William S. Hart est sans aucun doute un personnage central dans l'évolution du western à l'écran. Et pourtant, à première vue, cet acteur de théâtre né à Newburg (New Jersey) qui débuta au cinéma à l'âge de 49 ans, n'avait apparemment rien d'un westerner. Mais, la lecture récente de ses mémoires My Life East and West, publiées en 1929, a levé le voile pour moi sur un personnage hors du commun qui connaissait l'ouest comme personne.
William Surrey Hart (et non pas William Shakespeare Hart comme le faisait croire quelque publicitaire créatif !) est bien né sur la côte est des Etats-Unis d'un père meunier qui construit des moulins à meule de pierre dans les grandes plaines du Middle-West, le long des rivières. Nous sommes à la fin du XIXème siècle et les fermiers commencent tout juste à s'approprier les plaines fertiles de l'ouest pour y faire pousser ce que Hart appelle l'or blanc (le blé). Les indiens viennent de perdre leurs territoires et ils se sédentarisent bon gré mal gré. A côté d'une maison en bois, ils érigent un tipi comme un dernier vestige de leur vie nomade. Les relations entre eux et les quelques fermiers qui peuplent les plaines ne sont pas mauvaises et le jeune William passe son enfance à jouer avec les petits enfants Sioux de son âge. Il ne va pas à l'école car ils sont dans des zones où il n'y en a pas encore. Il court pieds nus dans les bois avec les petits indiens et va à la pêche ou la chasse avec eux. Il n'y aura jamais chez lui de sentiment de supériorité face aux indiens. Ils les considèrent comme ses égaux et apprend même leur langage. Cette vie au grand air dans la nature sauvage semble idyllique. Elle ne l'était pas, loin s'en faut. La vie est extrêmement dure pour la famille Hart. En hiver, lorsque les fleuves gèlent, les moulins ne tournent plus et la famille meurt de faim. Sa mère donne naissance à de nombreux petits frères et soeurs qui meurent au berceau. Il n'y a aucun médecin à proximité. On ne peut qu'appeler une vieille indienne qui connaît les remèdes traditionnels. Hart raconte d'ailleurs avec émotion l'enterrement d'un petit frère. Ils sont loin de tout cimetière et ils enterrent l'enfant près d'un fleuve: "Et ainsi, au-dessus du Mississippi qui commençait son long voyage de plusieurs milliers de kilomètres vers la mer, à côté d'un chariot bâché, avec son couple de boeufs la tête baissée, dans un petit cercueil ordinaire fabriqué par mon père, un tout petit frère qui venait à peine de naître, fut placé dans les bras de terre pour son repos éternet."
Hart a la chance de découvrir les Black Hills (Dakota du Sud) avant la bataille de Little Big Horn (1876). Ce territoire est encore la propriété des indiens lorsqu'il arrive avec son père qui tente de les intéresser à la construction d'un moulin. Ce sera en vain. Mais, le petit Bill est d'une grande aide pour son père avec sa connaissance la langue Sioux. Puis, le jeune Bill va travailler chez un fermier qui l'exploite en le faisant labourer ses champs du lever au coucher du soleil pour une maigre pitance. Lors de son séjour chez ce fermier, il relate un incident qui semble sorti d'un western. Réveillé au milieu de la nuit, l'enfant grelottant dans une chemise de nuit doit chevaucher à bride abattue pour aller chercher son père et empêcher ainsi un lynchage. Il doit monter sur un cheval à demi-sauvage qui l'a déjà jeté à terre. Il arrive couvert de sueur à destination après des heures de chevauchée. Il y aussi des souvenirs plus amusants tel que le jour où son père lui a offert une paire de bottes. Il est tellement fier d'avoir enfin une vraie paire de chaussures en cuir qu'il court sur la glace d'un fleuve pour la montrer à ses amis indiens. Hélas, il a oublié le trou dans la glace qu'ils ont percé pour pêcher et il tombe directement dans l'eau glacé. Repêché, il rentre penaud chez lui avec ses bottes maintenant totalement fichues. Il est terrorisé en pensant à la réaction de son père. Mais, celui-ci finalement renonce à le châtier et lui commande une autre paire.
