samedi 20 octobre 2012

Synnöve Solbakken 1919



La petite fée de Solbakken
Un film de J. W. Brunius avec Karin Molander, Lars Hanson et Egil Eide

Synnöve Solbakken (K. Molander) est la fille d'un fermier des hauts plateaux norvégiens. Elle est amoureuse de Thorbjörn Granliden (L. Hanson) qui vit dans la vallée. Mais son tempérament querelleur et impulsif le met souvent dans des situations impossibles...

En 1919, la firme Skandia, qui veut rivaliser avec la prestigieuse Svensk Filmindustri, embauche deux des acteurs fétiches de Stiller pour une adaptation d'un célèbre roman norvégien de Bjørnstjerne Bjørnson. Tourné en Suède et en Norvège, le film dirigé par John W. Brunius ne manque pas d'atout. Mais, on se rend compte très rapidement que Brunius n'a pas les mêmes qualités qu'un Stiller ou un Sjöström. Il se contente d'illustrer le roman pastoral de Bjørnson, sans lui apporter les éléments lyriques et la puissance narrative des deux maîtres suédois. Mais on aurait tord de dédaigner ce film. D'abord, il nous permet de découvrir la vie des paysans norvégiens qui suivent le rythme des saisons et les traditions patriarcales. Synnöve étant la fille d'un riche fermier, dont les pâturages élevés lui assure un bon rendement chez ses vaches laitières, elle se doit d'épouser un fils de fermier riche également. De son côté, Thorbjörn fait le désespoir de son père. Depuis son enfance, il est influençable et se laisse entraîner dans des querelles et de mauvaises actions par l'ouvrier agricole de son père. Plus tard, devenu adulte, il est à nouveau en butte aux attaques d'un jaloux qui voudrait lui aussi épouser Synnöve. Il devra apprendre à réfréner ses impulsions pour conquérir Synnöve. Le couple vedette du film, Lars Hanson et Karin Molander (qui devinrent mari et femme quelques années plus tard) apportent énormément au film. Lars Hanson joue un rôle très physique avec un entrain et un naturel qui semblent incompatible avec sa formation théâtrale. C'est d'ailleurs l'un des aspects pour lesquels les Suèdois des années 10 avaient tant d'avance sur d'autres pays: la qualité et le naturel de leurs interprètes. Le tournage en extérieur donne également au film une aération et un charme unique. Même si Brunius n'est pas un metteur en scène exceptionnel, son film reste passionnant et un régal pour l'oeil. Le film est disponible dans un coffret (consacré à trois  films adaptés de Bjørnstjerne Bjørnson) publié par le Norsk Filminstitutt avec des sous-titres en anglais dans une superbe copie restaurée. Seul bémol: la musique du suédois Matti Bye se révèle particulièrement répétitive et agaçante avec sa répétition incessante du même motif pendant tout le film.

mardi 16 octobre 2012

Karin Ingmarsdotter 1920

La montre brisée
Un film de Victor Sjöström avec Victor Sjöström, Tora Teje, Tor Weijden et Nils Lundell

Karin (T. Teje), la fille du vieil Ingmar (V. Sjöström) un riche paysan, voudrait épouser Halvor (T. Weijden). Mais, celui-ci traîne derrière lui la réputation d'alcoolique de son père. Karin est sur le point de l'épouser lorsqu'il est trouvé ivre mort au bord du chemin...

Karin Ingmarsdotter fait suite à Ingmarssörnerna (La voix des ancêtres, 1919) adaptant Jerusalem de Selma Lagerlöf. On retrouve le personnage central d'Ingmar, joué par Sjöström lui-même, maintenant vieilli et veuf. Sa fille Karin est amoureuse de Halvor qui tient la boutique du village. Dans cette zone rurale, tout le monde cancane à tort et à travers. Une réputation peut se faire et se défaire très vite. Karin va soudain douter de Halvor lorsqu'il revient ivre chez eux. Elle ignore qu'il a été victime de deux vendeurs de chevaux qui l'on fait boire plus que de raison. De plus, Eljas et son père ont ramassé Halvor ivre mort pour lui faire du tort auprès de Karin. Et Karin se retrouve mariée avec Eljas (N. Lundell) qui va se révéler un époux effroyable, alcoolique, violent, profitant des biens de son épouse. Le personnage central du film est Karin. Son père, joué par Sjöström, meurt durant la première moitié du film après une séquence mémorable. Le vieil homme est sur le bord d'un fleuve en cru et voit soudain sur un ponton à la dérive trois jeunes enfants. Il se jette à l'eau avec son long bâton pour résister au courant violent et réussit à sauver les trois naufragés. Mais, il est heurté par un tronc d'arbre à la dérive. Sa montre ne résiste pas au choc. Et le vieil homme également meurt peu après. Cette montre va devenir un symbole. Passant entre les mains de son jeune fils, elle reviendra à Halvor pour lui demander pardon de sa conduite passée (il était opposé au mariage de sa fille). Parmi les oeuvres de Sjöström, ce film est plus claustrophobe que d'autres. Nous sommes beaucoup plus confiné à l'intérieur. Il faut dire que la vie de Karin se passe près du foyer où elle prépare les repas et attend le retour de son époux. Le film est peut-être moins lyrique que Terje Vigen (1917), mais il reste une oeuvre passionnante du grand pionnier suédois.

