Un film de Henry Roussell avec Raquel Meller, Max Maxudian, Tina de Izarduy, Pierre Blanchar, Albert Bras et André Roanne
En Bessarabie, dans un ghetto juif, la famille Sigoulim célèbre la Pâques juive. Samuel Sigoulim (A. Bras) est un rabbin pieux qui vit selon la tradition talmudique alors que son frère Moïse (M. Maxudian) lui s'est lancé dans les affaires. Moïse fait fortune dans le pétrole et part pour Londres emmenant ses deux jeunes nièces Lia (R. Meller) et Esther (T. de Izarduy)...
Henry Roussell est une figure oubliée du cinéma muet français. Il mériterait pourtant d'être redécouvert car il est l'un des rares metteurs en scène de cette époque qui pouvait être aussi appelé un 'auteur' avant même que ce terme ait été créé. En effet, Henry Roussell, en plus d'être un excellent acteur, écrivait lui-même les scénarios de ses films et ceux-ci n'étaient pas de simples adaptations de romans ou de pièces de théâtre, mais des scénarios entièrement originaux. Ayant déjà pu voir plusieurs films d'Henry Roussell, j'ai toujours été conquise par sa capacité à faire vivre ses personnages dans leur milieu naturel, quel qu'il soit: dans
L'Ile enchantée (1927), nous sommes en Corse où la tradition affronte la modernité alors qu'un barrage hydroélectrique est en construction, dans
Violettes Impériales (1923), déjà avec Raquel Meller, une petite bouquetière de Séville devient la coqueluche de Paris sous le Second Empire et dans
La Valse de l'adieu (1928), Chopin se souvient de sa jeunesse en Pologne. (Il faut d'ailleurs préciser que
Violettes Impériales est bel et bien un scénario original de Roussell qui ne sera transformé en opérette qu'en 1948 par Vincent Scotto.) La variété des sujets abordés tranche avec les mélos mondains qui abondent dans le cinéma français des années 20. Avec cette
Terre Promise, il nous fait revivre les ghettos juifs d'Europe de l'est, en Bessarabie (qui est maintenant la Moldavie). Avec un talent remarquable, il nous dresse le portrait de cette communauté qui vit dans le dénuement. Bien loin de recréer les stéréotypes juifs, les personnages sont complexes. D'un côté le rabbin Samuel vit au milieu de son peuple dans le dénuement, dans le plus grand respect des traditions, et de l'autre Moïse qui trouve que ces traditions sont surrannées et veut faire fortune coute que coute. Les deux filles du rabbin, l'aînée Esther et la cadette Lia sont également partagées dans leur acceptation des traditions. Esther aime la belle vie qu'elle découvre à Londres et se détourne du passé, alors que la plus jeune elle reste fidèle aux principes de justice de son père. Mais, Lia est amoureuse d'un 'gentil', André (A. Roanne), un fils d'aristocrate, qui n'appartient pas à la communauté. Elle devra faire un choix cornélien entre rester fidèle à sa famille ou partir pour toujours pour suivre l'homme qu'elle aime.
Les deux soeurs sont jouées par Raquel Meller et sa soeur Tina (créditée sous le nom de Tina de Izarduy) ce qui renforce la crédibilité de leur affrontement. En effet, elles sont toutes deux amoureuses du même homme, et Esther ne reculera devant rien pour se venger de sa soeur et de sa communauté. Le film culmine alors que les travailleurs des champs pétrolifères décident de mettre le feu aux puits. Esther les incite à la violence raciale en attisant les rancoeurs entre juif et non-juif. Henry Roussel montre une grande habilité à la construction de son récit entre rivalité amoureuse et histoire sociale. Il est aussi un metteur en scène habile qui sait créer une atmosphère aussi bien pour une scène intime que pour une émeute. Il y a une superbe séquence sous une pluie battante où André va partir, désespéré d'être abandonné par celle qu'il aime. Il est rejoint par Esther qui se jette à son cou, lui avouant ses sentiments longtemps refoulés. Esther dégage exactement la sensualité rebelle de son personnage, accentuée par l'averse. Le début du film nous montre la cérémonie de la Pâques juive où un verre de vin est servi pour le Prophète Elie. Puis, on ouvre symboliquement la porte pour le laisser entrer. La petite Lia, qui va ouvrir cette porte au début, se méprend en voyant un petit garçon tout de blanc vêtu dans la rue et le prend pour le prophète. La cérémonie se répète 13 ans plus tard, Lia ouvre la porte, le petit garçon est maintenant André, son amoureux qui l'attend dehors. Elle va lui rendre sa bague, lui signifiant qu'elle ne peut quitter le giron familial. On ne peut que louer les interprètes du film, des soeurs Meller, à leur meilleur, à un jeune Pierre Blanchar qui joue un rôle secondaire en jeune frère destiné au rabbinat. L'opérateur Jules Kruger fait merveille avec de superbes intérieurs contrastés. La copie restaurée en 1987 semble malheureusement incomplète. Il semble que le prologue était nettement plus long que ce qu'il en reste, si on en croit les synopsis d'époque. Néanmoins, cette
Terre Promise reste un film passionnant.