dimanche 3 juin 2012

Les Nouveaux Messieurs 1928 (II)

Suzanne Verrier (Gaby Morlay) et Jacques Gaillac (Albert Préjean)
Suzanne et le Comte de Montoire-Granpré (H. Roussell)
Le dernier film de Jacques Feyder avant son départ pour l'Amérique a enfin fait l'objet d'une diffusion à la télévision avec une partition musicale d'Antonio Coppola. J'avais déjà précédemment évoqué ce film en 2010, mais c'est la première fois que je peux le voir avec de la musique. Cette excellente comédie a extrêmement bien vieillie, gardant une résonnance tout à fait contemporaine dans sa description des moeurs parlementaires, même s'il s'agit ici de la Troisième République. Feyder réussit à nous décrire la société des années 20 avec ses aristocrates et de l'autre les travailleurs syndiqués qui sont en grève pour de meilleurs salaires. Mais, il ne tombe aucunement dans la caricature et renvoie dos à dos les partis politiques de droite et de gauche qui valsent rapidement dans des ministères à siège éjectable. Jacques Feyder a embauché pour le principal rôle masculin Albert Préjean, un ancien cascadeur, après bien des hésitations. Préjean raconte dans ses mémoires (qui ne sont disponibles bizarrement qu'en anglais) qu'il a dû batailler ferme pour obtenir le rôle. Feyder lui dit d'abord qu'il veut un acteur, pas un acrobate. Puis, il lui demande de perdre 5 kilos en une semaine! Après un régime draconien, il arrive au studio pour un bout d'essai qui le met en transes. Il doit embrasser passionnément Gaby Morlay et n'y arrive pas. On se demande pourquoi Feyder avait de telles réticences à son égard car le rôle de l'électricien leader syndical lui va comme un gant. Il est d'ailleurs étonnant de voir son personnage qui annonce les futurs films de Gabin à une époque où la masculinité dans le cinéma français est bien différente. Face aux Jaque-Catelain ou autre André Roanne, Préjean est le prolétaire charmeur et viril. C'est probablement son origine de casse-cou qui font qu'il a un jeu naturel et dépouillé. Face à lui, Gaby Morlay est absolument délicieuse en danseuse entretenue. Elle éclate de rire avec naturel et plonge dans les eaux de la Seine avec délice. Son jeu est également moderne et dépouillé d'artifices et on croit très facilement au couple qu'elle forme avec Préjean. Le rôle de l'aristocrate est tenu par un grand nom de la mise en scène muette Henry-Roussell. Il est maintenant pratiquement totalement oublié alors qu'il a réalisé d'excellents films dans les années 20 comme L'île enchantée (1926) ou La terre promise (1924). En tant qu'acteur, il fait montre de beaucoup de classe et d'humour. Il donne à son personnage une noblesse certaine, mais sans être pompeux. Son jeu est subtil, tel dans cette scène où il tente de signaler habilement à son rival (A. Préjean) que sa bouche est maculée de rouge à lèvres. Cette fine étude de moeurs a subi les foudres de la censure lors de sa sortie. Il fut interdit pendant plusieurs mois pour anti-parlementarisme. En effet, une scène -fort anodine- avait enflammé les censeurs: un vieux député s'endormait à l'assemblée nationale et il rêvait que de jolies ballerines de l'opéra envahissait les travées et le perchoir. Heureusement, Françoise Rosay (Mme Feyder à la ville) réussit à débloquer la situation grâce l'intervention de Mary Marquet qui connaissait du monde dans les ministères. En tout cas, ce film annonce déjà certains films des années 30 avec sa vision d'un Paris populaire. Cette nouvelle copie tirée en 2011 quasiment identique à la précédente restauration de 1990. L'image est par moment 'assez soft'. Quant à a nouvelle partition d'Antonio Coppola pour octuor, elle suit intelligemment l'action du film (ce qui est plus rare qu'on ne le croit!), même si les thèmes musicaux sont parfois répétitifs. Au total, un petit chef d'oeuvre d'humour qui sortira bientôt aux USA en DVD. Et peut-être en France ?

3 commentaires:

Rémy a dit…

Bonjour, j'ai malheureusement raté la diffusion sur Arte - chez quel éditeur va sortir ce DVD aux Etats Unis?

Ann Harding a dit…

Bonjour Rémy, c'est Flicker Alley qui devrait le sortir en DVD avec quelques autres productions Albatros (Gribiche, Kean, Le brasier ardent et Feu Mathias Pascal)

Unknown a dit…

L'édition DVD en France est toujours d'actualité, mais l'équilibre budgétaire du projet est difficile à trouver. La Cinémathèque française y travaille.