Une nouvelle critique de mon livre vient tout juste d'être mise en ligne sur le site 1Kult:
Jusque là, s’informer sur la vie et la carrière d’Albert Capellani était synonyme de frustrations : très peu de textes existant et le plus souvent les informations étaient incomplètes, contradictoires pour ne pas dire tout simplement erronées. Il faut dire que très peu de trace évoquant le cinéaste a réussi à survivre jusqu’à nos jours, à commencer par ses films français qui ne mentionnaient jamais son réalisateur. Rien qu’être sûr de la présence d’Albert Capellani derrière la caméra est un exercice délicat. Par exemple lors de sa rétrospective, la Cinémathèque Française lui a attribué par erreur un Manon Lescaut datant de 1912 (il était d’ailleurs improbable que l’homme qui a dirigé Les Misérables un an avant puisse être responsable d’un mélodrame aussi lamentable et bâclé). Il était donc quasiment impossible de retrouver sa présence dans la presse de l’époque, surtout qu’une confusion existe aussi avec son frère, Paul Capellani, célèbre acteur en son temps. On prêtait ainsi à tort à Albert Capellani une formation dans le théâtre. De la même manière, certains en ont fait abusivement un disciple du metteur en scène André Antoine. Bref, tout restait à faire et c’est justement ce que s’est dit Christine Leteux quand son éditeur lui proposa d’écrire une biographie sur le réalisateur de Germinal. Elle repartit donc tout simplement de zéro en retournant à sa fiche d’état civil pour retrouver autant d’information que possible. Un véritable travail d’investigation qui la mène sur le parcours scolaire du futur cinéaste, son passage dans l’armée, ses différents emplois avant d’arriver chez Pathé et sur des tournages qui l’ont conduit de la France aux Etats-Unis pour une multitude de sociétés de production, qu’elles soient indépendantes ou non. Un travail sans doute intimidant mais Christine Leteux avait fait ses armes sur les traductions de deux œuvres emblématiques de Kevin Brownlow : La parade est passée et surtout Napoléon - le grand classique d’Abel Gance dont elle traqua les articles, les lettres et les déclarations d’origines plutôt que de traduire en français les traductions anglaises des nombreuses sources françaises que l’auteur avait réunis dans les années 1970. De Brownlow, elle garde aussi sa plume fluide, passionnante et passionnée pour une écriture simple, enthousiaste et humble sans excès de style démonstratif et superflu. Elle est donc parvenue à reconstituer la vie d’Albert Capellani de sa naissance en 1874 jusqu’à sa mort prématurée en 1931. Avec les nombreux trous qui jalonnent son existence et sa carrière, Leteux se livre à de nombreuses suppositions mais à chaque fois elle à l’intelligence de les présenter comme des faits aux conditionnels tout en détaillant autant que possible les raisons qui laissent à croire qu’ils sont plausibles… Plus crédibles en tout cas que tout ce qui avait été écrit sur Capellani avant elle quoiqu’il en soit. Loin d’amenuiser le plaisir, ce portrait « complété et imaginé » de ce pionnier du cinéma muet se dévore d’une traite et ne s’avère jamais frustrant, si ce n’est celui de juger sur pièces les réalisations du cinéaste, surtout celles de sa période américaine. En effet, peu d’éditions vidéos existent de cette partie de sa carrière, contrairement à sa carrière française. Pour faire la fine bouche, on pourrait regretter par moment un surplus d’informations et de chiffres pas toujours nécessaires mais ce souci d’exhaustivité fait qu’on tient sans aucune doute le livre de référence sur la vie de cette figure trop longtemps oubliée du 7ème art. A ce titre, il faut rappeler que ce livre n’est en aucun cas un ouvrage d’analyse filmique (et encore moins universitaire) mais une biographie atypique doublée d’une aventure historique palpitante grâce à la connaissance sans faille de Christine Leteux sur cette période féconde et stimulante où le cinéma s’inventait de jour en jour. Ce livre – on peut presque parler de monographie à ce niveau – désormais indispensable est disponible chez La Tour Verte avec une préface de Kevin Brownlow et une filmographie complète, enrichie d’un glossaire précieux qui répertorie les titres ayant survécu et ceux disponibles en DVD. Indispensable donc !
Anthony Plu