vendredi 30 mars 2018

Continental Films - Cinéma français sous contrôle allemand (XIII)

Une nouvelle chronique de mon livre est maintenant disponible sur DVDClassik
Et une critique a paru dans le quotidien juridique Les Petites Affiches du 26 mars 2018:
Parler du cinéma sous l’Occupation est un exercice difficile voire périlleux. Terrain miné qui réveille mémoires et polémiques, il évoque le débat sur le positionnement des artistes et des intellectuels pendant l’Occupation allemande. On renvoie pour ce qui concerne le milieu littéraire au livre de Pierre Assouline : L’épuration des intellectuels. Ce n’est pas le moindre des talents de Christine Leteux d’avoir osé et su dans Continental films, le cinéma français sous l’Occupation (Christine Leteux, Paris, 2018), ouvrage charpenté autour de thématiques passionnantes, narrer la création et le fonctionnement de la firme allemande qui allait produire un grand nombre de films, de février 1941 à avril 1944, dont certains incontournables du cinéma français. Ainsi des Inconnus dans la maison ou l’énigmatique Le Corbeau qui valut à Henri-Georges Clouzot quelques déboires et une mauvaise réputation. Qui furent les metteurs en scène, acteurs, régisseurs, décorateurs, recrutés par la Continental ? Comment pouvaient-ils ensuite la quitter et à quel prix, à quoi se rapporte «l’affaire Harry Baur» — particulièrement nauséabonde ? Telles sont, parmi d’autres, les questions auxquelles répond avec force détails et anecdotes Christine Leteux. La documentation est solide. Le style précis. Et la réflexion que ce livre suscite va bien au-delà des enjeux cinéphiliques. On est replongé non seulement dans l’univers de la production filmique organisée par les nazis, mais dans l’histoire. En fond il y a tous les enjeux, les drames de l’époque : le monde du cinéma, pas moins qu’un autre, n’échappe aux faiblesses et aux vilenies, tout n’y est pas toujours bien joli. On se fait des crocs-en-jambe, l’antisémitisme ambiant encourage parfois d’ignobles attitudes. Avec à chaque page la question lancinante et la plus inconfortable qui soit : qui sommes-nous pour juger et faut-il punir ceux qui ont tourné pour la firme allemande ? Ce sera la mission confiée, ce que narre l’auteure, au CLCF pour les metteurs en scène et à une autre commission pour les acteurs. On en saura plus en lisant le livre. 
L’usine à films. 
Mais au fait de quoi s’agit-il ? La Continental, qui s’en souvient ? Qui y fait attention aujourd’hui à la lecture d’un générique en noir et blanc ? Qui était derrière cette firme ? Les cinéastes pouvaient-ils conserver une marge de liberté créatrice ? Comment le régime nazi exerçait-il son contrôle sur les tournages et les montages ? Christine Leteux raconte à plusieurs reprises comment, au cœur des discussions, est à cette époque… le contrat. Exiger l’application du contrat, passer entre les mailles du contrat, utiliser les silences du contrat, puis si besoin sortir du contrat, telles sont les figures imposées pour sauver sa part de liberté et de créativité. Beaucoup s’y sont cassés les dents, quelques uns, parfois douloureusement comme Marcel Carné sur le tournage des Évadés, ou Henri Decoin qui va jusqu'au tribunal, réussirent à tenir tête aux exigences d’un Alfred Greven, placé à la tête de la Continental par un certain Goebbels, le créateur de la firme, qui surveillait tout mais dont Alfred Greven entendait aussi s’affranchir. Le livre raconte les jeux d’influence au sein du régime nazi lui-même. 
Une galerie de portraits. 
Le livre met en scène des femmes et des hommes ; leur destin, leurs choix. Alfred Greven donc. Mais aussi évidemment Arletty et sa liberté assumée, Mireille Balin et son triste destin, Ginette Leclerc et ses choix aventureux. Un chapitre fort intéressant est consacré aux Russes qui après l’exode de 1917 sont venus en France et qui ont grossi le personnel de la Continental. On fait ici connaissance des trajectoires et vies des régisseurs, décorateurs, monteurs russes. On laisse au lecteur (re-) découvrir les Danièle Darrieux, Maurice Tourneur, André Cayatte, Henri Decoin, Albert Préjean, Christian-Jaque, Ginette Leclerc, Fernandel, Jean-Paul Le Chanois, Noël Roquevert, Suzy Delair, Harry Baur, et bien d’autres, figures emblématiques du cinéma aux prises avec leur époque. L’auteure, c’est ce qui rend le livre si passionnant, ne juge personne, même si la plume est parfois plus sympathique pour certains que d’autres. Elle rétablit avec les faits une certaine vérité. Bertrand Tavernier, signataire de la préface, ne s’y est pas trompé en rendant hommage au livre. Pour les cinéphiles, ce livre Continental Films est une pépite documentaire qui ajoutera à leur culture. Pour eux et pour tous les autres, il est avant tout un vrai livre d’histoire et de réflexion sur cette période.
Christian Baillon-Passe