lundi 15 octobre 2012

The Cub 1915

Un film de Maurice Tourneur avec John Hines, Martha Hedman et Robert Cummings

Steve Oldham (J. Hines), un jeune journaliste débutant est envoyé dans les montagnes du Kentucky. En effet, deux familles (les White et les Renlow) s'y déchirent depuis des années. Il se retrouve tout seul au milieu de montagnards violents et illétrés qui ne songent qu'à se tirer dessus...

Dans ces années-là, Maurice Tourneur travaille au sein de la World Film Corportation dans le New Jersey. The Cub fut une pièce à succès à Broadway avec Douglas Fairbanks. Transposé à l'écran, le rôle du jeune reporter est confié à John (ou Johnny) Hines qui apparaît dans de nombreux films de Tourneur de ces années-là comme The Wishing Ring (1914) et Alias Jimmy Valentine (1915). Avec ce sujet haut en couleur, nous retrouvons ces montagnards peu instruits et violents, les 'Hillbillies', qui ont souvent servis de sujet à des films comme The Trail of the Lonesome Pine (1916) de C.B. DeMille ou Hearts o'the Hills (1919) de S. Franklin. Contrairement à ces deux films, Tourneur nous montre le côté comique de ces querelles familiales. Les White et les Renlow passent leur temps à se tirer dessus pour des motifs futiles. Même au milieu de la nuit, ils se regroupent fusils à la main, prêts à tirer. Le jeune reporter débutant (que l'on appelle joliment 'cub reporter' en anglais) arrive dans cette ville parfaitement cinglée à dos d'âne. Il découvre que tout le monde est armé, y compris les jeunes enfants. Il va rapidement tomber amoureux la jolie institutrice (M. Hedman) ce qui va lui poser de sérieux problèmes. Johnny Hines apporte un charme et un entrain bienvenus à cette histoire. Le film se termine par un assaut incroyable contre la maison en bois où se cache Steve. Le bâtiment finit par s'écrouler sous les balles, les attaques à la hache et l'incendie qui se propage. Steve en émerge indemne pour apprendre que son patron l'a viré. On imagine très bien les acrobaties qu'auraient pu faire Fairbanks dans un tel film. Mais, Johnny Hines, qui n'a rien d'un acrobate, s'en sort très bien. Le film commence d'ailleurs par un générique inhabituel où John Hines fait coulisser les panneaux qui annoncent les personnages et les acteurs. Quand arrive son nom, il réalise qu'on est en train de montrer un âne au lieu de son visage poupin. Une erreur qu'il rectifie immédiatement. Ce clin d'oeil à la caméra montre déjà un Maurice Tourneur sûr de son art et de sa technique qui a déjà un jeune apprenti sous son aile. En effet, Clarence Brown était déjà son assistant sur ce film.

dimanche 14 octobre 2012

Shooting Stars 1928

Donald Calthrop
Un film d'Anthony Asquith et A.V. Bramble avec Annette Benson, Brian Aherne et Donald Calthrop

Mae Feather (A. Benson) et Julian Gordon (B. Aherne) sont mari et femme à l'écran et dans la vie. Ils tournent un western en studios, mais Mae a un amant en la personne du comique Andy Wilks (D. Calthrop). Elle voudrait quitter Julian pour suivre Wilks à Hollywood...

