lundi 20 février 2017

Napoléon en DVD

Napoléon (1927) d'Abel Gance 

Une fois n'est pas coutume, je voudrais vous parler du coffret DVD publié par le BFI du chef d'oeuvre d'Abel Gance, Napoléon (1927) que les cinéphiles n'osaient plus espérer après des décennies d'attente. Et bien, il est maintenant vraiment là, disponible en 4 DVD (ou 3 Blu-ray) depuis le mois de novembre 2016 auprès du British Film Institute, amazon.co.uk, etc.

Bonaparte à Toulon (Albert Dieudonné)
Gance en 1925 lors du tournage en Corse*
Cette sortie est l'occasion de revisiter ce film magique qui n'était jusqu'ici disponible que dans des versions incomplètes ou des copies pirates issues des diffusions sur Channel 4 dans les années 1980. Autant dire que nous repartons de zéro avec cette magnifique restauration réalisée par Kevin Brownlow avec le British Film Institute qui dure 5h31, entièrement teintée et virée, et avec la superbe partition du compositeur Carl Davis. La restauration de ce film fut une épopée en elle-même comme me l'avait racontée Kevin Brownlow lors d'une interview en septembre 2008. Commencée à la fin des années 1960, elle avait été couronnée une première fois par une projection en novembre 1980 à Londres sous la direction de Carl Davis d'une copie de 4h50 qui souleva
Saint-Just (Abel Gance)
l'enthousiasme des spectateurs et cinéastes présents. C'est en 1981 qu'il fut présenté dans une version écourtée et accélérée (4h) au Radio City Music Hall de New York avec une autre musique signée Carmine Coppola sous les auspices de son fils Francis Ford Coppola. Dans les décennies qui suivirent, Kevin Brownlow continua son travail de dentellière pour améliorer sa restauration avec des séquences supplémentaires et des éléments de meilleure qualité. Ce travail au long cours se termina en 2000 avec une nouvelle restauration de 5h31 teintée et virée. A cause des problèmes de droit (Coppola Vs. BFI), cette version a été bloquée pendant 16 années avant d'être enfin numérisée pour faire un DVD. 
Triptyque final

On peut maintenant admirer l'excellente qualité de cette copie réalisée à partir d'éléments très divers et qui forme un tout parfaitement cohérent grâce à un étalonnage impeccable. En plus, le teintage numérique est superbe, réussissant même à recréer des teintages et virages complexes que plus personne ne sait faire chimiquement comme ce viré bleu-teinté rose pour figurer l'aube sur les Sanguinaires (voir ci-dessous).

Jules Kruger avec sa caméra lors du tournage à Briançon
des séquences de Brienne*
Avoir un DVD de ce film est aussi l'occasion de pouvoir l'explorer à l'envie et cela permet de passer du temps à redécouvrir des séquences excitantes ou émouvantes. Il faut le répéter ce film n'est pas une pièce de musée ni un pensum qui provoque l'ennui. Gance a conçu un film épique à hauteur de spectateur qui est parfaitement équilibré en action, suspense et même humour. Je l'avais déjà comparé à Alexandre Dumas pour sa manière romanesque de réécrire l'histoire de France en mêlant fiction et vérité. Il veut nous faire revivre la Révolution Française en utilisant des méthodes révolutionnaires, techniquement parlant. La caméra cesse d'être immobile sur un trépied. Le caméraman la transporte attachée sur sa poitrine. De multiples autres procédés sont inventés pour la déplacer sur une luge, un pendule, une bicyclette, etc. Chacune de ces prouesses techniques est au service du récit et ne cherche pas à être une simple prouesse sans objet. Ainsi, une caméra est fixée sur le dos d'un cheval lors de la fuite de Bonaparte à cheval
en Corse. D'ailleurs, je voudrais mentioner ici que la caméra embarquée à dos de cheval est une caméra Debrie modifiée par l'ingénieur Simon Feldman avec un moteur à air comprimé (comme il l'a dit à Brownlow lors d'une interview) et pas du tout l'Aéroscope Proszynski, une imposante caméra à air comprimé, comme je l'ai entendu plusieurs fois à des conférences à la Cinémathèque française. 
Gance dirige à coups de révolver en Corse*
Il faut aussi saluer la performance des acteurs que Gance a réussi à galvaniser en utilisant parfois des méthodes étranges. Armé d'un révolver, il dirige la famille Bonaparte en Corse lors de sa fuite (voir ci-contre). Mais, Gance est souvent plutôt dans la démonstration du rôle comme pour la scène des Trois Dieux où il mime à Danton (Alexandre Koubitsky) ce qu'il doit faire. Ces formidables scènes de tournage sont visibles dans le documentaire de Kevin Brownlow, Abel Gance - The Charm of Dynamite (1967) qui est offert en supplément sur le 4e disque.
A Billancourt, Gance dirige les Trois Dieux*
Grâce à la superbe qualité de l'image, on peut admirer les compositions de Gance que ce soit en extérieurs ou en studio et qui est encore plus sensible avec le teintage.
Préparation de la bataille à Toulon