lundi 19 mars 2018

Continental Films à Vichy le 27 mars 2018 à 16h

Je serai au Petit Théâtre Impérial de Vichy le mardi 27 mars à 16h pour présenter mon ouvrage sur la Continental Films. Cette présentation sera suivie d'une séance de dédicaces à la Librarie "A la page" de Vichy. A bientôt!

lundi 12 mars 2018

Continental Films au Salon du Livre le 18 mars 2018


Je serai au Salon du Livre de Paris pour une séance de dédicaces le dimanche 18 mars de 15h à 18h au stand La Tour Verte de "Livres en Normandie" (Hall 1 - Stand F31)


Le cinéma muet de Maurice Tourneur à la Fondation Pathé du 4 avril au 1er mai 2018

La Fondation Jérôme Seydoux-Pathé au 73 avenue des Gobelins, Paris 13 ème (M° Place d'Italie) propose une programmation autour des films muets de Maurice Tourneur. Il y aura un certain nombre de raretés inédites. En outre, je présenterai une conférence sur le cinéma muet de Tourneur le mardi 10 avril à 19h. Venez nombreux découvrir Prunella (1918) et d'autres raretés délectables de 1916!

samedi 10 mars 2018

La Femme rêvée 1928

Angel (Charles Vanel) et Mercédès (Alice Roberte)
Un film de Jean Durand avec Charles Vanel, Arlette Marchal, Alice Roberte et Harry Pilcer

Un homme d'affaire parisien Angel Caal (C. Vanel) suite à un accident de voiture en Espagne fait la connaissance de Mercédès (A. Roberte). Il décide de l'épouser attisant ainsi la jalousie de sa maîtresse Suzanne (A. Marchal)...