Mae Feather (A. Benson)
Avec cette étourdissant petit chef d'oeuvre, Anthony Asquith fait ses débuts comme metteur en scène, bien qu'il ne soit pas crédité à l'écran. Il nous fait découvrir l'envers du décor dans un studio britannique. On tourne simultanément un western et une comédie burlesque. Le couple vedette du western se révèle dans la vie bien plus désuni qu'il n'y paraît. Mae entretient, en cachette, une relation avec la star comique du studio. Mais, étant attachée par un contrat avec une clause de moralité, elle ne peut pas divorcer ou se séparer de Julian facilement. Elle échafaude un plan machiavélique pour se débarrasser de son époux. Avant le tournage d'une scène, elle échange une cartouche à blanc pour une cartouche réelle. Mais, son plan ne va du tout se dérouler comme prévu. Le spectateur attend terrifié le tournage de la scène en question. Même Mae commence à regretter son geste et joue son rôle soudain avec une vérité dramatique qui surprend le réalisateur. Et c'est dans ces moments où les personnages sont confrontés à leurs erreurs et leurs sentiments que Asquith montre son extraordinaire qualité de directeur d'acteur. Nous voyons dans le regard de Julian (excellent Brian Aherne) qu'il a compris ce que Mae préparait. Et la catastrophe finale est amené brillamment. La balle destinée à Julian va frapper Wilks alors qu'il tourne une séquence burlesque perché sur un lustre qui se balance. Asquith utilise toutes les ressources de la caméra subjective pour nous faire ressentir la chute soudaine de Wilks. Tous les éléments du suspense et de l'engrenage infernal qui vont amené le geste de Mae sont dosés avec un soin méticuleux. De même sa relation avec Wilks et comment Julian les surprend en train de s'embrasser. Au final, Mae a tout perdu: son amant et son époux qui la rejette. Des années plus tard, alors qu'il est devenu un réalisateur célèbre, elle n'est plus qu'une figurante inconnue qui s'éloigne telle une ombre dans un studio vide. Dès ce tout premier film, on voit que Asquith est déjà un maître de la direction d'acteur et son sens visuel et dramatique est de tout premier ordre. Espérons que le BFI sortira ce petit chef d'oeuvre un jour en DVD.

samedi 13 octobre 2012

Wagon Tracks 1919

Un film de Lambert Hillyer avec William S. Hart, Jane Novak, Robert McKim et Lloyd Bacon

En 1850, Buckskin Hamilton (Wm S. Hart) est guide sur la piste de Santa Fe. Il se prépare à rejoindre son jeune frère Billy qu'il a élevé lui-même. Hélas, Billy est assassiné par un joueur professionnel, Donald Washburn (R. McKim). Ce dernier a réussi à convaincre sa soeur Jane (J. Novak) qu'elle est responsable de sa mort...

Cet excellent opus de William S. Hart, avec ses vieux complices C. Gardner Sullivan au scénario et Lambert Hillyer à la réalisation, nous replonge dans l'atmosphère de la ruée vers l'or. Des milliers de migrants partent dans des 'vaisseaux des prairies' pour traverser le continent par la dangereuse piste de Santa Fe. Buckskin Hamilton est un héros au coeur pur qui mène sa mission de guide avec courage et abnégation. Mais, ses certitudes vont être mises à rude épreuve suite à la mort de son jeune frère qu'il a élevé lui-même comme un fils. Confronté à Jane (Jane Novak), il n'arrive pas à croire que celle-ci puisse être responsable de sa mort. Alors que le convoi s'ébranle vers l'ouest partant du Missouri, les différents personnages vont devoir affronter des dangers et apprendre à se connaître. Il ne faudra pas longtemps à Buckskin pour détecter que Washburn ou son complice (le futur réalisateur Lloyd Bacon alors jeune acteur) sont probablement les coupables. Pour les faire parler, il va les emmener dans le désert poings liés et les obliger à marcher jusqu'à épuisement de leurs forces. Evidemment, celui qui n'a rien fait va dénoncer l'autre, comme il l'avait prévu. Mais, il va se retrouver face à un dilemme. Le convoi a été visité par des indiens. L'un d'eux est tué et ils menacent d'attaquer le convoi à moins qu'on leur livre un homme. L'assassin semble la victime désignée, mais que fera Buckskin ? 
Sur cette trame de vengeance, de convoi bâché dans le désert, Hart brosse le portrait d'un homme déchiré qui n'a de cesse que de se venger. Sa résolution finale face à Jane est d'autant plus impressionnante. Derrière la caméra, Joe August réalise des merveilles avec des scènes de nuit de toute beauté. Pour une fois, il existe une copie DVD tout à bonne de ce film grace à Unknown Video qui a transféré une belle copie teintée Blackhawk (de David Shepard). Si la musique est répétitive et ennuyeuse, on peut malgré tout apprécier ce beau western intelligemment réalisé.

The Cradle of Courage 1920

Un film de Lambert Hillyer avec William S. Hart, Ann Little, Gertrude Claire et Tom Santschi

'Square' Kelly (Wm S. Hart) revient à San Francisco, de retour du front en France. Il est devenu sergent, mais avant la guerre, il était chef d'un gang de cambrioleurs. Son meilleur ami est le fils d'un policier et voudrait le remettre dans le droit chemin...

