Napoléon à Londres le 30 novembre 1980 |
La projection du Napoléon le 30
novembre dernier marque exactement le 33e anniversaire de la
première présentation du film restauré par Kevin Brownlow avec la partition de
Carl Davis, cette dernière étant un des éléments les plus importants de cette
restauration. Depuis cette première projection avec orchestre (antérieure même
à la projection new-yorkaise de janvier 1981 avec la partition de Carmine
Coppola), le film a pris de l’ampleur. De 4h50, il est passé à 5h31, des
erreurs de montage ont été corrigées et la qualité des éléments a été
grandement améliorée.
C’est dans des conditions
optimales que le public londonien a pu apprécier ce film français monumental
avec en prime un des tous meilleurs orchestres de Londres, le Philharmonia
Orchestra dirigé par Carl Davis lui-même. La salle archi-pleine a réagi au quart
de tour à tous les mots d’auteur et autres clins d’œil dont Gance a parsemé son
film. C’était un sérieux contraste par rapport à l’expérience particulièrement
pénible que j’avais vécu à la Cité de la Musique en décembre 2009 où avait été
présenté une restauration ancienne de Kevin Brownlow (de 1983) avec la
partition sinistre de Marius Constant en décalage total avec le film. J’avais
fui la salle au premier entracte, profondément déprimée par cette partition
lugubre, de voir le public s’ennuyer mollement et d’entendre les ricanement
d’autres spectateurs.
Assister à une projection de
Napoléon, c’est un marathon. Mais, il n’y a pas de temps morts. Les deux
premières heures passent à une rapidité confondante. Gance concentre dans la
première partie une quantité d’innovations techniques incroyables : caméra
portée, sur une luge, à dos de cheval, suspendue sur un pendule, écran divisé,
montage frénétique, grand angle, etc. Cette débauche d’innovations pourrait
n’aboutir qu’à une série de séquences pour épater le spectateur. En fait, Gance
utilise toujours la technique au service de la narration. Il nous plonge dans
l’univers de l’école de Brienne et de la Révolution française avec une acuité
visuelle qu’il ne renouvellera jamais par la suite.
Carl Davis part d’un principe qui
me semble évident : la primauté doit rester au film lui-même. Il n’est pas
question de tirer la couverture à lui en ignorant le rythme, l’émotion et
l’ambiance générale du film. Il met donc en lumière les personnages de Gance
avec leurs émotions directes : amour, solitude, désespoir, passion. Il ne
cherche pas un second degré qui n’existe pas dans le langage visuel de Gance.
Il illustre à la perfection les états d’âme du petit Bonaparte victime de ses
camarades tout autant que la montée en puissance de la Marseillaise au couvent
des Cordeliers. Quand on songe que Carl Davis a composé cette partition en
seulement trois mois et à une époque où la composition pour le cinéma muet
n’était pas encore revenue à l’ordre du jour, on ne peut que tirer un coup de
chapeau à l’auteur. En mêlant les compositeurs de l’époque napoléonienne
(Beethoven, Haydn, Mozart, Gossec, Dittersdorff) à ses propres thèmes (en
particulier celui de l’aigle), il recrée l’ambiance dans la laquelle vivait
tous les personnages à l’écran. Il ne faut pas oublier que la période
révolutionnaire le fut aussi au niveau musical. Beethoven révolutionnait la
symphonie et secouait la tradition classique pour faire éclore le Romantisme.
Le spectateur français se demande
toujours comment réagir face au personnage de Napoléon, les préjugés entrent en
scène et empêchent parfois d’apprécier le film de Gance tel qu’il est : un
grand livre d’images animées, épique, flamboyant avec l’humour d’un Alexandre
Dumas. Le public anglais ne se pose pas ce genre de questions et apprécie tous
les aspects humoristiques.
Cette dernière restauration est
teintée et virée. Si les teintes ambrées apportent une chaleur bienvenue à de
nombreuses scènes comme pour la Marseillaise, par contre le teintage rouge rend
parfois certaines scènes difficiles à distinguer. Le meilleur exemple est la
bataille de Toulon. Entièrement tournée en studios, Gance réussit le tour de
force de suggérer les éléments déchaînés, la pluie battante, la boue et les
morts qui s’entassent. Alors que dans la version de 1983 en noir et blanc,
cette scène m’avait beaucoup impressionnée par sa construction, j’ai eu ici
beaucoup de mal à en suivre le déroulement à cause du manque de contrastes
apportés par le rouge et les lumières réverbérées de l’orchestre. Elle en a
d’ailleurs dérouté plus d’un. Elle mérite cependant d’être revisitée car c’est
une magnifique réussite mêlant chaos et intimité superbement accompagnée par l’Egmont de Beethoven. Cette scène n’était
pas à son avantage ce samedi à cause des problèmes précités.
Le triptyque final est un moment
inoubliable pour tout spectateur qui a eu la chance de le voir ainsi projeté
sur grand écran. Deux rideaux s’écartent et révèlent soudain un écran trois
fois plus large sur lequel un immense panorama (une carrière près de La Garde
figurant l’entrée en Italie) apparaît. Pour cette séquence magique, Carl Davis
a utilisé des variations sur Le Chant du
départ de Méhul qui furent composées par Honegger lors de la
première du film. Davis réitère les motifs principaux qui sont couronnés par
une Marseillaise flamboyante et un drapeau tricolore qui apparaît à l’écran.
Cette célébration de la France révolutionnaire – que nous n’oserions peut-être
pas réaliser en France - donne à Londres une sorte d’exaltation de 14 juillet
festif et joyeux. Napoléon est une
expérience totale, visuelle, émotionnelle et musicale dans cette restauration.
C’est un moment unique pour tout spectateur qui a eu la chance d’y participer.
Si vous voulez en savoir plus sur le film, vous pouvez lire mes
interviews de Kevin Brownlow et de Carl Davis ou lire le livre de Kevin Brownlow sur la restauration du film (dont je suis la traductrice). Vous pouvez aussi jeter un oeil à une scène perdue du film dont j'ai retrouvé et animé des photogrammes.
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