Jean Durand fut un des grands pionniers de la firme Gaumont et produisit quantité de comédies et de westerns dans les années 1910. En 1928, il est déjà un vétéran qui tourne un de ses derniers films. Comme nombre de ses confrères, il a du mal à suivre l'évolution technique du cinéma et du discours cinématographique. Il filme en plans larges et ne sait pas rythmer une séquence avec des gros plans et des plans moyens. Il en résulte un film extrêmement long vu la minceur de l'intrigue: un riche homme d'affaire doit décider si la "femme rêvée" ressemble à sa femme ou à sa maîtresse. Outre ce problème de rythme des séquences, Durand est handicapé par une distribution bancale. Alice Roberte, qui joue la jeune femme effacée et timide de Charles Vanel, est parfaitement impavide et incapable d'exprimer les sentiments qui l'habitent. On imagine ce qu'une actrice de talent comme Sandra Milowanoff (qui fut souvent la partenaire de Vanel à l'écran) aurait pu faire dans un tel rôle. On s'ennuie ferme devant le jeu maladroit de Roberte qui est en plus dépourvue de tout charisme. Dire qu'elle a été la Comtesse Geschitz dans le Loulou de Pabst! Heureusement, il y a Harry Pilcer. Ce danseur, partenaire de Mistinguett au Music-Hall, nous offre un numéro de danse fort érotique sur la scène du Casino de Paris qui parvient à peine à dérider notre Roberte. Arlette Marchal a une toute autre allure, mais son rôle reste assez vide et lui permet à peine d'exister. Par contre, le film est d'une richesse incroyable pour ce qui est des costumes et des décors. Les actrices changent de tenue à chaque scène et le film semble avoir été sponsorisé par les grands couturiers parisiens pour faire leur promotion à l'étranger. Les décors vont du grand siècle pompeux de l'appartement de Charles Vanel à l'art déco très tendance de celui d'Arlette Marchal. Visuellement, c'est un régal car la copie est magnifique grâce à une restauration 4K à partir du négatif original. Durand se réveille vers la fin du film où il nous offre enfin un montage plus efficace alors que Vanel roule à tombeau ouvert sous un orage dantesque. Mais, le film reste cependant anecdotique dans l'histoire du cinéma muet français. Contrairement à Léonce Perret, son exact contemporain, il ne sait pas obtenir de ses acteurs des interprétations humaines et inspirées. Il filme un roman de gare sans réussir à transcender son matériel.

Continental Films - Cinéma français sous contrôle allemand (XII)

Nouvelle critique publiée dans La Septième Obsession N°15 de mars-avril 2018:
Et dans le journal suisse Bilan:
"Continental Films". Quand les Allemands produisent à Paris en 1940 