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W. S. Hart en Messala en 1899 |
Il a douze ans lorsque cette vie aventureuse cesse. Il repart vers l'Est avec sa mère et ses soeurs. Il a d'abord du mal à s'intégrer car on le considère comme un petit indien. Puis, il doit travailler car la famille n'a toujours pas de revenus réguliers. Il grandit et s'intéresse au théâtre. Il est d'abord engagé dans des troupes itinérantes comme second rôle. La vie est encore très dure avec des revenus qui suffisent à peine pour vivre dans des hôtels miteux. Petit à petit, il monte les échelons et commence à se faire connaître. Un jour, il découvre une pièce française qui vient tout juste d'être créée à Paris et qui est un énorme succès. Il pense avoir trouvé la poule aux d'oeufs d'or, car grâce à une lacune dans la loi américaine, il est possible de monter une pièce étrangère sans payer de droits pour peu qu'elle ait été publiée sur papier. Mais, un linguiste le décourage... la pièce est trop française lui dit-il. Hart vient de laisser échapper Cyrano de Bergerac. Heureusement une autre opportunité se fait jour: il est choisi pour jouer Messala dans la toute nouvelle production théâtrale de Ben-Hur à New York.
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Le scénariste C. Gardner Sullivan |
Le grand tournant de sa carrière arrive en 1914 quand Thomas Harper Ince, qu'il a connu acteur famélique comme lui, lui propose faire des films à Inceville en Californie. Il tourne d'abord deux courts-métrages de deux bobines sans intérêt. Hart avait déjà vu des westerns dans des Nickelodeons et ils les avaient trouvés extrêmement mauvais. Il a maintenant une chance de montrer ce qu'il peut faire, lui, sur le sujet. Le résultat sera
The Bargain (1914, Reginald Barker), son premier long métrage, qui marque le départ d'une carrière qui va s'épanouir jusqu'à 1925, l'année de sa retraite définitive des écrans. Il insiste pour que les costumes des personnages soient crédibles et part tourner en extérieurs. Mais après ce premier film, Ince ne lui propose pas de contrat. Il repart à l'Est déconfit. Mais, Ince réalise rapidement son erreur:
The Bargain est un énorme succès. Hart revient à Inceville et y restera longtemps, alternant films de 2 bobines et longs métrages. Il a sa propre unité avec son caméraman Joe August, deux excellents scénaristes (C. Gardner Sullivan et J. G. Hawks), ses cascadeurs et son décorateur. Mais, au bout de quelques années, Hart se rend compte qu'Ince lui paie un salaire minuscule comparé aux bénéfices qu'il engrange. Il va donc quitter le studio pour celui de Zukor où il est assuré d'avoir un contrôle artistique total sur ces films avec sa propre unité de production. Il est comme Chaplin, Pickford et Fairbanks sont propre maître et responsable à 100% de ses films. Cette belle liberté créatrice va disparaître peu à peu vers le milieu des années 20. Les studios veulent reprendre le contrôle artistique. Ils ne veulent plus d'artistes-producteurs-réalisateurs. Hart ne peut pas accepter ce contrôle et prefère quitter pour de bon le cinéma. En 1925, il tourne
Tumbleweeds (1925, K. Baggot) qui sera son dernier film.
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Tournage de Selfish Yates (1918). Hart est au centre
et Joe August est sur le praticable. |
En 11 ans, William S. Hart a tourné plus de 70 films. Un grand nombre sont parvenus jusqu'à nous. Il est un personnage mythique de l'écran qui, le premier, a su composer la légende de l'ouest. Certes, il utilise les clichés victoriens qui venaient du théâtre. Mais, ses films ont pris une pâtine et restent des oeuvres remarquables de l'histoire du cinéma. Son personnage a un charisme évident et il a su donner à son jeu (bien avant John Wayne, Gary Cooper et Clint Eastwood) le naturalisme et le dépouillement nécessaire. Grâce au savoir faire des scénaristes qui composent des scripts superbement écrits et aussi grâce à Joseph August, Hart a composé des films qui bien au-delà du westerns restent parmi les oeuvres le plus innovantes du cinéma des années 10. Le style de ses mémoires révèlent un homme d'une grande franchise, sensible et attachant. Le langage est délicieusement suranné et humoristique comme celui des meilleurs intertitres de C. Gardner Sullivan.