mardi 30 juin 2015

Maurice Tourneur - Réalisateur sans frontières (IV)

Une nouvelle excellente critique de ma biographie de Maurice Tourneur dans le journal Bilan de Genève le 23 juin dernier:
A la redécouverte du cinéaste Maurice Tourneur 
Le nom reste vaguement connu. Le prénom ne dira rien à la plupart des gens, même s'ils aiment le cinéma. Maurice Tourneur (1876-1961) est bien le père de Jacques Tourneur, célèbre en son temps pour des films d'horreur comme «Cat People» (1942) ou «I Walked With a Zombie» (1943).   
Né près de vingt ans avant l'invention du 7e Art, ancien décorateur, ex-homme de théâtre, Maurice Tourneur a pourtant fait partie des réalisateurs les plus innovants des années 1910. Christine Leteux lui consacre aujourd'hui un énorme livre, basé tant sur des dépouillements d'archives inédites que sur le visionnement des films survivants. Le cinéma muet tient du continent perdu. Tout s'est conservé, ou détruit, par hasard. Comment s'y retrouver au milieu d'autant de lacunes? 

De Paris à Hollywood

Tourneur a bien sûr commencé sa carrière à Paris. Vers 1910, la France dominait encore l'industrie cinématographique mondiale. Il a ainsi été amené à tourner aux Etats-Unis. Dans une filiale. A la déclaration de guerre, cet objecteur de conscience n'est pas revenu, ce qui lui vaudra de gros ennuis plus tard. Il participera ainsi à l'édification des trusts américains, qui émigreront vite de New York à la Californie. 
Tourneur a énormément produit entre 1914 et 1920, Pour Christine Leteux comme pour d'autres, il reste un des créateurs du récit cinématographique, alors basé sur la seule image, avec David Wark griffith et Cecil B. DeMille. En 1926, le Français quitte cependant les Etats-Unis. Un producteur exécutif, tranchant de tout, lui est désormais imposé, comme à ses collègues. Une ingérence qu'il juge incompatible avec son art. 

Une seconde carrière française

Si la période muette, remise à l'honneur il y a un siècle par les «Giornate» de Pordenone, reste connue des seuls rats de cinémathèque (1), l'époque française est revisitée grâce aux efforts (eux aussi lointains) de Patrick Brion pour France3. Il s'agit d'un moment très inégal, avec beaucoup de commandes. Elle se termine en 1948, après d'excellentes choses pendant la guerre pour la Continental, qui avait le défaut d'être allemande (2). Oublié, bientôt infirme, Tourneur sombre alors dans la misère. Il est aidé financièrement par Clarence Brown, son ancien assistant, devenu réalisateur vedette à la MGM. 
L'ouvrage se révèle extrêmement bien fait. Il se lit avec plaisir. On admire la pugnacité de l'auteur et le courage de l'éditeur. Comment vendre Tourneur en 2015, alors que ses longs-métrages les plus accomplis ont aujourd'hui près de 100 ans et que le petit monde des cinéphiles se meurt?  

(1) Des rats mal rassasiés. La Cinémathèque française programme peu de muets et celle de Bruxelles utilise la salle qui leur était vouée pour d'autre projections.

(2) Son parlant le plus connu reste «La main du diable» (1942). 

Pratique


Etienne Dumont

samedi 13 juin 2015

Die Pest in Florenz 1919


La Peste à Florence
Un film d'Otto Rippert avec Marga Kierska, Anders Wikmann, Theodor Becker, Otto Manstaedt et Juliette Brandt

Au XVe siècle, la ville de Florence est dirigée d'une main de fer par le conseil des Anciens présidé par Cesare (O. Manstaedt). L'arrivée d'un courtisane vénitienne Julia (M. Kierska) provoque l'émoi parmi les Anciens. Cependant, Cesare s'éprend follement de la jeune femme de même que son fils Lorenzo (A. Wikmann)...

Otto Rippert est un cinéaste allemand oublié que l'on ne cite que pour un titre de sa filmographie le sérial Homunculus (1916). Die Pest in Florenz montre pourtant l'immense talent de ce réalisateur par ses qualités esthétiques, de direction d'acteur et de narration. Certains auraient tendance à ne parler que du scénariste du film, Fritz Lang, pourtant ce film est bien supérieur à certains Lang de la même période comme Harakiri (1919). Bien qu'il s'agisse d'une production aux moyens importants - avec d'immenses décors reconstituant le centre de Florence et des centaines de figurants - le metteur en scène ne perd pas de vue l'intime dans sa direction d'acteurs. Evitant, les effets exagérés de l'expressionnisme, Marga Kierska réussit à donner à son personnage de courtisane un mélange de sensualité et d'humanité bienvenues. Dans une Florence puritaine et pieuse, elle va enflammer les sens de tous en particulier du vieux Cesare, qui se révèle un bel hypocrite, de son fils Lorenzo qui va tuer son père pour la belle, et finalement, dans une transgression ultime, l'hermite Medardus jette sa robe de bure aux orties pour une vie de débauche avec Julia. Si le scénario s'inspire d'Edgar Allan Poe (Le Masque de la mort rouge), il semble aussi que Lang ait puisé dans Thaïs pour la relation Medardus-Julia et dans Le Festin de Balthazar avec l'inscription sur le mur. Malgré ces éléments épars, le film conserve une vraie cohésion dramatique grâce à la mise en scène de Rippert qui réussit à préserver le fil conducteur dramatique. Mêlant avec bonheur extérieurs dans le sud de l'Allemagne et reconstitution de Florence, l'oeuvre nous propulse dans l'univers de la Renaissance italienne sans faillir. Le final tragique avec l'arrivée de la peste sous les traits d'une femme est également une grande réussite. Un superbe film qui mérite d'être redécouvert.