La restauration numérique (teintée et virée) réalisée en 2001 est absolument splendide et m'a parue meilleure que la copie 35 mm que j'avais vue précédemment. Au total, cette Carmen mérite notre attention par sa splendeur visuelle et la qualité de sa musique originale.
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