mercredi 24 janvier 2007

Ronald Colman, Un Anglais à Hollywood (VII)


En 1931, Samuel Goldwyn a acheté pour une fort belle somme un scénario des duettistes Charles McArthur et Ben Hecht. Ils ont fabriqué en quelques minutes, lors d'une rencontre, une trame assez lâche et Goldwyn a mordu à l'hameçon. Mais, il leur faut maintenant s'exécuter et, pour leur malheur (ou bonheur?), ils sont très occupés par la rédaction du scénario de Scarface d'Howard Hawks! Pour remplir leur contrat, Hecht aurait dicté, en une nuit, l'essentiel du scénario de The Unholy Garden (Le Jardin Impie) de George Fitzmaurice. Evidemment, le scénario s'en ressent: les personnages sont schématiques et les situations plutôt loufoques! Malgré ses défauts, Goldwyn insiste pour le mettre en production avec toutes les ressources financières du studio. Ronald Colman après une première lecture du script est immédiatement convaincu que le film sera un beau ratage; mais, il est sous contrat et se doit de tourner les films qui lui sont proposés. Au final, The Unholy Garden n'aura pas de succès auprès du public. La vision du film révèle pourtant des similitudes surprenantes avec l'un des grands films de Jean Gabin, Pépé le Moko (1936). Il semble bien que Julien Duvivier, grand amateur de Hecht et McArthur, ait vu le film de Fitzmaurice et s'en soit inspiré aussi bien pour le design que pour certaines scènes qui en sont le décalque parfait! La comparaison s'arrête là, Pépé le Moko est un chef d'oeuvre quand the Unholy Garden n'est qu'une curiosité. Colman, trouvant que son personnage de braqueur de banque, en cavale en Afrique du Nord, manque singulièrement de vérité, interprète son rôle en appuyant sur le côté parodique. On peut maintenant voir ce film sans déplaisir en appréciant probablement plus le côté loufoque que le public de 1931. Barrington Hunt (Ronald Colman) est pourvu d'un complice à l'accent américain particulièrement plébéien, Smiley Corbin (Warren Hymer), qui ne semble pas avoir inventé l'eau tiède. Ils trouvent refuge dans un vieil hôtel délabré au milieu du désert, peuplé de criminels pittoresques comme le Dr Shayne (Lawrence Grant) qui a assassiné ses trois épouses et a transformé le crâne de la dernière en pot à tabac! Du côté féminin, on retrouve Fay Wray, plutôt monocorde, quelques années avant d'être aux prises avec le Comte Zaroff et King Kong, et Estelle Taylor, parfaite en garce.


Après ce ratage, Goldwyn va mettre en production l'un de ses meilleurs films et l'un des plus beau rôle de Colman, Arrowsmith. Sidney Howard réalise une superbe adaptation du roman de Sinclair Lewis et John Ford est engagé pour la mise en scène. Ronald Colman se retrouve pour la première fois dans la peau d'un américain; si il ne modifie guère son accent qui sonne toujours très britannique, il est parfaitement à l'aise dans l'idiome typiquement middle-west américain de Lewis. Et après tout, Arrowsmith le chercheur idéaliste est un personnage un peu à part dans la société américaine obsédée par la course au profit, l'accent de Colman sert encore à renforcer cette différence. C'est réellement son premier rôle sérieux qui le fait sortir de son personnage de gentleman débonnaire. Sur le plateau, il n'est pas toujours à l'aise; néanmoins, ses rapports avec John Ford seront cordiaux. La scène, ci-contre, avec Myrna Loy a été coupée dans le film et on espère qu'un jour la MGM, propriétaire des films UA, fera l'effort de restaurer les 9 min manquantes. J'ai déjà écrit ailleurs tout le bien que je pensais de cet excellent film; mais, je vous donnerai bientôt le découpage d'une scène pour vous donnez envie de le voir (c'est le seul Colman/Goldwyn disponible en DVD).


En 1931, au sein de la United Artists, Ronald Colman est l'un des seuls moneymakers avec Eddie Cantor, le chanteur comique embauché par Goldwyn. Sur cette photo d'époque, on peut voir les différents actionnaires, producteurs et acteurs de l'UA. Colman doit secrètement jubiler d'être photographié avec ses deux idoles de jeunesse, Chaplin et Fairbanks!
On reconnait de gauche à droite: Al Jolson, Mary Pickford, RC, Gloria Swanson, Douglas Fairbanks Sr, Joseph M. Schenck, Chaplin, Samuel Goldwyn et Eddie Cantor.
En 1932, le producteur exécutif Arthur Hornblow Jr, qui a sa part dans l'excellence des productions Goldwyn, est finalement excédé de voir que son nom n'est jamais mentionné au générique des films qu'il produit. Il quitte Goldwyn pour la Paramount qui se montrera plus généreuse. Pour Colman, c'est une très mauvaise nouvelle car il entretenait des rapports amicaux avec Hornblow qui lui sert de tampon face à Goldwyn. Il se retrouve soudain seul face à son producteur et les conséquences vont être désastreuses.

