Jean Sapène en 1926 |
Pour une fois, je ne vous parlerai ni d'un acteur, ni d'un metteur en scène, mais d'un producteur français des années 1920. Jean Joseph Louis Firmin Sapène fut un William Randolph Hearst à la française, régnant sur un petit empire de presse, contrôlant la plus grande firme cinématographique française - la Société des Cinéromans - et propulsant la carrière de sa chère épouse Claudia Victrix à l'opéra et au cinéma. On retrouve donc chez lui les mêmes caractéristiques que celles du puissant mogul américain qu'Orson Welles épingla dans Citizen Kane (1941).
Sapène est un véritable self-made-man. Né à Bagnères-de-Luchon en 1867, il monte à Paris en 1891 où il commence en bas de l'échelle en tant que vendeur dans un grand magasin. Comme tant d'autres producteurs outre-atlantique, il a la bosse du commerce et monte les échelons rapidement. Jusqu'au jour où il est remarqué par le patron du quotidien Le Matin. Il en devient le directeur général tout en empochant les juteux bénéfices de la publicité du quotidien. Sapène a énormément d'argent à sa disposition et il investit dans le cinéma en 1922 en rachetant la Société des Cinéromans créée par René Navarre. Il ne s'arrête pas en si bon chemin et acquière également la société de distribution Pathé-Consortium ainsi que les studios de Joinville-le-Pont (qui seront plus tard les studios Pathé-Natan). Il est à la tête d'un empire cinématographique tout en contrôlant la presse car il est aussi le directeur du Consortium des grands quotidiens de Paris. Il résulte de cette position dominante que les critiques de films se montrent particulièrement doux et conciliant envers ses productions. Si l'un d'eux a le malheur de critiquer un peu un film, il est victime des foudres du mogul. C'est ainsi que le malheureux Léon Moussinac, qui a osé critiqué un film distribué par Sapène dans L'Humanité, est trainé en justice! Certains de ses confrères défendent la liberté de critiquer et publient des caricatures de Sapène (comme celle ci-dessus). Mais, l'homme reste la puissance numéro un du cinéma français des années 1920 alors que les productions américaines envahissent les grands écrans. Donc, bon gré mal gré, la presse cinématographique lui reste favorable.
Sapène a un autre talon d'Achille que la presse se garde de critiquer. Sa troisième épouse, une certaine Jeanne Bourgeois, entend faire carrière à l'opéra et au cinéma. Ils se sont mariés en 1923 et dès l'année suivante, cette inconnue paraît sur les scènes de l'Opéra et de l'Opéra-Comique sous le pseudonyme croquignolet de Claudia Victrix. Cependant, la majorité de ses prestations sont réservées à des soirées de charité où elle interprète Puccini ou Alfano devant une salle conquise d'avance. La presse la surnomme "la grande cantatrice mondaine". Est-ce ironique ? Probablement. Mais rien n'arrête Claudia Victrix, Sapène va produire trois films avec sa chère épouse dont les talents d'actrices sont pourtant bien inexistants. Pour Princesse Masha (1927), L'Occident (1928) et La Tentation (1928), elle est néanmoins encensée par la presse. Il n'y a guère que le journaliste André Lang pour dire "qu'elle n'a rien à faire au cinéma." Le malheureux Henri Fescourt qui doit la diriger dans L'Occident se souvient que "ma conception du jeu d'écran ne coincida pas avec celle de la vedette, Claudia Victrix, épouse influente de Jean Sapène". Rien n'arrête Claudia; elle est sur tous les fronts. En 1930, le peintre Louis Icart expose une "Méditation de Thaïs" où elle exhibe ses appâts dans le plus simple appareil. Le bien-pensant Sapène semble adorer le tableau alors qu'il défend à quiconque de prendre un bain de mer sous les fenêtres de sa superbe villa du Cap-Ferrat... Le couple divorcera en 1938.