L'histoire du cinéma n'en finit pas de se refaire. D'abord, les choix esthétiques changent. Les spectateurs d'aujourd'hui n'aiment souvent plus les films appréciés par leurs parents ou grands-parents. Le vieillissement de certains titres constitue un fait subjectif, mais réel. Un lent travail d'archives permet par ailleurs de mieux comprendre les conditions de création et de diffusion. Une scientifique comme Christine Leteux a ainsi su cerner la carrière de deux réalisateurs importants sur lesquels ont savait peu de chose. Elle a parlé d'Albert Capellani, actif dans les années 1910 à Paris puis à Hollywood, puis de Maurice Tourneur, créatif lui aussi des deux côtés de «la grande mare» de 1912 à 1948. Deux biographies qui ont fait date, même s'il s'agit de publications confidentielles. Je vous avais parlé en son temps du Tourneur. 
Christine Leteux revient aujourd'hui avec un sujet plus populaire, dans le mesure où il reste polémique. A nouveau édité par la Tour Verte, «Continental Films» retrace la vie d'une société de production créée par les Allemands à Paris sous l'Occupation. Il s'agissait alors de donner aux Français des films de divertissement, si possible de qualité. La Continental échappait à la censure nationale. En allait-il de même avec une propagande nazie, surtout diffuse? Deux titres ont posé des problèmes à la Libération. Il s'agit de «Les inconnus dans la maison» d'Henri Decoin (1942) où le jeune assassin est Juif, et de «Le Corbeau» de Georges-Henri Clouzot (1943). Le cinéaste y faiit le portrait au vitriol d'une petite ville bouleversée par des lettres anonymes. Une réalité que connaissait pourtant bien le pays en ces années peu glorieuses.
Une collaboration ancienne
Comme le rappelle en préambule l'historienne, la collaboration (au sens propre) franco-allemande formait une réalité depuis les années 1920. Face à une France désorganisée, où les grandes sociétés comme Pathé ou Gaumont étaient en veilleuse, Berlin offrait les plus grands studios d'Europe, dirigés à l'américaine. Le muet était par définition international. Au début du parlant, il y avait eu des versions multiples. Des acteurs français jouaient, dans les mêmes décors et pour la même équipe technique, après leurs collègues germanophones. Etait enfin venu, dès 1935, le temps des productions françaises tournées à Berlin. «L'héritier des Mondésir» avec Fernandel avait été la dernière d'entre elles au printemps 1939. 
Il n'est donc pas étonnant qu'en 1940 les Allemands, installés à Paris désirent faire redémarrer à leur profit en automne une production interrompue en mai. La Continental peut ainsi naître sous la direction du mystérieux Alfred Greven. Celui-ci veut les meilleurs réalisateurs et les acteurs les plus célèbres. Ceux qui n'ont pas émigré aux USA sont au chômage. Il obtient du coup Christian-Jacque, Henri Decoin, Maurice Tourneur, Marcel Carné (qui ne s'exécutera jamais), Danielle Darrieux, Edwige Feuillère ou Pierre Fresnay. Il faut parfois exercer des chantages. Travailler avec lui fait peur. Les cinéastes sont du coup aussi des nouveaux-venus prometteurs comme André Cayatte ou Clouzot.
Pressions et défections
Après des débuts brillants, alors que l'atmosphère s'assombrit toujours davantage, les défections se multiplient. Les gens sous contrat s'en vont par principe, ou pour rejoindre la production privée. La Continental paie mal et les rythmes de tournage se révèlent effrayants. Sur les 220 films réalisés sous l'Occupation, elle n'en sort du reste que 30. Dès 1943, la machine tourne avant tout grâce aux efforts de deux hommes sur lesquels toutes les pressions peuvent s'exercer. Tourneur a un passeport américain échu, tout comme sa compagne un temps emprisonnée. Richard Pottier, qui porte le nom de son épouse, est un Autrichien naturalisé Français. Il s'agit d'un sujet allemand aux yeux des nazis depuis l'Anschluss de 1938. Mais il a fait la guerre du côté français en 1939-40... 
En dépit d'un climat souvent qualifié dans le livre de «délétère», les tournages se poursuivent jusqu'au printemps 1944. «Cécile est morte» de Tourneur d'après Simenon, «La vie de plaisir» d'Albert Valentin réussissent à rester in extremis de bons films. Il faut faire illusion, alors que la France est prise entre collaboration, simple survie et résistance. Christine Leteux consacre ainsi un chapitre au fameux voyage des acteurs parisiens en Allemagne de mars 1942 (1). Là aussi, l'historienne remet les choses à leur place. L'affaire a été déformée par une lecture sensationnaliste, puis moutonnière. Les comédiens ont été poussés à accepter. Danielle Darrieux, pour prendre un seul cas, a deux frères menacés de Service de Travail Obligatoire en Allemagne. Son fiancé, un diplomate devenu ennemi, est emprisonné outre-Rhin. Elle pose ses conditions. En plus, si elle accomplit le voyage aller, elle reviendra en France par ses propres moyens.
Un travail de synthèse
Il y a comme cela bien des révélations dans ce gros ouvrage. Elles modifient preuves en main tout ce qui se répétait depuis un demi siècle. Il suffisait pourtant de lire (notamment) les milliers de pages produites à la Libération par les Comités d'épuration. Il se trouve là d'innombrables témoignages. Christine Leteux en a tiré la «substantifique moelle», comme dit Rabelais. Un travail de synthèse que salue la longue préface de Bertrand Tavernier. «Cela faisait des années que j'attendais un tel livre, qui bouscule des croyances, des préjugés, décape certaines fables et fait émerger la face cachée d'un iceberg, tout un pan d'une Histoire dont on croyait connaître les grandes lignes.» Quand le cinéaste a tourné en 2002 «Laisser-passer», qui se passe précisément à la Continental, il ne savait presque rien de tout cela. Il avait dû se contenter de faire d'Alfred Greven un personnage de cinéma.
(1) Il y en a un autre de plasticiens et un troisième d'écrivains.
Etienne Dumont