Les Gendarmes à la poursuite de Bonaparte en Corse
A la Convention, l'ombre de Bonaparte sur la déclaration des
droits de l'homme et du citoyen
Sous la pluie battante à Toulon
Laetitia (Eugénie Buffet) à bord du Hasard
retrouve son fils
Bonaparte enfant à Brienne (Vladimir Roudenko)
L'un des éléments les plus importants de cette restauration outre la qualité de la copie est sans aucun doute la magnifique partition composée par Carl Davis. Davis l'a enregistrée dans des conditions optimales, comme pour un disque de musique classique, dans un studio dédié avec un des meilleurs orchestres londoniens, le Philharmonia Orchestra. Et le résultat est là: une dynamique, une richesse dans les détails et les couleurs juste époustouflante. Davis ne se contente pas de citer les grandes oeuvres de Beethoven ou Mozart. Il a travaillé avec de grands orchestrateurs comme Colin et David Matthews, qui sont eux aussi compositeurs. (Colin Matthews est également l'auteur d'une version reconstruite de la 10e symphonie de Mahler). C'est tout simplement le plus bel enregistrement musical pour un film muet que j'ai jamais entendu. De plus, Davis est l'un des rares compositeurs capables de suggérer les émotions intérieures des personnages au lieu de rester à la surface des choses. Il est également insurpassable pour les scènes de bataille qu'il sait orchestrer de façon à guider notre regard vers les moments importants, tout comme pour sa partition pour Intolerance (1916) de D.W. Griffith.
L'Armée d'Italie (à La Garde près de Toulon)
Et puis, il y a le triptyque final. Ce moment de cinéma unique qui évidemment est fait pour être vu sur grand écran. Cependant, la magie de cette séquence agit malgré tout sur mon petit écran de télévision. Les restaurateurs du BFI ont réussi à produire une image presque sans raccords entre les trois panneaux qui montre le travail incroyables des techniciens et opérateurs qui travaillaient avec Gance. Le Cinérama avant sa création. On termine le visionnage en chantonnant "Le Chant du départ" de Méhul. Un vrai bonheur.
La Cinémathèque française a dit qu'elle ferait sa propre restauration. Cela sera très difficile de surpasser ce DVD.

Vous pouvez lire sur ce blog l'interview de Kevin Brownlow à propos de Gance et celle de Carl Davis à propos de sa partition. Et je vous recommande la lecture de l'ouvrage de Kevin Brownlow, Napoleon, Le grand classique d'Abel Gance (Armand Colin, 2012) que j'ai traduit en français.

[Les captures d'écran suivies d'une étoile proviennent du documentaire The Charm of Dynamite.]

dimanche 19 février 2017

The Dangerous Coward 1924

Bob Trent (Fred Thomson)
Poing d'acier
Un film d'Albert Rogell avec Fred Thomson, Hazel Keener, Frank Hagney et Jim Corey

Bob Trent (F. Thomson) a renoncé au ring après avoir rendu infirme un concurrent The Weazel (J. Corey). Il s'est installé dans l'ouest comme cowboy. Amoureux de Mary McGinn (H. Keener), il a un sérieux rival avec Wildcat Rea (F. Hagney) qui convoite également Mary...

Dans les années 1920, Fred Thomson était un héros de westerns de série B qui était souvent au moins l'égal des série A. Acrobate, cascadeur émérite, Thomson jouissait d'une énorme popularité avec son cheval Silver King, une vedette à part entière. Je vous avais déjà parlé de Thundering Hoofs (1924) du même réalisateur Al Rogell qui combinait humour, cascades et suspense. The Dangerous Coward est tout aussi réjouissant avec Thomson en ancien boxeur qui refuse de reprendre les gants. Mêlant joyeusement combats de boxe, cascades à cheval et bagarre en voiture, Rogell réussit un film de 60 min sans temps morts. Le fringant Thomson est aussi à l'aise lorsqu'il fait la cour à la belle Mary que lorsqu'il escalade un toit pour échapper à ses poursuivants, ou lorsqu'il doit affronter un champion sur le ring. Ce héros du western est mort prématurément à l'âge de 38 ans du tétanos qu'il a contracté en marchant sur un clou rouillé. Il reste heureusement quelques films où on peut encore admirer cet acteur fort sympathique.