Jean Sapène a produit de nombreux films en épisodes qui sont de qualités variables comme Vidocq (1922), Rouletabille chez les Bohémiens (1922), Le Juif errant (1926), Mandrin (1923), L'Enfant-roi (1923), Fanfan-la-tulipe (1925), et Belphégor (1926). Le film en épisodes assure de bons revenus aux exploitants de salle en fidélisant le public. Et les journaux contrôlés par Sapène publient les histoires en feuilletons simultanément. Il a cependant aussi produit des oeuvres de grande qualité comme Les Misérables (1925) d'Henri Fescourt, deux grands films d'Ivan Mosjoukine, Michel Strogoff (1926) et Casanova (1926) avec sa filiale Films de France.
Encensé ou violemment critiqué à son époque, il est retombé dans l'oubli à l'arrivée du parlant. Il cessa toute production et disparut de l'industrie cinématographique. Ironiquement, l'homme qui était né dans une ville d'eau est mort en août 1940 dans une autre station thermale, tristement célèbre, Vichy. Nul doute qu'il cherchait encore à se rapprocher du pouvoir d'alors, lui qui avait été un des personnages les plus influents des années 1920.
Avec le recul, on peut maintenant apprécier le travail réalisé par Sapène au sein du cinéma français. Certes, il n'a pas produit de films d'avant-garde comme ceux de Gance ou de L'Herbier (encore qu'il ait participé financièrement à L'Argent). Ce n'est pas un visionnaire, mais une sorte de Louis B. Mayer à la française qui a produit des oeuvres "commerciales" destinées à plaire au plus grand public. Henri Fescourt se souvient de son ancien patron ainsi: "Il professait également cette théorie idéale qu'un même film doit plaire à la fois à un égoutier et à un académicien, à un coolie et à un Lord. Sous ces réserves, Jean Sapène fut un homme d'affaires de la plus haute classe, capable de se mesurer avec les plus grands businessmen américains. Il avait un incomparable coup d'oeil, des idées étonnamment pratiques, encore qu'il subit des influences malencontreuses."
Caricature de Jean Sapène |
Jeanne Bourgeois (1888-1976) alias Claudia Victrix |
Jean Sapène a produit de nombreux films en épisodes qui sont de qualités variables comme Vidocq (1922), Rouletabille chez les Bohémiens (1922), Le Juif errant (1926), Mandrin (1923), L'Enfant-roi (1923), Fanfan-la-tulipe (1925), et Belphégor (1926). Le film en épisodes assure de bons revenus aux exploitants de salle en fidélisant le public. Et les journaux contrôlés par Sapène publient les histoires en feuilletons simultanément. Il a cependant aussi produit des oeuvres de grande qualité comme Les Misérables (1925) d'Henri Fescourt, deux grands films d'Ivan Mosjoukine, Michel Strogoff (1926) et Casanova (1926) avec sa filiale Films de France.
Encensé ou violemment critiqué à son époque, il est retombé dans l'oubli à l'arrivée du parlant. Il cessa toute production et disparut de l'industrie cinématographique. Ironiquement, l'homme qui était né dans une ville d'eau est mort en août 1940 dans une autre station thermale, tristement célèbre, Vichy. Nul doute qu'il cherchait encore à se rapprocher du pouvoir d'alors, lui qui avait été un des personnages les plus influents des années 1920.
Avec le recul, on peut maintenant apprécier le travail réalisé par Sapène au sein du cinéma français. Certes, il n'a pas produit de films d'avant-garde comme ceux de Gance ou de L'Herbier (encore qu'il ait participé financièrement à L'Argent). Ce n'est pas un visionnaire, mais une sorte de Louis B. Mayer à la française qui a produit des oeuvres "commerciales" destinées à plaire au plus grand public. Henri Fescourt se souvient de son ancien patron ainsi: "Il professait également cette théorie idéale qu'un même film doit plaire à la fois à un égoutier et à un académicien, à un coolie et à un Lord. Sous ces réserves, Jean Sapène fut un homme d'affaires de la plus haute classe, capable de se mesurer avec les plus grands businessmen américains. Il avait un incomparable coup d'oeil, des idées étonnamment pratiques, encore qu'il subit des influences malencontreuses."
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