En 1932, Goldwyn achète les droits d'une pièce anglaise qui sera adaptée par Frances Marion, Cynara. Il souhaite à nouveau étendre le registre de Colman dans le domaine du mélodrame. Il y retrouve pour la seconde fois Kay Francis comme partenaire. Le résultat est probant, mais, le public, lui n'accepte pas de voir son héros dans la peau d'un mari infidèle. Colman, lui-même, au début est fort mal à l'aise à l'idée d'interpréter un homme adultère. Il faut dire que sa situation personnelle est complexe. Il est toujours marié à Thelma (malgré une séparation de près de 10 ans) et est techniquement un mari adultère, devant la loi, s'il lui est infidèle... Le film de Vidor mets en valeur la subtilité de son interprètation et révèle une facette plus mélancolique chez lui, comme l'avait fait Arrowsmith, l'année précédente.

C'est durant le tournage de Cynara que le conflit larvé avec Goldwyn va soudain exploser. Colman est excédé de voir que Goldwyn ne lui permet aucun loan-out à cause de l'exclusivité de son contrat. Il rate ainsi nombres de bons rôles dans des films importants tels que dans Design for Living de Lubitsch ou dans Queen Christina de Mamoulian. De plus, il est de plus en plus exaspéré par les trucs publicitaires de Goldwyn qui lui prête des aventures, totalement infondées, avec ses partenaires. Le sommet est attend quand durant le tournage de Cynara, un journaliste qu'il a refusé de recevoir écrit un article diffamatoire, qui lui prête des habitudes alcooliques sur un plateau, insistant qu'il jouerait mieux en état d'ébriété! Il faut préciser que cette idée lui a été soufflée par le chef de la publicité du studio... Dans un Hollywood où l'alcoolisme est presque la règle, Colman se caractérise par une extrème modération dans ce domaine. Il est justement furieux en lisant cet article qui s'attaque à son intégrité professionnelle. Après des discussions houleuses avec Goldwyn et le chef de la publicité, où il a demandé une rétraction par écrit, il décide de poursuivre son producteur en diffamation pour $2 millions de dollar! Voilà un geste totalement incroyable pour un acteur à cette époque où les producteurs sont tous puissants et peuvent briser une carrière d'un geste. La plupart de ses amis pensent qu'il a perdu la raison. Mais, il n'a pas l'intention de reculer et quant à la somme astronomique demandée en réparation, elle n'est là que pour faire peur à Goldwyn.

En attendant, il doit tourner un dernier film pour Goldwyn et ce sera The Masquerader (Le masque de l'autre). Ironiquement, il y joue un député alcoolique et héroïnomane! Le double rôle qu'il interprête lui offre la possibilité de varier son interprétation et même sa voix; Sir John Chilcote parle un staccato rapide et sombre alors que John Loder a le ton habituel et débonnaire de Colman. Le film profite aussi de la présence de la très jolie Elissa Landi, une actrice oubliée d'origine italo-autrichienne, à l'accent parfaitement britannique. Quand à l'excellent Halliwell Hobbes (ci-contre) en parfait majordome, il a l'opportunité d'interpréter un vrai rôle et de montrer son talent, lui qui ne fut qu'une "silhouette" de juge, policeman, coroner ou domestique dans une multitude de films. Ce film montre la vie de Westminster sous un jour inhabituel: collusion entre la presse et les partis, l'alcoolisme, etc.. finalement assez proche de la réalité. Il existe encore de nos jours de nombreux mavericks au parlement britannique!

Le tournage de The Masquerader se termine en janvier 1933 et Colman décide de partir pour un voyage autour du monde, sans attendre la résolution de son conflit avec Goldwyn. Son contrat l'attache encore pour 2 ans à son producteur; il sera contraint à une inactivité forcée et il y est prêt! Cela pourrait signifier la fin de sa carrière et il en prend le risque. Ce voyage sera aussi l'occasion de rompre une autre chaîne, fort lourde, celle qui le relie encore à Thelma, son épouse. Il réussit à divorcer sans éclat et presque sans publicité en Angleterre. En cette année 1933, il va recouvrer simultanément sa liberté d'homme et d'acteur. En attendant, il parcourt la planète en compagnie d'un ami, allant d'Europe, en Afrique, puis en Indonésie avant de rentrer en Californie 10 mois plus tard.

A suivre

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