Ce film de William S. Hart, pour une fois, n'est pas un western. Il n'est plus un westerner, mais un ancien mauvais garçon irlandais qui va rejoindre la police de San Francisco, au grand dam de sa mère (la fidèle Gertrude Claire présente dans de nombreux films de Hart) qui souhaite le voir reprendre son métier de cambrioleur. On retrouve donc le thème cher à Hart de la redemption d'un mauvais garçon. Les années passées dans les tranchées ont changé Kelly qui ne veut plus faire partie de ce gang mené par Tierney (Tom Santschi, un autre spécialiste des rôles de traitres dans les westerns).Comme toujours, Joseph August est derrière la caméra et donne au film le clair-obscur et l'atmosphère requise à cette histoire de gangsters.
L'environnement familial de Kelly est peu propice à un changement de milieu. Sa chère mère hait les policiers et lui apporte sa trousse de cambrioleur. Quant à son frère, il travaille avec Tierney. Mais, écoeuré par les méthodes de Tierney, il va se décider à rejoindre les forces de police. Il doit précisément poursuivre le gang de cambrioleurs dont son frère fait partie. Celui-ci est tué alors qu'il les a surpris en flagrant délit. Il réalise rapidement qu'il ne l'a pas tué lui-même car il a reçu une balle dans le dos. Le policier se tranforme alors en vengeur, prêt à tout pour retrouver l'assassin de son frère. Comme dans ses westerns, le personnage de Hart est à la limite de la légalité, oscillant entre le bien et la mal. Mais, la morale est sauve à la fin, même si les moyens employés ne sont pas précisément toujours légaux. Le film est bien dirigé par Lambert Hillyer et est dominé par Hart qui incarne les dilemmes de son personnage avec son charisme habituel. La copie publiée par Grapevine Video est d'une qualité acceptable comparée aux horreurs d'Alpha Video.

vendredi 12 octobre 2012

The Signal Tower 1924

Le veilleur du rail
Un film de Clarence Brown avec Rockcliffe Fellowes, Virginia Valli et Wallace Beery

David Taylor (R. Fellowes) est aiguilleur dans une zone isolée des montagnes de Californie. Il vit avec sa femme Sally (V. Valli) et son fils près du poste d'aiguillage. Son vieux collègue Pete part à la retraite et il est remplacé par Joe Standish (W. Beery) qui semble très intéressé par Sally...

Disons-le d'emblée, ce film de Clarence Brown produit par la Universal est un petit chef d'oeuvre de suspense et de construction filmique. A partir d'un sujet somme toute assez banal, il a réalisé un film qui conjugue suspense, intelligence dans les relations humaines et beauté des extérieurs. Pour le réaliser, il est parti dans les montagnes de Californie avec toute son équipe et ils ont même construit un poste d'aiguillage au bord d'une voie ferrée. Dans ce cadre réel, il nous plonge dans la vie d'un aiguilleur. David Taylor vit une vie tranquille entre son vieux collègue Pete, qui loge chez lui, son épouse et son fils. Mais, tout cela va changer avec le départ de Pete. Dès l'arrivé de son remplaçant, on comprend que tout va se compliquer. Joe Standish (sous les traits d'un Wallace Beery gouailleur en surface, mais en fait très inquiétant) arrive dans un costume bien trop élégant pour son travail et des chaussures vernies qui dénotent un séducteur sans scrupules. Le spectateur est convaincu qu'il va rendre la vie difficile à David. Et c'est le cas. Brown commence en fait par quelques scènes comiques où la cousine Gertie fait tout ce qu'elle peut pour attirer Joe, qui l'ignore totalement. Mais, le film prend un tour de thriller après son départ. Une nuit de tempête, David va devoir affronter les pires dangers et un dilemme effroyable: doit-il sauver son épouse des griffes de l'affreux Joe ou empêcher la collision inéluctable entre des wagons fous et l'express qui arrive à toute vapeur ? La dernière partie du film n'a rien à envier aux meilleurs films d'Alfred Hitchcock. 
Le suspense devient insoutenable alors que David tente désespérément de faire dérailler les wagons fous sous une pluie battante et qu'en même temps, Sally tente de se défendre face à Joe. Tout cela est entrecoupé par des images prises depuis les wagons qui dévallent la montagne. Ce montage parallèle atteint son paroxysme lorsque Sally saisit un révolver pendant que David détruit l'aiguillage à coups de masse. L'engrenage infernal montre un sens dramatique remarquable. Brown a réalisé dans ces années-là parmi ses tous meilleurs films avec The Goose Woman (1925) et Smouldering Fires (1925) qui offrent tous deux de superbes portraits de femme. Son passage à la MGM va faire de lui un excellent metteur en scène de studio, mais il aura moins de marge de manoeuvre qu'il en avait dans ses années-là, à la Universal. Il est fort dommage que Clarence Brown soit essentiellement connu dans sa période MGM. Il faut espérer qu'un jour ces trois bijoux de la Universal seront enfin disponibles en DVD.